Camp BoiroPolitiqueSékou Touré

Adieu la vie, adieu la liberté, Tenin et l’enfant que je ne connaitrai pas

Après avoir été torture et subit le chantage que Sékou Touré exerçait avec les prisonniers auxquels il écrivait des lettres personnelles les suppliant d’aider la révolution en confessant des crimes qu’ils n’avaient jamais commis, Alata se sent seul devant Ismael Touré qui chercher à lui faire signer la déposition que ses geôliers avaient préparée.

Je ne retenais plus les lourdes larmes qui consommaient ma défaite. Devant ce chantage à la famille et à l’amitié, je me sais désarmé.

Ismaël reprend d’un ton très bas:
— Vous venez de faire un beau baroud d’honneur. Beaucoup ne sont pas allés si loin. Ils ont cédé dès qu’ils ont vu les cordes. Ils n’ont même pas attendu qu’on les lie. Pensez maintenant à votre véritable devoir, envers les vôtres, envers votre ami. Vous voyez, j’ai renvoyé Seydou. Je le sais trop hostile. Je ne voulais pas que son influence fût néfaste. Que décidez-vous?

J’acquiers la certitude que mon ami [Sékou Touré] m’a sacrifié, délibérément, qu’il a consenti que je serve des plans ambitieux et tortueux, qu’il a même accepté la torture que je viens de subir.
Je regarde Ismaël.
— Pourquoi me demande-t-il de penser à mon épouse, à mes enfants. Qu’entend-il par là?
— Ne faites pas l’idiot! Quand vous avez lu cette lettre, votre attitude m’a éclairé. Le président est persuadé qu’il existe entre vous une très réelle amitié, depuis vingt ans. Je ne le croyais pas et ai soutenu le contraire.

Maintenant, je suis tenté de l’admettre. Le président reste cependant un homme d’État et, autour de lui, nous sommes décidés à régler définitivernent tous les problèmes. Oui, pensez à votre fils que je suis déterminé à amener ici si vous vous obstinez à nous résister, si vous faites fi de cette amitié qui s’offre à nouveau.

Il s’arrête quelques secondes, baisse ête, hésite, reprend enfin :
— Je le ferai même s’il me l’interdit. Je me suis peut-être trompé sur votre compte. Il est trop tard maintenant pour redistribuer les jeux et effacer le passé. Il faut aller de l’avant. Nous pouvons faire en sorte, tous deux, que ce passé même serve la Révolution, sauve la cause que votre ami défend depuis tant d’années. C’est en ce sens qu’il vous demande de penser aussi à lui.

Il s’arrête encore. Je ne retenais plus les lourdes larmes qui consommaient ma défaite. Devant ce chantage à la famille et à l’amitié, je me sais désarmé.
Ismaël reprend d’un ton très bas:
— Vous venez de faire un beau baroud d’honneur. Beaucoup ne sont pas allés si loin. Ils ont cédé dès qu’ils ont vu les cordes. Ils n’ont même pas attendu qu’on les lie. Pensez maintenant à votre véritable devoir, envers les vôtres, envers votre ami. Vous voyez, j’ai renvoyé Seydou. Je le sais trop hostile. Je ne voulais pas que son influence fût néfaste. Que décidez-vous?

Je poussai un long soupir. Adieu la vie, adieu la liberté, Tenin et l’enfant que je ne connaitrai pas. Je vais engager le cou dans un noeud coulant et la corde est tenue par cet homme, devant moi. Malgré ses paroles lénifiantes, je ne suis pas dupe de la haine qui transsude de chacun de ses pores. Mais que faire? Laisser arrêter Jean-François ? Laisser jeter Tenin à la rue dans son état , la réduire à la mendicité, à la prostitution?

Il est tellement évident maintenant que le président Sékou Touré m’a abandonné à la meute.
— Que voulez-vous exactement de moi? Je suis prêt à signer la déclaration que vous préparerez.

Ismaël se redresse avec un sourire radieux. Il me regarde longuement et, ma foi, je ne comprends plus. Il me semble, à cet instant, que la certitude du triomphe vient d’éteindre, d’un coup, la haine que cet homme nourrissait en lui. Son regard, prend, en quelques secondes, une autre expression.

— Camarade Alata, maintenant, tu redeviens pour moi un camarade de combat. Camarade Alata, j’ai préparé une déclaration en ton nom. Nous allons la revoir ensemble, la retoucher. Tu y apporteras quelques détails que je ne saurais connaitre et qui l’authentifieront mais, avant, Oularé, va chercher du café au lait chaud et du pain.

Me blâme qui voudra, qui, surtout, n’a pas connu cette sensation de vide total que provoque un jeûne absolu de six jours, j’absorbe mon déjeuner de grand appétit. Chaque bouchée de pain, largement imbibée de liquide bien chaud, je la sens descendre à l’estomac et répandre des ondes de chaleur jusqu’aux orteils. Je me débrouille cornme je le peux, coinçant le pain entre le dos de mes mains et me jure, ce jour-la, de respecter toute nourriture que la destinée me réservera.

C’est terminé. Je repousse mon pot émaillé. Le ministre qui m’a regardé paternellement durant tout ce repas sourit, et :
— Nous pouvons travailler maintenant.

A travers la table il pousse vers moi une liasse de feuillets.
— Prends connaissance, camarade. Qu’en penses-tu? J’ai laissé quelques blancs. Il s’agira de les combler judicieusement.
Je lis et ne peux retenir, à plusieurs réprises, des sursauts. Je relève la tête, rencontre le regard curieux d’lsmaël, hésite puis poursuis ma lecture.

Ahurissant. Dans ce document, je m’accuse de tous les péchés d’Israël. J’ai trahi la Révolution, n’ayant, en fait, intégré le mouvement que pour l’espionner pour les autorités françaises. J’ai dirigé les actions des ennemis du Parti, de l’extérieur commc de l’intérieur, les ai renseignés sur les moindres actes ou paroles du président. Quant à la récente agression portugaise, non seulernent, j’avais préparé l’opération mais devais y jouer un rôle actif. Les lacunes volontairement disséminées dans le texte ne concernent que des détails comme des lieux de rendez-vous, voyages à l’étranger, évènements personnels m’ayant touché et obligé de modifier mes plans…

Enfin, pour couronner le tout, je racontais avoir usé de mes postes administratifs successifs, surtout de mon passage au Commerce intérieur pour exercer un chantage éhonté sur les commerçants étrangers et m’être ainsi enrichi effrontément.

Je prends une profonde inspiration. Il ne peut tout de même pas exiger que je signe un tel tissu de mensonges et d’incohérences !
— Ne croyez-vous pas que c’est un peu gros, camarade ministre? Vous savez parfaitement que rien de tout cela n’est vrai. En outre, cela parait tellement invraisemblable !

Il rit.
— Nous ne cherchons pas le vraisemblable. L’expérience nous a, cent fois, appris que c’est l’invraisemblable qui est souvent vrai. Ce sont les faits de corruption qui te chagrinent ?

Je hausse les épaules.

— Même s’ils étaient exacts, vous ne pourriez arrêter tous les fonctionnaires guinéens corrompus, à commencer par les ministres. Le camp ne serait pas assez grand. Le président est au courant de chaque cas. Pour moi, il sait que j’ai vécu, depuis dix ans, sur les économies réalisées quand j’étais armateur de péche et expert comptable. Non, ce qui me parait gros, c’est cette affirmation que j’ai voulu porter les armes contre le pays alors que tout Conakry m’a vu me battre sur la plage derrière ce camp.

Le ministre paraît s’inquiéter.
— Me serais-je, encore une fois, trompé sur ton compte? Faudrat-il revenir à d’autres arguments? Crois-tu pouvoir me lanterner encore longtemps?
— Tout ce que je demande, c’est de supprimer ce passage. J’accepterai la corruption et même la trabison mais n’exagérez pas, pour la lutte armée! Il faut que ceux qui me connaissent bien puissent croire, au moins en partie, ce que je vais signer. C’est votre propre intérêt. Agir autrement, ce serait accréditer le bruit qui circule déjà que vous n’obtenez ces aveux qu’à la suite de pressions inadmissibles.

Ismaël hésita longtemps encore. Derrière mon dos, je sentais Oularé aux aguets qui s’était rapproché du tabouret. Enfin, il me tendit des feuillets vierges, un stylo.
— Vas-y, je te fais encore une fois confiance !
J’indique mes mains d’un signe de tête.
— Dicte à l’adjudant Lenaud.

Un second gradé de gendarmerie est apparu dans la pièce. Plus petit qu’Oularé et très fluet, il porte, sur son visage, les stigmates d’une maladie qui le ronge. J’apprécierai par la suite cet homme, de loin le plus humain, probablement le seul des geôliers qui ait conservé le sens des proportions et du raisonnable.

Ismaël Touré relut attentivement la rédaction proposée d’où j’avais soigneusement banni toute allusion à l’affaire du 22 novembre, ne voulant, en aucun cas, qu’on puisse la retourner contre mon fils.

— Astucieux mais je suis d’accord. J’espérais beaucoup plus de toi, mais n’insistons pas, pour le moment.
Tout fut, dès lors, terminé en une heure. J’étais épuisé. La tension nerveuse qui m’avait soutenu se relâchait.

— Nous nous reverrons très bientôt, promit Ismaël. Maintenant tu peux tout espérer. Oularé raccompagnez notre ami au camp. Faites-le changer de régime. Qu’on le traite bien.

Je me levai péniblernent pour regagner la Jeep. Le déjeuner me semblait bien loin. J’avais terriblement mal à la tête et tout tournait autour de moi. Le ventre était complètement insensibilisé. Si je pouvais mouvoir mes bras avec assez de coordination, les mains, au bout de poignets endoloris, étaient de bois.

Le ministre me considéra une dernière fois avec attention.
— Vous lui ferez donner une autre tenue! Egalement, n’oubliez pas de le faire soigner. A bientôt.

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konakryexpress

Je revendique le titre de premier clandestin à entrer en Italie, le jour où la mort de Che Guevara a été annoncée. Mais comme ce serait long de tout décrire, je vous invite à lire cette interview accordée à un blogger et militant pour les droits humains qui retrace mon parcours dans la vie: https://fr.globalvoices.org/2013/05/20/146487/

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