Epsy Campbell Barr est récemment devenue l’une des premières vice-présidentes noires à être élue au Costa Rica – et dans toute l’Amérique latine. Après le vote, sa sœur, Shirley Campbell Barr, s’est penchée sur l’importance d’avoir une femme comme Epsy au sein du gouvernement, dans un échange de courriels avec un éditeur de Global Voices. Voici une version éditée et traduite de cet e-mail, publiée avec la permission de Shirley.
Maintenant que la course présidentielle au Costa Rica a pris fin et que la frénésie médiatique a disparu, il vaut la peine d’aller au-delà des manchettes des journaux et d’examiner ce qui rend l’élection d’Epsy Campbell comme vice-présidente si importante dans la vie politique du pays et de la région.
La victoire d’Epsy a été une occasion de célébrations pour de nombreuses communautés d’ascendance africaine à travers les Amériques. Au Costa Rica, l’importance de son élection n’a pas vraiment été explorée en profondeur au moment du vote, devenant un sujet de discussion plutôt tardif. Néanmoins, sa victoire a été le résultat du travail continu qu’elle a entrepris au sein et au nom des communautés de personnes d’ascendance africaine, en particulier les femmes.
L’arrivée d’Epsy sur la scène politique a eu lieu dans un pays ayant une grande tradition démocratique, l’une des plus anciennes et des plus stables d’Amérique latine, mais à un moment où un autre candidat menaçait d’effacer des années de progrès démocratique.
Le premier article de la Constitution de la République, dont Epsy est maintenant la vice-présidente, reconnaît le Costa Rica comme une république multiethnique et pluriculturelle, mais ce n’est là qu’un développement récent (le gouvernement précédent a modifié le texte). Le Costa Rica est un pays qui s’est présenté et continue de se présenter comme “blanc”, le plus blanc de la région d’Amérique centrale, ce qui a rendu difficile la reconnaissance de son multiculturalisme et de sa diversité.
Ainsi, au Costa Rica, il existe plusieurs problèmes non résolus qui affectent les minorités, tels que ceux liés à la représentation et à la visibilité. Même avec une politique nationale contre la xénophobie, le racisme quotidien – largement lié aux programmes éducatifs et aux interactions sociales à l’école – reste un problème.
Il y a encore beaucoup à faire, par exemple, pour reconnaître comment les personnes d’ascendance africaine ont participé à l’histoire du Costa Rica et ont contribué à façonner son identité nationale. Le programme scolaire est censé résoudre ces problèmes, mais le matériel didactique réel est rare. En outre, une sensibilisation permanente et une formation du personnel enseignant sont nécessaires. Les intentions peuvent être bonnes, mais sans plans concrets et résultats mesurables, il est difficile d’aboutir à des réalisations à moyen et à long terme. Cette formation est nécessaire car, dans de nombreux cas, les enseignants continuent à reproduire les stéréotypes qui limitent les possibilités d’une véritable éducation interculturelle.
Le racisme de tous les jours se manifeste par une série de stéréotypes sur la population afro-costaricienne et les régions du pays où se concentrent les personnes d’ascendance africaine, comme la province de Limón, souvent associée à la violence et au trafic de drogue.
Pour plus de représentativité dans l’activisme pour le féminisme et la justice sociale
Je pense que l’élément central de l’activité politique d’Epsy, à la lumière de la profonde méfiance qui existe entre les gens et leurs représentants gouvernementaux, est qu’elle reste très attachée à son travail de militante et à sa propre expérience personnelle. Son parti capitalise certainement sur son image et le nombre de personnes dans les secteurs qu’elle représente.
Cependant, le fait qu’elle soit maintenant au nombre des représentants politiques élus du peuple cristallise la lutte de longue date pour la présence afro-descendante dans les cercles de décision.
Pour cette communauté, Epsy représente une conscience afro-descendante. Les personnes d’ascendance africaine dans les Amériques ne la connaissent pas à cause de sa participation à la politique partisane du Costa Rica, mais à cause de son travail pour les droits de la population afro-descendante de la région. Avec plusieurs autres leaders, Epsy a beaucoup contribué à l’idée d’un mouvement latino-américain noir et d’un mouvement féministe noir et latino-américain.
Sur cette dernière question, la lutte a également été interne – affrontant la résistance des féministes blanches en soulevant des questions concernant les femmes noires. Le mouvement féministe latino-américain, comme celui des autres régions, a été bouleversé par la nécessité de remettre en question ses préceptes afin d’incorporer, ou du moins de considérer, l’existence d’autres types de féminisme.
La mobilisation des femmes noires dans la région a entraîné le besoin de comprendre que les femmes ne sont pas homogènes. Au contraire, les conditions historiques et sociales des femmes noires sapent les bases d’un mouvement conçu selon la même logique coloniale qui exclut celles considérées comme “l’autre”.
S’ils ne nous comptent pas, nous n’existons pas
Actuellement, dans la plupart de nos pays, la représentation politique des personnes d’ascendance africaine est très limitée. Les communautés afro-descendantes continuent d’avoir des indices de santé et d’éducation plus bas et se heurtent à des obstacles majeurs pour accéder à des niveaux acceptables d’éducation ou de santé. Par conséquent, afin de faire une différence tangible, il a été extrêmement important de nous comprendre comme un mouvement, et pas seulement un mouvement costaricien, mais aussi comme un mouvement qui opère au niveau latino-américain et mondial.
Un élément de la lutte est la présence de communautés afro-descendantes dans le recensement [fr]. J’ai eu l’opportunité de travailler avec un groupe faisant campagne pour incorporer une question sur l’ethnicité dans les enquêtes officielles sur la population. Le processus comprenait une collaboration avec d’autres experts d’ascendance africaine dans plusieurs pays d’Amérique latine. Cela a été un travail difficile, et ce n’est pas fini – certains pays n’incluent toujours pas cette question parce que les organismes responsables refusent de reconnaître l’importance de la quantification.
S’ils ne nous comptent pas, nous n’existons pas.
Nous le savons parce que, jusqu’à présent, les personnes d’ascendance africaine n’ont pas eu leur mot à dire dans les institutions décisionnelles lorsque ces institutions décident de ce qui se passe dans nos propres communautés. Nous ne sommes pas une priorité lorsque des politiques destinées à traiter ces populations de manière adéquate sont formulées.
Ce n’est qu’avec la représentation des personnes de ces communautés qu’il sera possible de mettre en œuvre des politiques publiques cohérentes et des actions affirmatives qui démantèlent progressivement les inégalités qui existent depuis des siècles.
Un mouvement en croissance
Lors de ces élections, nous nous sommes battus pour protéger les droits fondamentaux sur lesquels nous avons construit ce pays. Un des candidats gagnants au premier tour du scrutin présidentiel était un pasteur et chanteur chrétien évangélique dont la campagne était basée sur l’opposition aux droits de la communauté lesbienne, gay, bisexuelle, transgenre, queer et intersexe (LGBTQI) . Il a également promis de transformer l’Institut national des femmes en “Institut national de la famille” – une perspective très préoccupante dans un pays où les féminicides atteignent des chiffres alarmants.
Bien que nous comprenions qu’Epsy est vice-présidente d’un petit pays comme le Costa Rica, je pense toujours que c’est un fait significatif. C’est un pas, un exemple et un élan. Alors que Marielle Franco a été assassinée [fr] au Brésil pour être eu une voix noire, féministe et dissidente en politique, Epsy Campbell, une dirigeante reconnue du mouvement afro-latino-américain, a été élue vice-présidente au Costa Rica.
Epsy représente un mouvement qui grandit. Les personnes d’ascendance africaine en Colombie, au Brésil, au Pérou, en Équateur, en Uruguay et dans d’autres pays se sentent représentées. Et pas parce qu’elle les représente directement (après tout, elle n’est que la vice-présidente du Costa Rica). C’est parce que la représentativité compte. Voir une femme noire qui vient de cette communauté et y est active est très important.
C’est un miroir dans lequel les garçons et les filles noirs peuvent se voir et s’identifier.
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Ce billet a été écrit par l’anthropologue Shirley Campbell Barr en espagnol, traduit en anglais par l’anthropologue socio-culturelle Teodora C. Hasegan et publié sur globalvoices.org. Séduit par sa qualité, je l’ai traduit et il a été publié sur le même réseau.