J’ai remarqué que beaucoup de jeunes guinéens ignorent vraiment les horreurs que le régime du premier Président guinéen a imposé à son peuple. Voici le témoignage du Lt-col Camara Kaba 41, sur l’interrogatoire d’une femme innocente dans son livre: Dans la Guinée de Sékou Touré : cela a bien eu lieu, Paris, L’Harmattan, 1998. Mémoires Africaines. 253 pages.
Pour le livre entier en ligne gratuitement, visiter le site du Mémorial virtuel du Camp Boiro: http://www.campboiro.org/bibliotheque/kaba41/cabel.html
« Tu enfanteras dans la douleur»
« Tu enfanteras dans la douleur » ; et elle enfanta, elle enfanta la douleur. Le hurlement qu’elle poussa avant de s’évanouir fit sursauter la sentinelle qui somnolait dehors près de l’entrée. Il était trois heures du matin. Kankan dormait. Les centaines de détenus politiques, eux, ne dormaient point. Chacun attendait son tour, son tour de passer à la cabine technique, à l’abattoir, à la mort. Ils avaient suivi son départ pour l’interrogatoire depuis une heure du matin. Ils l’avaient entendue pleurnicher, pleurer, les prier en vain; mais ce hurlement de bête qu’on égorge leur avait fait perdre tout espoir, l’espoir de s’en sortir. Qu’on puisse torturer ainsi une femme.
Bon Dieu ! Bon Dieu ! murmura l’un des plus riches commerçants de Kankan, arrêté depuis trois jours. Saran, c’était elle, en était à son cinquième, car il faut quatre jours de diète sèche 1 avant d’être interrogé , quatre jours sans manger ni boire, sans aucun contact, bouclé par derrière dans une cellule qui a toute l’allure d’une tombe.
— Aide donc la Révolution, Saran ; cela fait près de deux heures que tu nous embêtes. Si j’ai attendu tout ce temps, c’est parce que je te connais. Mais ma patience a une limite. Tu n’es pas la seule, les autres attendent. Dis la vérité ! Reconnais que tu es recrutée par les Allemands et que tu as reçu d’eux 3 500 dollars.
— C’est pas vrai ! C’est pas vrai ! C’est pas …
— Ta gueule ! hurla le capitaine Kouyaté, sur les nerfs.
— Ecoute mon frère ! Tu peux me sauver si tu le veux bien. Tu sais très bien que tout cela est préfabriqué. Je te jure que tout est faux, tout.
— Je ne te demande pas la date de ta naissance. Je la connais. Conakry attend, pour demain matin, ta déposition. Tu crois que l’avion va t’attendre ? Des plus durs que toi sont passés ici. Si tu es dans cet état, c’est que tu l’as cherché. Reconnais ou je deviens méchant.
Saran roula de côté : elle était amarrée des épaules aux chevilles. Le fil de téléphone de campagne avait pénétré sa chair depuis longtemps. Presque nue, son beau corps était glauque : elle se roulait par terre ; elle se dit que la mort valait mieux qu’avouer un mensonge. Tout son corps était en feu.
Le capitaine Kouyaté lui avait arraché par endroits des plaques de sa peau douce avec une paire de pincettes branchée à un appareil téléphonique de campagne.
— Tu refuses d’aider la Révolution ? Tant pis.
— Vingt-quatre ans à son service, cela ne suffit pas ? dit Saran, fièrement.
— Ce qui compte, c’est la fidélité au Parti. Tu as couché avec les Allemands et ils t’ont recrutée. Il est vrai que tu es l’une des toutes premières militantes de Kankan, mais tu as fini par trahir comme les autres.
— C’est faux ! cria Saran, indignée.
— Détachez-la, ordonna le capitaine. Ce que firent deux gorilles spécialistes des tortures.
— Enlève ton slip, dit le capitaine. Saran hésita, affolée, fixant tour à tour l’officier et les deux sbires.
— Laisse-moi au moins celui-là.
— Enlève-le ou je le déchire.
Il n’attendit pas une seconde. Il la gifla et tira sur le slip qui craqua, roula sur une jambe jusqu’aux genoux. La gifle avait jeté Saran par terre.