Les Afro-Tchèques s’expriment sur la visibilité, le racisme et la vie en République tchèque (Partie II)
Longtemps invisibles, les Afro-Tchèques, l’une des plus petites communautés de la République tchèque, émergent progressivement et s’expriment en public.
Ce billet est le deuxième d’une série en deux parties sur leur lutte pour la reconnaissance dans le pays d’Europe centrale. On peut lire la première partie ici [fr].
Alors que la République tchèque est considérée comme un pays sûr et pacifique, occupant la huitième place dans le classement mondial de l’indice de paix de Vision of Humanity, il existe des cas de racisme réguliers et documentés, principalement envers la communauté rom, mais aussi d’autres minorités.
L’activisme autour de Black Lives Matter (BLM) qui est devenu mondial a eu peu d’échos avec des manifestations qui n’ont rassemblé que peu de participants.
Une exception notable a été le taggage d’une statue de Winston Churchill à Prague avec des mots le décrivant comme raciste.
Une statue de Winston Churchill à Prague a été taguée avec des graffitis, rapporte
La danseuse et chanteuse tchéco-angolaise Madalena João. Photo de Lucie Baldé, utilisée avec permission.
Madalena João, citoyenne tchèque d’origine africaine, a partagé son expérience du racisme avec Global Voices:
J’ai lu que la République tchèque occupait la 8e place du classement mondial des pays les plus pacifiques. Si c’est vrai, c’est une bonne évaluation, même si elle est parfois difficile à croire. C’est cool de voir que nous sommes plus nombreux, comme on nous appelle, des «personnes de couleur» qui travaillons, créons, chantons, faisons du rap, écrivons ou nous sommes en quelque sorte visibles. Je pense que nous sommes chez nous ici, et nous voulons nous sentir en sécurité ici. Je suis plus préoccupée pour mon fils, car il a été victime de propos racistes. Cela vient des familles et dépend de la façon dont les parents élèvent leurs enfants.
Obonete Ubam. Photo de Filip Noubel, utilisée avec permission
Obonete Ubam, qui a inventé le terme “afro-tchèque”, a sa propre explication de ce qu’il décrit comme une résurgence du racisme dans son pays natal:
Pour la société tchèque, accepter qu’une personne non blanche puisse être tchèque est trop inhabituel et souvent intolérable. Nous sommes toujours la cible de stéréotypes et de rejet. Ceci est lié aux discours de non-acceptation ou de haine de ces dernières années initiés par la crise des migrants. La tendance à résister aux influences étrangères démontre notre complexe d’infériorité en tant que nation: notre indépendance a souvent été refusée et les porteurs d’éléments étrangers sont venus ici pour des avantages personnels.
Il y a un problème de plafond de verre ici: vous commencez à vous demander jusqu’où vous pouvez aller avant de le toucher? Où est exactement ce point de votre carrière que vous ne franchirez pas, car en tant que personne non blanche, vous ne devriez pas?
Peut-être vivons-nous simplement à une époque qui ne nous est pas très favorable. Si l’histoire nous a appris quelque chose, c’est parce que nous traversons tous des hauts et des bas. Les centres les plus importants de la civilisation humaine se sont déplacés à travers les siècles d’un continent à l’autre. L’Afrique, l’Asie et l’Arabie étaient à un moment donné le centre du monde. Aujourd’hui, c’est la civilisation occidentale, mais rien n’est éternel.
Selon Martin Kříž, la mondialisation peut expliquer en partie le racisme en République tchèque:
La mondialisation fonctionne bien, surtout pour les jeunes urbains et les milieux d’affaires. Le fait que le monde global soit de plus en plus intégré et que davantage d’étrangers s’installent en République tchèque n’apporte aucune joie aux personnes d’âge moyen des régions en marge du pays, car de leur point de vue, la mondialisation est considérée comme source de moins de possibilités d’emploi et de stress dû au changement. Il ne faut donc pas s’étonner qu’ils ressentent le racisme ou la xénophobie.
Pour la communauté rom, cependant, le mouvement BLM offre un moyen de recentrer les conversations sur le racisme anti-rom dans l’actualité. Monsieur Kříž indique:
Aux États-Unis, il est incontestable que les Afro-Américains ont souvent moins de chances d’obtenir une bonne éducation et de bons emplois malgré leurs efforts. Dans le contexte tchèque, il existe un parallèle avec la communauté rom, mais c’est un cas assez différent.
N.B.: Le magazine en ligne rom Romea couvre régulièrement la question BLM et a récemment rendu compte [cze] d’une manifestation BLM qui a eu lieu à Prague le 16 juin.
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Ce billet que j’ai traduit de l’anglais a été écrit par Filip Noubel pour globalvoices.org, qui l’a publié le 29 juin 2020. Filip est rédacteur en chef de Global Voices.