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1966-1970, création du service médical au camp Boiro grâce à l’adjudant-chef Bayo Souleymane

A titre d’exemple, il est mentionné dans le registre de la Main courante du Bloc Boiro le 16 novembre 1970 une visite du major, au cours de laquelle 41 détenus furent visités en 40 minutes.

 Ce billet est extrait d’une reprise du livre de Alsény René Gomez Camp Boiro. Parler ou périr faite par kababachir.com
  • 1959. C’est l’année à laquelle le groupe de bâtiments qui allait devenir le bloc Boiro reçut ses premiers pensionnaires. A cette époque il n’existait aucun service médical pour les détenus.
  • 1965. Toujours pas de service médical. Il a fallu le courage d’un chef de poste, en l’occurrence l’adjudant-chef Bayo Souleymane, pour oser attirer l’attention des autorités sur cette situation. Grâce à cette initiative, Niang Séni avait ainsi pu être sauvé alors qu’il en était à son quatrième jour de coma. Cela n’avait été possible que grâce à la visite à Boiro du docteur Najib Roger Accar alors ministre de la Santé, accompagné de El Hadj Sinkoun Kaba, conseiller et homme de confiance du président Sékou Touré. Avant le démarrage de ce qui allait être baptisé « Complot Petit Touré », en novembre 1965, tous les pensionnaires de Boiro furent évacués dans d’autres prisons à l’intérieur du pays. Quant au courageux chef de poste, il sera accusé, arrêté et exécuté en 1965.
  • 1966-1970, création du service médical. C’est en décembre 1970 que le major Mamadouba Sakho, alors major adjoint à l’infirmerie du Camp Boiro fut affecté comme volontaire pour assurer le service médical au bloc. Son prédécesseur, le major Diallo, qui aurait été dénoncé par les assaillants du 22 novembre 1970, avait fait partie du groupe des pendus du 25 janvier 1971. En prenant donc service en décembre 1970, le major Sakho avait découvert une situation tragique dans les prisons. En guise d’infirmerie, il trouva un local exigu et dépourvu de tout équipement.

Le reste étant tout à l’avenant :

  • Des blessés laissés sans soins, avec des plaies aux bras provoquées par les ficelles de la cabine de torture. Par manque de bandes et de médicaments, plusieurs blessés étaient déjà atteints de gangrène.
  • Dans des cellules de moins de onze mètres carrés, on entassait plus d’une douzaine de personnes. Le manque d’eau et d’air aidant, la gale apparaissait et se propageait par contagion rapide.
  • Les furoncles et les diarrhées étaient le lot de toutes les cellules, sans parler de l’hypertension et de l’insuffisance cardiaque.
  • Un seul infirmier major pour soigner plus de deux mille détenus, éparpillés dans deux Camps (Alpha Yaya et Boiro), distants de près de dix kilomètres. Les objectifs étaient clairs. Le major, malgré toute sa bonne volonté, n’était en réalité qu’un arbre servant à masquer la forêt.

En voici le programme quotidien du major :

  • Le matin :
    • visite des familles des gardes républicains logés dans l’enceinte du Camp Boiro.
    • Visite des détenus du Bloc.
    • Visite des détenus du Camp Alpha Yaya.
  • L’après-midi :
    • Visite des détenus du poste X (à l’intérieur du Camp Boiro).
    • Visite des détenus de la Tête de Mort (à l’intérieur du camp Boiro).

A titre d’exemple, il est mentionné dans le registre de la Main courante du Bloc Boiro le 16 novembre 1970 une visite du major, au cours de laquelle 41 détenus furent visités en 40 minutes. Assurément un record difficile à battre.
Mais en 1970-71 pouvait-on réellement parler de visite médicale ?
La pratique des soins par correspondance étant la seule admise, il fallait diagnostiquer et soigner à distance.
Exemple
Le détenu souffrant devait frapper à la porte pour se signaler. La sentinelle suivant son humeur ou l’heure tardive refusait très souvent de se déplacer. C’était toujours pour elle un dérangement. D’ailleurs très souvent pour toute réponse, le fautif était menacé de diète. De rares fois la porte de la cellule était ouverte, et l’on vous demandait de quoi vous vous plaigniez. Si l’appel avait lieu la nuit, on vous promettait de faire la commission au major le matin. Si l’appel avait lieu de jour, le major était informé si toutefois l’appel coïncidait avec le moment de sa visite au bloc. En fin de compte, les détenus avaient cessé de tomber malade la nuit, les dimanches et jours fériés. A tout choisir, la maladie était devenue plus supportable que la diète.

C’est ainsi que par réflexe conditionné, toutes les portes restaient silencieuses jusqu’au moment précis où le major franchissait le grand portail du bloc. En effet, il avait à peine porté sa blouse blanche à l’infirmerie que le concert de portes démarrait. Pendant plusieurs années cela avait été une énigme pour lui. Toujours disponible, il attendait l’arrivée de l’homme de garde qui lui annonçait : « cellule n° x, maux de tête, maux de ventre, fièvre etc. » Puis en retour, vous receviez un cornet de un ou deux comprimés d’aspirine, de ganidan, ou de chloroquine, suivant le cas. L’on était très content même si les maux de tête couvaient une hypertension, et la diarrhée une fièvre typhoïde.

Comme il fallait s’y attendre, nous étions tous devenus en fin de compte des comédiens et des mimes hors classe. Il fallait apprendre à se rouler par terre en se tordant le ventre, savoir ouvrir de grands yeux et simuler l’évanouissement, l’étouffement ou l’agonie pour ébranler la sentinelle et le chef de poste qui, finalement autorisait le major à se déplacer pour se rendre devant une cellule. Quand nous étions seuls à l’infirmerie quelques années plus tard, le major Sakho me parlait des bouffées de chaleur qui l’agressaient, au moment de l’ouverture des portes. Très souvent, il se rendait compte de la mise en scène, ainsi il entrait dans le jeu pour nous soulager, car il savait que le manque d’air était la cause de beaucoup de nos problèmes. Pour tromper la vigilance de la sentinelle, il se mettait alors à converser avec nous, car chacun en profitait pour exprimer ses doléances. Le bol d’air ainsi reçu était pour nous comme un remontant. Finalement, voyant que la conversation se prolongeait, la sentinelle rejoignait son poste de garde laissant le major en conversation médicale avec nous, ceci en violation des consignes de sécurité. Il devait en retournant au poste de police refermer la cellule derrière lui. Cependant, il lui arrivait très souvent d’oublier de le faire.

Pendant ces durs moments, le major se trouvait confronté à des difficultés liées au comportement des chefs de poste. Candidat volontaire pour servir au bloc, il s’était retrouvé face à des geôliers dont l’affectation au bloc était motivée, pour la grande majorité, par leur prédisposition à la torture. La période 1971-74 fut celle d’une psychose de peur collective. A commencer par les détenus dont la plupart avaient été témoins des pendaisons du 25 janvier 1971, et des discours de Sékou Touré invitant la population à se rendre dans les prisons et massacrer les détenus à la moindre tentative de déstabilisation du régime. Du côté des hommes de garde, certains malgré tout étaient inquiets devant cette série de violences et de massacres qui semblait ne plus s’arrêter.
Quant au major, il me confiera plus tard :

— Je ne dormais pas la nuit. Affecté au Bloc pour soigner et soulager les détenus, je me rendais compte que tout ce que j’avais trouvé en place, avait pour objectif la destruction de l’homme. Par conséquent, j’avais toujours peur que mes conversations lors des visites devant les cellules ne soient mal interprétées par les chefs de poste.

Malgré sa bonne volonté et son dévouement, le major se sentait incapable de faire face à cette dramatique situation. Pour y remédier, il prit une première initiative en faisant venir un infirmier de la garde républicaine. Ce dernier s’appelait Kéita Yankaba, il devait s’occuper des injections et des pansements. Puis comme deuxième décision, deux militaires en poste au bloc furent retenus pour subir une formation rapide auprès de Yankaba. Ils avaient pour noms caporal Leno Meno et caporal Kamano Yandi. C’étaient de solides gaillards qui étaient plus aptes à manier la corde autour des coudes et des poignets que d’apprendre à utiliser une seringue. Si les accidents de travail furent fréquents et multiples, contre toute attente, les dégâts furent finalement limités. Malgré tous ses efforts, le nombre et la gravité des cas dépassaient de loin les compétences de l’équipe médicale en place. Face à un tel constat, le major sollicita auprès du capitaine Siaka Touré l’affectation d’un médecin qualifié. La réponse fut favorable à condition d’en prendre un parmi les détenus. Mieux, il avait marqué sa préférence pour le docteur Ousmane Kéita, ancien Directeur général de Pharmaguinée. C’est donc sous forme d’ordre que le chef de poste central enregistra l’affectation du docteur Ousmane Kéita à l’infirmerie du bloc. Ce fut un soulagement pour tout le monde.

Avec le temps et de la patience, le service médical fut finalement organisé par docteur Keita, avec la collaboration du docteur Kozel, un dentiste tchèque en détention, et docteur Barry Kandia, un anesthésiste. Grâce aux efforts de l’équipe, un microscope fut installé à l’infirmerie pour les analyses de selles. Finalement, beaucoup de patients de la ville venaient déposer leurs demandes d’analyse à l’infirmerie du camp. La raison était simple : les médecins des hôpitaux parlaient toujours du sérieux et de la fiabilité des résultats pour les bulletins établis au camp Boiro. Les familles des gardes, les patients de la ville et les médecins, n’avaient jamais su que ces examens étaient effectués par des ouvriers, tailleurs, ingénieurs, ou gendarmes, détenus au bloc Boiro, et qui étaient devenus par nécessité laborantins et infirmiers. Il s’agissait entre autres de :

Pour soulager les malades souffrant de rage dentaire, le docteur Keita avait réussi à passer commande de matériel dentaire dont des seringues dentaires, différents leviers avec anesthésie. Une fois le matériels mis en place, on avait fait appel au docteur Kozel, ancien dentiste à Kankan. Il avait pour mission l’initiation du major. Cependant, à titre exceptionnel et avec accord spécial du commandant Siaka Touré, des malades dont les cas étaient jugés très sérieux étaient transportés de nuit, sous forte escorte, pour consultation gynécologique, neurologique ou psychiatrique à l’hôpital Donka, qui se trouvait face au Camp Boiro. Si par malheur le commandant était hors de portée au moment de l’urgence, alors il n’y avait d’autre solution que de s’en remettre à Dieu. Par bonheur s’il était présent, le major devait à chaque fois prendre son courage à deux mains pour lui soumettre les cas jugés très sérieux, en sa double qualité de commandant du camp et membre permanent du Comité Révolutionnaire. Plus d’une fois, des cas signalés étaient restés sans réponse, malgré l’urgence et la gravité de la situation. Dans de tels cas il arrivait que le major respectueux de son serment revienne à la charge une deuxième fois. A une seule occasion, il avait osé insister pour une troisième tentative. Cela avait failli lui coûter cher car pour toute réponse il reçut une demande d’explication, avec réponse à fournir par écrit. Depuis ce jour, l’on comprendra qu’il n’ait plus jamais osé récidiver, pour le plus grand malheur des détenus.

Tel fut le sort de Mama Aissata Sylla, une ménagère de Kindia, arrêtée à l’occasion du soulèvement des femmes du 27 août 1977. En détention au poste X, elle était finalement morte à l’hôpital Donka après un transit de plusieurs heures à l’infirmerie du bloc. Ce jour-là, le commandant n’était pas à la maison. La malade n’avait pu être admise à l’hôpital que très tard dans la nuit après son retour. Comme un malheur ne vient jamais seul, il n’y avait même pas de lit disponible. Le major avait dû se rabattre sur le Bloc Boiro. Et c’est un détenu qui avait immédiatement mis son carton par terre pour céder son lit Picot. Malgré tout, ce geste de solidarité n’avait pas été utile car de retour à l’hôpital le major n’avait pu que constater les faits, elle était morte. C’était le 24 janvier 1978.

L’infirmerie du Camp Boiro, initialement réservée aux agents et à leurs familles, fut un moment utilisée pour éviter les déplacements à Donka où les détenus étaient toujours exposés malgré toutes les précautions. Le docteur Dimov, de nationalité bulgare, était le médecin consultant. Il avait pour mission l’examen des cas jugés très sérieux et signalés au Bloc, au poste X et au poste de police du Camp Alpha Yaya. C’était une bonne initiative qui avait finalement connu des résultats peu satisfaisants. En effet, beaucoup trop de malades avaient perdu la vie par la faute des hommes de garde, à cause du retard mis pour signaler les urgences, quand ils ne refusaient pas tout simplement de le faire. De plus, le docteur Dimov n’avait jamais eu accès au Bloc. Quant au major, il n’était pas autorisé à se rendre devant une cellule sans l’accord du chef de poste et en compagnie d’un homme de garde. Ainsi la machine volontairement grippée n’avait jamais pu fonctionner normalement.

Finalement, le docteur Dimov n’avait eu à intervenir que dans de très rares cas. C’était d’ailleurs très souvent des détenus expatriés. Il faut préciser que les consultations chez docteur Dimov étaient très souvent suivies de recommandations pour un régime de faveur, à savoir : ouverture de la porte, port de chaussures, plat de salade ou augmentation de la ration de riz. Très souvent, ces prescriptions furent totalement ignorées par le chef de poste, qui était en définitive, seul habilité à les mettre en exécution.

Quelques interventions chirurgicales à l’infirmerie du bloc

  • Phlegmon diffus. Opération pour Bangoura Fodé Momo, un jeune chauffeur arrêté en 1977. Sans cette opération, ce jeune aurait très certainement perdu sa jambe.
  • Prolapsus de l’utérus, remise en place de l’utérus pour Marie Camara, arrêtée à l’occasion de la révolte des femmes du 27 août 1977.
  • Ascite. Ponction pour Abdou Rada, un jeune métis libanais de Coyah, qui n’avait malheureusement pas survécu à la prolongation de sa détention.
  • Quant à Momo Bandé dit Momo-le-riz, par trois fois il fut déclaré mort dans sa cellule par les hommes de garde. Heureusement pour lui, et pour nous tous, la règle voulait que le major soit le seul habilité à constater les décès. Il se trouve qu’à chaque fois, dès que le major se présentait, il relevait alors la tête et criait « Bandé », en clair « donnez-moi du riz ».
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konakryexpress

Je revendique le titre de premier clandestin à entrer en Italie, le jour où la mort de Che Guevara a été annoncée. Mais comme ce serait long de tout décrire, je vous invite à lire cette interview accordée à un blogger et militant pour les droits humains qui retrace mon parcours dans la vie: https://fr.globalvoices.org/2013/05/20/146487/

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