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Camp Boiro: La libération d'Alsény René Gomez, après 7 ans de prison

Le 31 Mars 2012, Alseny René GOMEZ s’éteignait à Paris des suites d’une longue maladie. Après avoir passé 7 ans au Camp Boiro, sous le régime sanguinaire de Sékou Touré, il était allé passer quelques mois à Vienne, en Autriche, chez un ami, où j’ai eu l’occasion de le connaitre. C’était une personne très attachante, qui savait tellement raconter des histoires pour rire qu’au Camp Boiro, il était fameux pour le soutien qu’il apportait à ses compagnons de malheur. 

À sa libération, il a occupé plusieurs postes de hautes responsabilités. Il a été notamment ministre de l’intérieur et de la sécurité, ambassadeur de Guinée au Libéria, secrétaire général à la présidence de la République sous le Général Lansana Conté. 

 Malheureusement, bien qu’étant membre de l’Association des victimes du Camp Boiro, il est difficile de retrouver un seul un acte positif qu’il ait posé pour que les martyrs de la révolution aient la justice, l’identification des fosses communes, la réhabilitation ou la restitution de leurs corps et le reste de leurs biens à leurs familles.

 Il est l’auteur de deux ouvrages :’’Parler ou Périr’’ (accessible gratuitement sur campboiro.org) et « La Guinée peut –elle être changé? »(qu’on peut acheter en ligne). C’est du premier livre que j’ai tiré le passage que je vous propose aujourd’hui.

Le Retour dans la Famille

Mois de mai 1979, comme à l’approche de chaque anniversaire du PDG, C’était l’espoir dans les familles et dans les cellules. D’un côté avec le frigidaire garni, et le pyjama neuf soigneusement rangé dans l’armoire, puis côté cellule, où l’on avait déjà dressé la liste de ceux qui devaient hériter de la vieille couverture, de la tenue délavée, ou des ustensiles fabriqués localement. Depuis plusieurs jours déjà, bien avant la date anniversaire du parti le 14 mai, nous étions prêts et nous attendions. Dès le 9 mai j’avais expédié ma dernière note et demandé de suspendre momentanément le courrier.

L’école de la vie

Ma scolarité tire bientôt à sa fin. Dans quelques jours je serai parmi vous, revenant de l’école, celle que l’on appelle l’école de la vie. On n’y entre non sur demande ou concours, mais par simple convocation. Si pendant tout ce temps vous n’avez reçu aucun bulletin de notes, sachez qu’on n’en délivre pas. La scolarité était de cinq ans pour les promotions précédentes. Mais la nôtre qui était exceptionnelle a eu à faire des spécialités diverses. Chez nous les mauvais élèves ne sont jamais renvoyés, et tous ceux qui finissent en sortent diplômés.

A maintes reprises j’ai eu à côtoyer la mort, à me familiariser avec elle, mais jamais à la souhaiter. Je l’ai combattue pour les autres et pour moimême, mais plus d’une fois elle a eu le dernier mot. Ainsi j’ai fini par comprendre que la mort n’avait rien d’épouvantable, et que la vie valait la peine d’être vécue. J’étais entré sans foi et j’en ressortirai plein de foi.
Foi en moi-même, car j’ai appris à mieux me connaître.
Foi en vous, épouse, enfants, maman et parents, qui n’avez jamais cessé de croire en moi et d’espérer.
Foi en Dieu, car en ces lieux et dans ces circonstances, il était impossible de croire à d’autres lois que les siennes.
C’est ainsi qu’il m’a appris que :

« Là où il y a la liberté
Là est le paradis sur terre,
Là est la seule patrie de l’homme »

Ce fut ma derniére note.

 Ma libération

A présent que tout avait été réglé il fallait attendre, et comme dit un proverbe bien Soussou :
« Lôkhè boukhi nan na, lôkhè fâtaré mou na » Des jours lointains, il y en a toujours, mais jamais de jour qui n’arrive pas.

Le 13 mai vers 20h00, je me trouvais à l’infirmerie, lorsque le major Sakho fit son apparition. Il venait tout droit du bureau de Siaka Touré :

— Je crois qu’il va y avoir libération, dit-il, on vient tout juste d’amener la liste. Je n’ai pas pu la lire, mais je pense que l’opération est imminente.

Je venais tout juste de raccrocher ma blouse blanche. Les détenus avaient rejoint leurs cellules, mais les portes étaient restées ouvertes. En rejoignant ma cellule, j’avais eu le temps de propager la bonne nouvelle sur mon passage. Trente minutes plus tard, le papier était arrivé au poste de police. Nous étions dix-huit sur la liste. A notre sortie du Bloc nous avions fait un bref arrêt au bureau de Siaka Touré, le temps de recevoir les dernières recommandations.

Puis comme tout le monde, j’avais reçu un certificat de libération en date du 13 mai 1979, confirmant que j’avais été gracié par le Responsable Suprême de la Révolution. Après cette formalité nous avons été livrés dans nos différentes familles comme des colis. Quant à moi, je fus ramené chez mon oncle, car j’ignorais le domicile de ma famille. D’ailleurs, même si je le savais je ne pouvais pas le dire, sans que l’on me demande comment je l’avais su.

Arrivé au quartier Sans-Fil, en franchissant la porte du salon pour aller me jeter dans les bras de ma tante, j’ai dépassé sans même m’y attarder, un adolescent qui était à la porte. Puis le pointant du doigt ma tante me dit :

— Voilà ton fils.
Alors, en une fraction de seconde j’avais pu mesurer le temps passé en prison, et tout le préjudice fait à ma famille.

Après avoir embrassé mon fils, je fus conduit, coutume oblige, au bord de la mer pour un bain de purification, tout juste derrière les bureaux des anciens combattants, tout un symbole. De là j’ai été conduit accompagné de mon fils à Dixinn, dans la concession familiale. Ma femme, qui avait été informée par ma tante, n’avait pu attendre à la maison. Elle avait donc décidé d’aller à Dixinn à notre rencontre. Quel bonheur de retrouver mon épouse, ma mère et mes soeurs. Il avait fallu à ma tante beaucoup de tact et de persuasion pour m’arracher à la foule des voisins et amis du quartier, où tout le monde connaît tout le monde. Puis ce fut le départ pour la maison, celle qui allait devenir maintenant ma maison. Par coïncidence il se trouvait que le 13 mai était la date anniversaire de Yayé Aye, une belle-soeur.

Lorsque je suis arrivé le premier à la porte du salon, les décibels et la lumière inondaient la pièce. Personne ne faisait attention, car personne dans l’assistance ne me connaissait. Puis tout s’est arrêté tout d’un coup, lorsque mon épouse, qui était derrière, est rentrée à son tour. La soirée d’anniversaire était achevée, et une autre commençait pour moi, qui allait se prolonger presque jusqu’au petit matin, avec les visiteurs qui venaient voir et toucher l’extra-terrestre que j’étais. Au milieu des pleurs des proches et la curiosité des autres visiteurs, une lueur d’espérance pour l’avenir. On dit que bon sang ne peut mentir. C’est ainsi qu’après avoir embrassé ma fille, qui avait quatorze mois à mon arrestation, et qui avait eu ses neuf ans à présent, celle-ci était sortie en courant pour aller interpeller ses copines :

— Venez voir, moi aussi, j’ai un père.

Je crois que c’est à partir de ce moment que je me suis senti réellement libéré.
La première semaine de liberté est toujours épuisante. Beaucoup de mains à serrer, et très peu de visages retenus. Surtout des nuits blanches au cours desquelles nous avions eu à revivre en huit jours, huit années d’absence. Puis par Décret no. 210 en date du 21 mai 1979, j’apprenais avec étonnement que j’avais été effectivement condamné et emprisonné à la prison civile de Conakry. Moi, qui croyais avoir fait tout mon temps au Camp Boiro, je ne me retrouvais plus. J’avais oublié que la République Populaire et Révolutionnaire de Guinée n’avait pas de détenus politiques. Je n’étais que le quatre cent vingt-trois (423ème) détenu de droit commun ayant bénéficié d’une remise sur une peine de durée inconnue, à l’occasion de la fête du PDG.

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Décret portant sur une remise peines, libérant un certain nombre de prisonniers

Après ma sortie, je fus très soulagé par le soutien moral et matériel de ma famille. Avec ma première voiture offerte par mon oncle Linseni, je m’étais tout d’abord rendu à Dalaba, où se trouvait ma belle-famille afin de pouvoir profiter non seulement du climat et de la quiétude des lieux, mais aussi pour passer quelques bons moments auprès de ma belle-mère et de ma fille, qui s’y trouvait. Après ce séjour, faute d’autorisation de sortie pour l’extérieur, j’avais pu finalement profiter de la généreuse hospitalité de mon ami d’enfance, Coumbassa Abdoulaye, dit Durac, directeur des douanes à Kamsar une ville industrielle située à 300 kilomètres de la capitale. Ainsi grâce à ses relations, j’ai pu bénéficier gratuitement d’une prise en charge par l’hôpital de la compagnie CBG, dont les équipements et le personnel étaient de très grande qualité. Finalement les dégâts physiques étant circonscrits et jugés acceptables, il me restait une dernière obligation.

La cérémonie de ma conversion à l’Islam

Ma reconversion avait eu lieu en prison. Ce qui y avait été fait pouvait être considéré comme suffisant pour la circonstance. Après ma libération, j’avais tenu à refaire la cérémonie dans une mosquée et surtout avec la participation de la famille et des proches. Malheureusement cela se fit en l’absence de mon oncle Linseni décédé depuis. Ce fut pour moi un grand regret, mais nous étions impuissants devant la volonté de Dieu. C’est pourquoi j’avais tenu à ce que la cérémonie ait lieu à la mosquée de Sans-Fil, celle qu’il fréquentait.

Ce fut une cérémonie émouvante et inoubliable. En plus des membres de ma famille, j’avais hautement apprécié la présence d’Elhadj Boubacar, le fils aîné de l’Almamy, venu spécialement de Mamou en compagnie de son jeune frère Docteur Barry Kandia, un compagnon de Boiro. C’est à l’occasion de ce baptême que je décidai de prendre comme prénom Alsény, en souvenir de mon oncle.
Sans affectation et sans travail, je continuai mon repos.

Cependant, j’étais mal à l’aise car il me manquait quelque chose. Une partie de moi était encore à Boiro. A défaut de pouvoir l’en sortir, il fallait l’assister moralement et matériellement. J’avais ainsi réussi à maintenir le contact avec les derniers compagnons au bloc, et à continuer à faire de fréquentes visites dans leurs familles. Bien entendu il y avait d’autres détenus à Boiro, car depuis sa construction cette prison n’a jamais été vidée de la totalité de ses occupants, excepté le jour de l’agression du 22 novembre 1970, lorsque les agresseurs étaient venus ouvrir les portes et libérer tous les prisonniers. Les anciens, ceux de ma promotion, ceux-là étaient une partie de moi-même.

Il aura fallu attendre le 22 novembre 1980, pour que je sois enfin complètement libéré, car Yoro DiarraKeita Ousmane, et Diallo Alpha Abdoulaye Portos étaient revenus chez eux.
Ils étaient les derniers survivants de la 5ème colonne.

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konakryexpress

Je revendique le titre de premier clandestin à entrer en Italie, le jour où la mort de Che Guevara a été annoncée. Mais comme ce serait long de tout décrire, je vous invite à lire cette interview accordée à un blogger et militant pour les droits humains qui retrace mon parcours dans la vie: https://fr.globalvoices.org/2013/05/20/146487/

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