Depuis le 28 septembre 1958, date du fameux référendum qui a permis à la Guinée de se libérer du joug colonial, ce mois a toujours été synonyme de douleurs, d’arrestations arbitraires, de violences, de deuils et de destructions de biens.
De son passage au gouvernement de feu le Général Lansana Conté, il est difficile de retenir des faits marquants à son actif dans l’établissement d’un état de droit ou pour une tentative de réhabilitation des victimes innocentes du régime dictatorial. Pourtant, il faisait partie de l’Association des victimes du Camp Boiro.
Je l’ai connu durant un séjour qu’il a effectué à Vienne, dès sa libération. Il était jovial et plein d’anecdotes marrantes. C’est ce qui explique qu’il était populaire parmi les autres prisonniers au Camp Boiro car il réussissait à rendre la vie carcérale moins pénible.
Il est auteur de deux ouvrages : « Camp Boiro. Parler ou périr » et la « Guinée peut –elle être changée?’’. C’est de son premier livre que je tire le billet que je vous propose aujourd’hui.
Son arrestation s’inscrit dans la vague de répression que le gouvernement tyrannique de Sékou Touré déclencha après l’agression portugaise du 22 novembre 1970 contre la Guinée pour libérer le fils d’une haute personnalité du régime fasciste d’António de Oliveira Salazar, prisonnier du Parti Africain de l’Indépendance de la Guinée Bissau et du Cap Vert (PAIGC).
Dans la préface de ce livre, le Prof. Djibril Tamsir Niane, qui a aussi passé au Camp Boiro certaines de ses années au courant desquelles il aurait pu, s’il était libre, apporter le meilleur de lui-même pour le développement de la Guinée, nous présente le climat de terreur dans lequel notre peuple vivait:
Le Comité Révolutionnaire et le Tribunal Révolutionnaire travaillèrent en permanence à partir de novembre 1970. Arrestations de jour comme de nuit, sur les lieux de travail, à domicile ou sur la route. Une simple dénonciation suffit ; point n’est besoin de preuves. Tous les présidents de comité (les chefs de quartiers) étaient habilités à arrêter tout suspect. Une fois en prison, l’auteur découvre l’autre face de la Révolution ; le monde de la torture, de la faim, des interrogatoires, des sévices corporels, des exécutions sommaires. C’est au milieu des souffrances, de l’humiliation d es traitements infamants que notre auteur, ayant subi ce qu’il a subi, se jura de témoigner devant la conscience humaine, au nom des droits de l’homme, dont le camp Boiro est la négation.
Il devait être 1h05 lorsque je fus déposé dans la cellule 5. C’était ma première cellule. Personne ne dormait car à Boiro tous les évènements importants se passaient la nuit. Il avait fallu plusieurs minutes pour que mes yeux s’adaptent à la pénombre, avant de pouvoir m’orienter et dénombrer les silhouettes. Conformément à la tradition je déclinai mon identité et mes fonctions, après quoi ce fut le tour de chacun de mes nouveaux compagnons. Le protocole d’arrivée ainsi terminé, la question qui suivait était toujours la même :
— Pourquoi as-tu été arrêté ? C’était toujours aussi la même réponse :
— Je ne sais pas.
En effet, on se retrouvait toujours à Boiro sur dénonciation, par convocation ou par kidnapping, à des heures indues et en des lieux inappropriés. Après cette formalité, je fis connaissance avec mes compagnons de cellule :
- Kaba Lamine, ex-gouverneur de Guekedou, mort en prison deux ans après
- Camara Mamadouba, chauffeur de Emile Cissé, libéré après plusieurs années
- Barry Oumar Rafiou, commissaire de police, mort à Boiro
- Camara Daouda, un militant du Front de Libération nationale de Guinée-Bissau (FLING), parti rival du PAIGC d’Amilcar Cabral. Libéré après plusieurs années
Mes yeux s’étant habitués à l’environnement, je fis du regard le tour du propriétaire. C’était une pièce d’environ 3m sur 3,50 avec des murs de 3 mètres de haut, sans plafond. Au fond dans le coin droit, recou
— Cela te passera, nous avons tous connu cela.
Comment d’ailleurs avoir faim après une nuit d’insomnie, entièrement consacrée à penser à ma famille ? Pendant ce temps, d’après mon épouse, à la maison après mon départ, le reste de la nuit comme il fallait s’y attendre s’était passé en pleurs. Très tôt le matin, les miliciens étaient venus vider la maison de tout ce qui était transportable : nourriture, boissons, livres, disques et appareils, habits y compris ceux de nos enfants.
Il avait certainement fallu à mon oncle Linseni Bangoura beaucoup de tact et de ruse, pour les convaincre d’accepter de remettre à la famille le seau de riz qu’il avait tenu à déposer lui-même très tôt le matin. Il avait pris soin de glisser des billets de banque au fond. Pendant les trois premiers jours qui ont suivi mon arrestation, ma famille était entièrement consignée à la maison. Aucune visite n’était autorisée. Le téléphone qui devait être coupé était finalement resté en marche, grâce à la complicité de l’oncle qui était directeur des télécommunications. Ainsi grâce à lui, la famille avait pu contourner le « blocus » pour rester en contact avec l’extérieur, et bénéficier d’un précieux soutien moral. Auparavant Madany Kouyaté, un ami de la famille, avait été dépêché à Dalaba, ville située à plus de trois cents kilomètres. Il avait une difficile mission, celle d’aller voir ma belle-mère et lui annoncer la mauvaise nouvelle, dans l’espoir de prévenir toute réaction imprévue. Ce fut une très bonne initiative. Après quelques jours de réclusion à la maison, une fois le siège levé, la famille avait fait le tour des permanences du parti en quête d’informations. Finalement c’est par des sources non officielles qu’elle apprendra mon incarcération au Camp Boiro.