Politique

Le 7 juillet 1994, l’Afrique perdait un de ses plus grands historiens, le Prof. Ibrahima Baba Kaké

L’horloge du temps, cette horloge qu’Ibrahima si ponctuel connaissait bien, sonne cette année le dixième anniversaire de sa disparition. Ses collègues, ses amis et les nombreux auditeurs de ce vulgarisateur hors pair de l’histoire africaine ne l’ont pas oublié

Le voici à la porte du studio de RFI, ce mercredi, jour d’enregistrement de l’émission « Mémoire d’un Continent ». Costume sombre, cravate bien nouée, un porte-documents à la main dont il tire les premières lignes de son interview. Le professeur y a mentionné les titres de son interlocuteur et quelques jalons de son parcours. Ecrivain, grand témoin ou historien, celui-ci a eu l’obligation de préparer à l’avance le déroulement de l’émission. Ibrahim sait où il va, et ne laisse pas son vis-à-vis s’égarer dans des voies de traverses si elles ne sont pas nécessaires à la démonstration. L’émission dure quarante-cinq minutes, voire cinquante, puis le professeur quitte RFI en grande hâte, car il cumule, outre sa prestation à l’antenne, son enseignement au lycée Turgot, ses recherches à la Bibliothèque Nationale, la direction de collections dont il a lancé l’idée, et ses voyages en Afrique, sans oublier sa famille et ses amis.

Au lycée Turgot le professeur est craint et respecté. Il y enseigne l’histoire de France, bien que son intérêt premier soit tourné vers l’histoire africaine. Guinéen, Ibrahima Baba Kaké a quitté son pays lorsque Sékou Touré a refusé la proposition française de faire partie de la Communauté proposée par le général de Gaulle en 1958. Non parce que le jeune agrégé d’histoire voulait se mêler de politique, mais parce qu’il connaissait le leader guinéen et s’en méfiait. L’avenir lui donna raison. Ibrahima Baba Kaké aurait sans doute fini dans une prison du camp Boiro, alors qu’en France il put, par la voie des ondes ou de l’édition, rendre de grands services à l’Afrique. Il lui rappela son Histoire, ses grandes figures, fit venir les témoins de son récent passé et accueillit ses collègues historiens, leur permettant d’accéder ainsi à une diffusion internationale.

La radio s’adresse à un grand public et se doit de mettre à la portée des auditeurs des notions claires en des termes simples. Le succès instantané des émissions du professeur l’incita à prolonger ce travail de recherche et de vulgarisation en lançant des collections consacrées à l’histoire africaine. Ainsi en fut-il de la série « Les Grande Figures », qui sous un petit format de poche à prix modeste, rappelait que l’Afrique avait ses héros. De bonnes plumes d’historiens et de journalistes y participèrent, donnant à la collection un renom de sérieux joint au plaisir d’une lecture agréable. D’autres publications, de même format, concernant l’histoire africaine, ancienne ou récente, virent le jour avec le même succès. Publiées en Afrique ou en France, elles prenaient les avions d’Air Afrique dans des valises pour atteindre leurs buts, le professeur oubliant souvent son statut de « maître d’école », pour se transformer en voyageur de commerce. Sa passion de transmettre le savoir lui donnait des ailes.

Transmettre, mais aussi découvrir. Combien d’heures, l’infatigable Ibrahima passe-t-il à la Bibliothèque Nationale de Paris, sise alors rue de Richelieu ? Nul ne peut le dire. Il y avait sa place attitrée et les documentalistes connaissaient bien ce petit homme fin et courtois, à la recherche de documents anciens, dont on ne pouvait ignorer qu’il possédait une volonté de fer et une discipline rare.

Redonner vie à l’histoire

A la mort de Sékou Touré, qui avait en plein Paris, fomenté à son endroit une tentative d’assassinat, déjouée grâce à la vigilance de la police, Ibrahima Baba Kaké fut chargé par les Editions Jeune Afrique, d’écrire la biographie du leader contesté. A ceux qui s’en étonnaient, le professeur riait en répondant « Il n’aura pas meilleur biographe ». Et ce fut vrai. Un des traits étonnants du caractère de Kaké était cette faculté d’oublier – ou de mettre de côté – les griefs qu’il pouvait avoir envers un adversaire, comme s’il était naturel de ne pas en tenir compte.

Que reste-t-il aujourd’hui de l’œuvre de notre ami Kaké ? L’émission « Mémoire d’un Continent » poursuit brillamment sa route avec le professeur Elikia M’Bokolo qui a su lui donner un second souffle. Mais toutes les petites collections si précieuses pour les étudiants et les jeunes qui ont besoin de connaître leur histoire sont épuisées et disparaissent peu à peu des bibliothèques. Et c’est dommage. Il fallait son énergie pour les mettre en œuvre, trouver les auteurs pour les écrire, les crédits pour les éditer et les diffuser. La relève n’est pas venue. Mais il n’est pas trop tard pour redonner vie à un travail qui intéresse en premier lieu les Africains. Le récit du passé n’est-il pas aussi intéressant que l’analyse du présent ? Les deux n’ont-ils pas de liens ? Aujourd’hui l’histoire ancienne a laissé la place aux essais politique, et l’on ne trouve plus chez les éditeurs ces biographies, ces monographies ou ces études concernant l’Afrique ancienne qui fleurirent au lendemain des indépendances sous la plume des historiens africains. Ce désintérêt est regrettable. En rendant hommage au professeur Ibrahima Baba Kaké qui sut si bien donner le goût de l’histoire à toute une génération d’étudiants, nous espérons rappeler à ses amis et à ses élèves qu’il a laissé un héritage, et qu’il est encore temps de s’en soucier. « Au revoir Ibrahima. »

Article publié le 11 juillet 2004 sous le titre Il y a dix ans, Ibrahima Baba Kaké nous quittait (7 juillet 1994, signé de Jacqueline Sorel.

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konakryexpress

Je revendique le titre de premier clandestin à entrer en Italie, le jour où la mort de Che Guevara a été annoncée. Mais comme ce serait long de tout décrire, je vous invite à lire cette interview accordée à un blogger et militant pour les droits humains qui retrace mon parcours dans la vie: https://fr.globalvoices.org/2013/05/20/146487/

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