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Nous avons plutôt été frappé par son aptitude à bâtir et à nourrir sinon son bonheur —qui sait s’il fut heureux ?— du moins son pouvoir et celui de son entourage sur le malheur du plus grand nombre. Plus le peuple souffrait, mieux le dictateur et les siens se portaient. Car si Sékou Touré fait preuve d’une sollicitude plus que mesurée envers la population, il n’en est pas de même avec ses proches. Voilà pourquoi il n’est certes pas inutile de présenter succintement le clan familial, autrement dit le cercle étroit des premiers bénéficiaires du régime.
Parmi les parents directs, le premier dont la mention s’impose est
- Amara Touré. Il n’est que le demi-frère du dictateur, mais il exerce les fonctions prééminentes de doyen de la famille. A ce titre, c’est lui qui tranche souverainement les grands et petits litiges qui agitent le clan familial. Secrétaire […] de la fédération du parti unique à Faranah, il y exerce une dictature sauvage. Analphabète, il se trouve classé dans le corps des ingénieurs agronomes ! Cela, bien entendu, pour pouvoir émarger largement au budget de l’Etat. Mais ses revenus ne s’arrêtent pas là, puisqu’il est devenu, dans tous les secteurs, l’intermédiaire obligé de la grande masse des militants de la région. Pour faire payer les services qu’il rend, il n’hésite pas en particulier à transformer nombre de ses solliciteurs en main d’oeuvre servile dans ses champs à Faranah, de grands domaines que ce serviteur du socialisme a tout simplement extorqués à leurs véritables propriétaires.
- Le second des demi-frères, c’est Ismaël Touré: Son physique malingre est devenu légendaire. Le commun des Guinéens évoque sa mine délabrée. Ses cheveux, précocement blanchis, sont le plus souvent hirsutes. On sait qu’il a de tout temps souffert d’asthme chronique, mal qui le ronge autant que la haine misanthropique qui semble l’habiter. En revanche, on ne sait pas très bien quelles études il a faites, sinon qu’il est rentré en Guinée, après un séjour en France, avec une vague spécialité météorologique. Il sera chargé, au sein du gouvernement, de l’immense secteur des mines. Comme on pouvait s’y attendre, il en a tiré une fortune considérable. C’est probablement pour se maintenir à ce poste en or qu’Ismaël Touré prendra d’énormes risques en inspirant au dictateur toutes les purges successives advenues en vingt-six ans de règne. De même, il n’hésite pas à prendre la tête des tribunaux révolutionnaires et à faire office à l’occasion de parfait tortionnaire en mettant la main à la pâte au camp Boiro.
- Il faut ensuite citer une femme, Fatima Touré, demi-soeur du dictateur. Sa spécialité: les combines à l’ombre des allées du pouvoir, où elle s’empresse d’installer son mari dans les fonctions de gouverneur de province. Ses deux enfants,
- Alpha Baba et
- Bintou Camara, se font également connaître comme des barons du régime.
- Quatrième parent proche: Mamourou Touré, cousin paternel de Sékou Touré. Apprenti mécanicien et à l’occasion vendeur de journaux, cet homme plutôt primaire devient successivement consul, conseiller culturel à Paris, ambassadeur en Yougoslavie, gouverneur de région à Gueckédougou puis ambassadeur à Rome.
Parmi les alliés moins directs mais toujours apparentés à la famille de Sékou, on ne peut oublier deux autres personnages en vue.
- Sékou Chérif d’abord, ancien tirailleur sénégalais de l’armée française, qui fait une carrière rapide et brillante grâce à son mariage avec Nounkoumba, soeur même père et même mère, comme on dit en Afrique, de Sékou Touré. Membre du bureau politique national et du comité révolutionnaire, ministre délégué, il se distingue par une culture toujours restée, hélas, au niveau de celle du bon troufion sac au dos.
- Siaka Touré, ensuite, véritable descendant, par la lignée paternelle, de l’Almamy Samori, se fait passer—on est là en pleine confusion—tantôt pour le neveu, tantôt pour le cousin du dictateur. Militaire de carrière, Siaka se verra confier le commandement du sinistre camp Boiro aux heures cruciales, après le débarquement de 1970, avant d’être ministre des Transports. C’est dans ses premières fonctions, au camp Boiro, qu’il se sera fait à la fois un nom et une réputation—du genre de celles qui provoquent aussitôt la chair de poule. L’homme, fourbe, ne paie pas de mine, et sa voix fluète lui ferait donner le bon Dieu sans confession. On le dit capable de vous poignarder dans le dos tout en gardant son sourire et son apparente gentillesse. Il sera ainsi considéré par les familles comme le dignitaire du régime qui sait garder le contact et donner régulièrement des nouvelles d’un parent détenu. Sa rengaine est bien connue de ceux —ses victimes— qu’il lui est arrivé de croiser dans la cour du camp Boiro: Et le moral, il est bon ? Comment mieux faire apparaître l’hypocrisie d’un tortionnaire, qui n’hésite d’ailleurs pas à mettre la main sur les biens et même parfois sur les épouses des infortunés qui sont tombés dans la trappe de la répression aveugle. Il considérait, semble-t-il, comme son droit le plus souverain de séduire, pour s’en emparer, les femmes des autres, fussent-ils de proches parents emprisonnés, comme Petit Touré ou Emile Condé.
Si, avec ces affiliés consanguins directs et leurs familles, on voit déjà se profiler toute une cohorte de personnages hauts en couleur, tous très occupés à user et abuser de leurs privilèges exhorbitants, les plus terribles et les plus truculents des proches se trouvent du côté des beaux-parents —les Keita— et autres alliés. Pour la plupart d’une médiocrité extrême, ils n’en profitent pas moins largement et insolemment du régime. Citons en tout premier
- Seydou Keita. Demi-frère par alliance d’Andrée Touré, la première dame de la République, Seydou Keita paraissait promis à être le prototype même du raté.
Envoyé très tôt en France pour y faire des études, il n’acquiert d’autres connaissances que la danse et le football. Le profil de sa carrière est pourtant aussi vertigineux que celui des autres collatéraux de Sékou Touré. Cet homme qui a fait ses preuves comme tortionnaire est successivement ambassadeur à Rome puis à Paris, gouverneur de Télimélé et secrétaire d’Etat à la Jeunesse.
- Vient ensuite Mamadi Keita, l’autre demi-frère d’Andrée. On se demande toujours comment ce jeune homme si calme et si timide a bien pu devenir cet homme de main sans scrupules au service du régime. Mamadi Keita, que nous avons été un certain nombre à connaître sur les bancs de l’Université à Dakar ou à la Sorbonne, fut un bon étudiant en philosophie, à ce point soucieux de la religion et de la morale qu’il suivait les cours de Jean Guitton sur Dieu ou de Vladimir Jankélévitch sur la vérité. Membre influent du comité révolutionnaire, il a la responsabilité immédiate des arrestations, des condamnations directes ou par contumace, et des exécutions de tous les universitaires de sa génération. Idéologue à la fois fougueux et ombrageux du Parti démocratique de Guinée, il est ministre de l’Enseignement supérieur et de la Culture et fera à ce titre quelques sorties remarquées à l’Unesco.
- Le troisième personnage qui retient l’attention dans l’entourage d’Andrée est l’époux de sa demi-soeur cadette, Moussa Diakité. Cet homme auquel on réserva un temps un futur destin national, d’autant qu’on le disait bien vu à Abidjan, s’est particulièrement distingué par son cynisme et sa servilité. Inconditionnel du PDG et de son leader, détenteur de plusieurs ministères, dont à une époque celui de l’Intérieur, il est inamovible à la tête d’une commission au camp Boiro. C’est à ce titre qu’il est notamment l’accusateur n° 1 de Diallo Telli et de ses coaccusés. Il porte donc une grande responsabilité dans la mort de nombreuses victimes du complot dit des Peuls.
- NFanly Sangaré enfin, également époux d’une autre demi-soeur de madame la présidente, bénéficiera largement de son alliance avec la belle-famille du dictateur. Ce cadre de haut niveau a cependant l’élégance de profiter de sa position sans se mêler ni de complots ni de tortures. Il est même de ceux qui pourraient un jour nous faire comprendre ce paradoxe : on peut arriver —a-t-il en effet prouvé— à servir un régime tyrannique tout en désapprouvant ses méthodes et sa conception des Droits de l’homme. Tour à tour gouverneur de la Banque centrale, ministre de la Coopération, ambassadeur auprès de la Communauté économique européenne (CEE), Nfanly Sangaré occupe finalement jusqu’à la disparition du régime un poste en vue au Fond monétaire international.
Même si elle est au premier rang, il n’y a pas que la famille pour abriter les profiteurs permanents ou occasionnels du régime. Autour de la présidence navigue aussi toute une faune pittoresque et grassement entretenue pour raison d’Etat : de nombreuses femmes bien en cour mais également, et surtout, des voyants, marabouts et autres féticheurs, et même divers anormaux et handicapés.