Entre racisme, violence, insultes et harcèlement de la police, le quotidien des Afro-Colombiens

Le débat sur le racisme et les violences de la police a explosé sur les réseaux sociaux en Colombie en 2015 avec la publication d’une vidéo sur l’arrestation par la police d’un Afro-Colombien nommé Carlos Angulo. Bien qu’il se soit passé plus d’un an depuis sa première publication, le débat autour de ce que les images révèlent sur la justice (ou l’absence de celle-ci) ne s’est guère éteint.

La vidéo montre Angulo en route vers 8 heures du matin, lorsqu’il est arrêté et fouillé par la police. À en juger par sa réaction, cette situation n’est pas extraordinaire pour lui. Angulo élève la voix et semble frustré, tout en protestant clairement contre le racisme, défendant les droits civils et dénonçant la discrimination qu’il dit souffrir au jour le jour en Colombie.

https://www.youtube.com/watch?v=_wleOYnofOA

Vienen pasando cada cinco minutos más de 200 personas y escoges exactamente a los dos negros que vienen pasando para requisarles. Y nos detienes, y asumes una actitud grosera […Pero] claro, somos iguales ante la Ley. Son las ocho de la mañana… ¡Es normal que lleve prisa! Pero mi prisa es sospechosa […] Para el patrón es sospechoso que llegue tarde y para ustedes es sospechoso que vaya rápido […] ¿Me pones entre la espada y la pared y luego me tratas de extremista?

Il y a plus de 200 personnes qui passent toutes les cinq minutes et vous choisissez exactement les deux seules noires pour les fouiller. Et vous nous arrêtez, et vous nous traitez grossièrement [… Mais] bien sûr, nous sommes égaux aux yeux de la Loi. Il est huit heures du matin … Il est normal que je sois pressé ! Mais ma hâte est suspecte […] Pour mon patron, c’est suspect que j’arrive en retard, et pour vous, c’est suspect de marcher vite […] Vous me mettez entre le marteau et l’enclume, puis vous m’appelez extrémiste ?

La discussion qui en résulte sur la vidéo et le racisme quotidien dont elle est la conséquence a été largement débattue. De nombreuses organisations qui défendent les droits des Afro-Colombiens ont réagi en condamnant la manière dont la discrimination de la part de la police, les oblige à vivre dans un environnement hostile dans leur propre pays.

Selon le militant Aiden Salgado Palenquero, membre de l’organisation Conafro – Marcha patriótica :

…Indudablemente, lo que le pasó a Carlos es pan de cada día para los jóvenes afrocolombianos. ¿Cuántos de nosotros hemos armado protestas como estas? No es la primera vez que a Carlos lo detiene un policía; muchos de nosotros y hemos pasado por este mismo hecho, y no solo en Bogotá. Esto sucede en Medellín, Cartagena, Barranquilla, Cali, Pereira, en todo el país y fuera de él…

Sans aucun doute, ce qui est arrivé à Carlos est une réalité quotidienne pour les jeunes Afro-Colombiens. Combien d’entre nous ont protesté comme ça ? Ce n’est pas la première fois que Carlos est retenu par la police ; beaucoup d’entre nous sommes passés par là, et pas seulement à Bogotá. Cela se produit à Medellín, Cartagena, Barranquilla, Cali, Pereira, partout dans le pays et au-delà …

Pour beaucoup d’internautes, comme ces luttes reçoivent peu d’attention en Colombie, le sujet est souvent discuté dans le cadre des violences policières à l’égard des Noirs aux États-Unis et du militantisme qui l’entoure. Cependant, le racisme dans l’application de la loi est loin d’être un phénomène exclusivement nord-américain, comme l’a souligné l’article d’Andrés Páramo Izquierdo dans le magazine Vice :

“…de acuerdo con la Encuesta de Policía y Desigualdad, desarrollada por ese centro, las personas afro o indígenas que tienen encuentros con la policía son requisadas el 32% de los casos; el resto de la población, el 26%. Los perfiles de hombres de raza negra hechos en Cali muestran cómo el prejuicio gana de forma sistemática: no solamente la policía los aborda de forma agresiva y preventiva, sino que siempre hay una mención a la raza: « este negro », « ese negro tan agresivo, hijueputa », « negro hijueputa », « ah, que deje la bulla, negro hijueputa »…

… selon l’Enquête sur la police et l’inégalité réalisée par ce centre, les personnes d’ascendance africaine et les populations autochtones qui croisent la police sont interrogées dans 32 % des cas; pour le reste de la population, le chiffre est de 26 %. Les profils des hommes noirs à Cali montrent comment les préjugés gagnent systématiquement : non seulement la police les approche de manière agressive et suspicieuse, mais il y a toujours une mention de la race: « ce nègre », « ce nègre tellement agressif, fils-de-p… « ,  » oh, arrête de faire du tapage, nègre-fils-de-p… »….

Il y a eu également des avis divergents sur les médias sociaux à propos de la représentation du racisme. Pour Felipe Arias-Escobar, le problème en Colombie est la difficulté à identifier la discrimination dans le pays lorsqu’elle ne correspond pas aux acceptions communes du racisme :

Un grand problème dans le débat sur le racisme en Colombie est que nous ne rencontrons pas de ségrégation « institutionnelle » ou stéréotypée.

D’autres vidéos ont également suscité des controverses. L’une, partagée par l’utilisateur La Cabellera de la Noche, montrait une confrontation entre la police et un groupe de jeunes Afro-Colombiens. Cependant, ce qui attire l’attention plus que le contenu de la vidéo lui-même, ce sont les commentaires qu’elle a générés :

Les réactions à cette vidéo parlent d’elles-mêmes, et il y a des gens qui osent nier que le racisme existe en Colombie, #Journée de l’Afro-Colombianité

Tweets de @NueveYDos: Les Afro-Colombiens sont aussi agressifs, les Afro-Colombiens commettent des crimes, consulter les statistiques de la criminalité en Colombie, vous serez surpris

Recherchez les causes de la criminalité dans la population afro-colombienne [et leur relation avec le manque d’]opportunités dans tous les domaines et vous serez surpris !

La justice ferme sélectivement les yeux

On manque de données sur la situation des personnes d’ascendance africaine dans toute l’Amérique latine et leur relation avec la police et le système judiciaire. Selon le rapport de l’UNICEF intitulé « La justice pénale pour les jeunes : situation et perspectives en Amérique latine et dans la Caraïbe » (en espagnol, pdf), dans la plupart des pays de la région il n’existe pas de données officielles permettant de mieux appréhender ces discriminations, et le rapport souligne que le nombre limité ou l’absence de données statistiques constitue également une forme de discrimination. Ainsi, en Équateur, au Nicaragua ou au Venezuela, les statistiques qui décrivent la situation sociale des communautés d’ascendance africaine sont rares ou inexistantes, même si la population incarcérée comprend un nombre important de jeunes d’ascendance africaine.

Le rapport indique, aussi, que les politiques de sécurité qui sont souvent défendues par les secteurs les plus conservateurs de la société « dépeignent les adolescents et les jeunes [d’ascendance africaine] comme dangereux [et avec cela] les préjugés racistes s’ajoutent aux vulnérabilités sociales et aux phénomènes tels que les gangs et le trafic de drogue. »

Pour les mouvements qui défendent les droits des personnes d’ascendance africaine, les problèmes de harcèlement de la part de la police, la criminalisation des jeunes et un accès limité à la justice non seulement existent, mais font partie intégrante du racisme structurel dans le système judiciaire. Beaucoup de ces organisations attirent l’attention sur ces inégalités depuis un certain temps, à l’ échelle nationale et internationale.

Parallèlement, les jeunes issus des communautés d’ascendance africaine reçoivent des peines plus sévères ou des mauvais traitements particulièrement graves en prison, comme le montre une étude de Felipe González et Jorge Contesse et un rapport du bureau colombien du Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme :

…En centros penitenciarios como la cárcel distrital “La Modelo”, ubicada en Bogotá, los afrodescendientes “carecen incluso de lugar para dormir y se han visto obligados a ocupar, como los más pobres entre los pobres, un intersticio entre dos pabellones (por donde pasan los tubos de agua y desagüe, y los cables de electricidad) […] [Muchos] están en prisión por varios años y su situación revela la falta de una defensa profesional idónea.

…. Dans les établissements correctionnels comme la prison du district « La Modelo », située à Bogotá, les individus d’ascendance africaine « n’ont même pas de lieu où dormir et se voient obligés d’occuper, comme les plus pauvres des pauvres, l’espace entre deux blocs (où passent tuyaux d’eau et de vidange ainsi que les câbles) […] [Beaucoup d’entre eux] sont en prison depuis plusieurs années et leur situation révèle l’absence d’une défense professionnelle appropriée.

Auteur de ce billet originalement publié sur Global Voices : Shirley Campbell Barr, poète, anthropologue et militante des droits humains.

Traduit de l’espagnol en anglais par Kitty Garden, une polyglotte anglo-néozélandaise qui a vécu sur tous les continents.

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