Camp Boiro: Mme Saramba Kéïra, la femme qui a fait trembler Sékou Touré en 1977
Pour célébrer la date du 27 aout 1977, j’avais publié , le 26 aout 2014, un article rendant hommage à ces femmes qui ont osé se révolter contre les conditions inhumaines dans lesquelles la révolution de Sékou Touréavait réduit tout notre peuple.
Je rappelais le quotidien de la population, à cause du populisme qui ne savait semer que terreur et misère:
Le peuple souffrait d’une faim chronique, les denrées et divers condiments étaient rationnés. Dans les hôpitaux, où on était soigné par d’anciens infirmiers promus docteurs en médecine par décret présidentiel, les malades devaient apporter de chez eux une bassine d’eau et la nourriture. Les prescriptions médicales devaient comporter le choix entre plusieurs médicaments car les pharmacies étant mal approvisionnées. Les médecins devaient faire ainsi car si le malade ne trouvait pas de médicaments, ils étaient accusés de créer eux la pénurie et ils pouvaient être taxés de saboteurs de la révolution. Et surtout la production de riz, denrée alimentaire de base des Guinéens avait dégringolé de 282 700 tonnes en 1957—veille de l’indépendance—à moins de 30 000 tonnes.
Voici comment l’unique hebdomadaire de la Guinée durant cette période horrible de notre histoire, Horoya, organe par ailleurs du PDG, décrivait le 3 avril 1984, à l’ouverture du Camp Boiro, les conditions dans lesquelles les guinéens avaient été condamnés à vivre dans ce beau pays transformé en goulag par Sékou Touré et son gang rappelé par le journaliste marocain Mohamed Selhami dans son livre « Le Camp Mamadou Boiro, l’usine de la mort :
« Pendant plus de deux décennies, le peuple de Guinée, labouré dans sa chair et son âme par des mains sanglantes, a connu le plus grand calvaire de son existence. Dans l’éclipse totale, il a marché en égrenant le chapelet de la faim, de la soif et de l’ignorance. Dépersonnalisé par une politique de chasse à l’homme, une politique d’individus tarés, avides de pouvoir personnel. Le peuple guinéen n’avait jamais goûté à un seul instant de bonheur… « .
Les personnes qui ont encore plus souffert de ces conditions de vie sub-humaines ont été les femmes car elles avaient des familles à nourrir ce qui leur donnait encore plus de courage. C’est ce qui les a poussées à la révolte contre la tyrannie.
En reconnaissance de leur héroïsme dans le combat contre la dictature révolutionnaire, feu le Président Lansana Conté avait institué la date du 27 aout comme Journée nationale des femmes.
Mais 20 ans après, c’est lui-même qui allait décourager les femmes de célébrer leur fête à cause de la crainte qu’il nourrissait à leur égard.
En effet, en 2004, le pays étant confronté à une autre situation économique difficile, avec une flambée des prix des denrées alimentaires de base, la dépréciation de la monnaie nationale, l’augmentation des prix à la pompe des produits pétroliers en moyenne de 70%, l’accès aux services de bases de plus en plus aléatoire avaient fait craindre au vieux général la réaction des femmes. Voir un article daté du 1er septembre 2004, de Didier Samson rappellant les faits sur le site rfi.fr
Dans une interview accordée à Amadou Makissa Diallo de africvisionguinee.com (dont fait partie l’hebdomadaire Le Diplomate), Mme Nabé Saramba Kéïra sur les circonstances qui ont conduit les femmes à crier à Sékou Touré: « Vingt ans de crimes, c’est assez ! »
Mme Nabé Saramba Kéïra, est celle par qui la révolte des guinéennes contre la police économique du premier régime a commencé. Si le 27 août 1977 marque cette légendaire révolte, rares sont des Guinéens qui savent de qui était parti ce mouvement. Dans les lignes qui suivent, nous vous proposons l’interview qu’à bien voulue nous accorder l’instigatrice de la révolte des femmes en 1977. Même si la date n’est plus célébrée en fanfare, elle occupe néanmoins une place de choix dans la lutte pour l’émancipation de la femme.
Le Diplomate : Présentez- vous à nos lecteurs
Mme Saramba Keira : Je suis Mme Nabé, née Saramba Keïra, domiciliée au quartier Sangoyah, première porte. Je suis ménagère et mère d’une dizaine d’enfants.
Que vous rappelle la date du 27 août 1977 ?
La date du 27 août 1977 est un grand jour dans l’Histoire des femmes de Guinée. Elle est aussi et surtout celle de l’insurrection des femmes contre les tracasseries de la police économique sous le régime du feu président Camarade Ahmed Sékou Touré. De surcroit, je fus la pionnière de cette révolte des femmes. Je fus à l’origine de l’insurrection de ce 27 août. Donc, tout est parti de moi. Autrement dit, j’en suis la détonnatrice.
Alors, parlez-nous un peu de cet évènement
L’évènement s’est produit dans la matinée d’un samedi. Ce jour là, je suis allée au marché de Madina pour vendre l’aluminium à mes clients qui venaient du village. A l’époque je faisais le commerce des bols en aluminium, qu’on appelle en Sosso ‘bafata paani’’. Ce jour là, je ne voulais même pas sortir.
C’est sur la demande incessante des clients que j’ai décidé de me rendre au marché ce jour. D’ailleurs, je venais encore d’accoucher. C’était, pour être précise, juste une semaine après mon accouchement. A l’époque, le commerce des bols en aluminium était formellement interdit par l’Autorité de la place.
Donc, c’est suite à cette insistance de mes clients que j’ai finalement pris mon bébé pour rejoindre le marché Madina. Dès mon arrivée, j’ai pris place et j’ai commencé à servir mes clients. Dans un premier temps, j’ai fait sortir un bol en acier dans lequel il y avait les effets de mon enfant. C’est à dire les habits, couches et autres.
Entre temps, un jeune milicien appelé Mohamed, très redouté à l’époque par les marchands est venu me surprendre avec mes marchandises. Aussitôt, il me demanda sur ce que je faisais sur les lieux.
Il a demandé si j’étais venue exposer des marchandises. Je lui ai répondu non ! Soudain la discussion commença entre lui et moi au sujet de mes marchandises. En ce moment, j’avais mon bébé posé sur mes jambes. Il tenait mordicus à ce que je lui vende le bol en aluminium. Je lui ai dit que ce n’était pas à vendre. Il se saisi du bol qu’il voulait emporter, moi aussi je tenais l’autre bout.
Donc, on s’est longtemps tiré le bol. Comme il était plus fort que moi, il a tiré et mon enfant qui était sur mes jambes est tombé. J’ignore la personne qui l’a ramassé pour moi. Mais, il me semblerait que c’est une vendeuse de médicaments de la pharmacopée qui a pris mon enfant. Et le fait de voir mon enfant tombée m’irrita davantage. Directement, je me suis jetée sur le jeune milicien.
Et j’ai invité les autres femmes du marché à venir m’aider à frapper le milicien. Comme un seul homme, tout le marché s’est levé pour m’aider à frapper le nommé Mohamed. Mais, je précise que toutes les femmes étaient d’ailleurs mécontentes du comportement de la police économique. D’un seul coup, toutes les vendeuses de Madina se sont levées pour mener une marche de protestation et de revendication contre le principe interdisant la vente des ustensiles en aluminium. Ensemble, nous sommes allées à la Présidence pour rencontrer le Président Ahmed Sékou Touré.
La souffrance était de trop et les mères de famille vivaient du quotidien. Et la femme quelques soient les problèmes, surtout quand elle a des enfants, ne peut rester sans mettre la marmite au feu. C’est à cette occasion que l’ensemble des femmes de Madina se sont mobilisées pour rejoindre la présidence.
Impressionné de la forte mobilisation des femmes, le président Ahmed Sékou Touré en demanda aussitôt les raisons. Les femmes en chœur lui ont dit que ce sont les abus de la police économique qui les poussent à venir le rencontrer. Elles ont expliqué ce que le milicien Mohamed à fait au marché de Madina.
Tout de suite, Sékou Touré tranche en faveur des femmes. « Mohamed n’a pas raison. Car, une fois qu’on s’en prend à l’enfant d’une mère de famille, elle se met en colère et se révolte contre la personne ». Après cette célèbre phrase, il nous a invitées au calme et à la retenue.
Donc, en conclusion, l’interdiction de vente de bols en aluminium a été levée séance tenante par le Président et toutes les femmes ont applaudi. Tout ce que j’explique comme ça c’est passé dans la journée du même samedi 27 août 1977.
Et la suite de l’évènement ?
Le lendemain, précisément, le dimanche 28 août, aux environs de 10 heures. J’étais assise avec mes enfants et ma belle mère quatre militaires sont venus demander Saramba Keira. Je leur ai dit que c’était moi. Ils m’ont intimé l’ordre de m’embarquer dans leur camion. Destination : Camp Boiro. Ma belle mère m’a dit de laisser l’enfant.
Je lui ai dis non, puisque l’enfant avait tout juste une semaine. Une fois au Camp Boiro, ils m’ont jetée en prison. Je m’étais mise à pleurer. Après, un militaire est venu me dire ; « Madame, vous pleurez déjà. Les autres viennent passer des années, voire rester à vie ici sans pleurer…Vous, vous le faites maintenant. »
Je lui ai répondu que non, mais c’est parce que je suis vraiment nourrisse et ne sais où mettre mon bébé. Imaginez que c’est dans cette prison que mon enfant a appris à marcher. Un jour, le président était venu faire un tour au Camp Boiro, et mon petit a sauté les fenêtres pour tomber sur les escaliers où était arrêté le président.
C’est ainsi, qu’il demanda qui étaient les parents du bébé. Les militaires lui ont finalement dit que c’était l’enfant à la femme qui est à la base de la révolte des femmes à Madina. Séance tenante, Sékou Touré ordonna de me faire sortir de la prison. Histoire de pouvoir veiller sur mon enfant dans la cour du Camp.
Puisque l’enfant bougeait beaucoup, je passais tout mon temps à le surveiller. Après quelques années, les militaires venaient libérer certains prisonniers à travers une liste qu’ils détenaient. J’oubliais de vous dire que la plupart des femmes qui ont participé à la correction du jeune milicien Mohamed ont été recherchées et foutues en prison au tant que moi. Chaque fois les militaires venaient libérer des prisonniers. Moi, c’est comme si on m’avait oubliée.
Personne ne pensait à moi. Un jour, ils sont venus dans notre salle pour libérer les autres prisonniers. Exceptée moi. Ils les ont embarqués. J’ai commencé à prier le bon Dieu de faire la Justice. J’étais sur ces prières et j’ai vu le camion faire marche arrière. Un d’entre eux, a pris la liste et il a dit Saramba Keira. J’ai répondu présente. C’est ainsi que je fus libérée de la prison.
Après ma libération du Camp Boiro. J’ai décidé d’aller faire un tour au village. Puisque mes parents n’avaient plus mes nouvelles. Et avant que je ne revienne à Conakry, les militaires avaient déjà pris le pouvoir. Un jour, il y avait le président Lansana Conté et ses camarades au Palais du Peuple. Les gens venaient s’expliquer.
Ainsi, mon fils est parti négocier pour que je fasse une communication. Je suis intervenue devant cette masse. Le président m’a félicitée et encouragée. Les blancs qui étaient avec lui ce jour là lui ont dit que j’étais vraiment une héroïne. Ceux-ci m’ont aussi félicitée. Et pour m’encourager de plus, le Général président Lansana Conté m’a élevée au grade de Chancelier de l’ordre national du mérite.
Il m’avait même dit ce jour là que j’ai droit à une récompense. Et c’est à partir de là qu’est née la fête des femmes guinéennes.
`Un décret présidentiel a aussitôt suivi. Le président Conté m’avait même remis une note et m’a instruis d’aller voir le ministre secrétaire général chargé des affaires présidentielles, M. Fodé Bangoura pour me remettre les cadeaux. Pour avoir ces cadeaux, je suis allée une fois voir le ministre, et il m’a retiré la note sans pour autant me remettre les cadeaux. Je n’ai jamais eu ces cadeaux.
Votre mot de la fin?
J’attire l’attention des dirigeants sur cette fête du 27 août. Il faut qu’elle soit ré-instituée. Elle symbolise la lutte pour la liberté et l’émancipation de la guinéenne à un moment où cette dernière était complètement reléguée au second plan dans tous les domaines. Je suis à l’origine de cette fête.
Mais celles qui ont la voix au chapitre en ont largement profité. Elles se sont enrichies et vivent mieux. Alors que je suis toujours en vie. Mais je ne suis jamais consultée. Je souhaiterais que l’Etat et les autorités à tous les niveaux reconnaissent en moi, la véritable pionnière de cette fête. J’ai été emprisonnée au Camp Boiro avec mon fils pour m’avoir tout simplement jeté sur un milicien.
C’était ma façon de lutter contre les exactions dont les femmes étaient toujours victimes en Guinée dans le cadre de la recherche du quotidien. Aujourd’hui encore, je souffre énormément. Bien que je sois élevée au grade de Chancelier de l’ordre national du mérite par le feu président Général Lansana Conté.
Toutes celles qui viennent raconter des histoires au tour de cette date restent et demeurent des menteuses. Je suis la seule personne qui puisse vous dire comment l’idée de célébration de la fête du 27 août est venue.
Je voudrais aussi profiter de cette interview pour saluer et me présenter au président de la République,le Pr Alpha Condéet son premier ministre Mohamed Said Fofana ainsi que Madame la ministre des Affaires sociales et de la promotion Féminine. Je leur dit que la détonnatrice de la révolte des femmes en 1977 est toujours vivante. Et surtout je leur demande de ne pas banaliser la célébration de la date anniversaire du 27 août. Elle doit être célébrée chaque année.