Ce 25 janvier 2017 marque le 46ème anniversaire de la journée la plus effroyable dans l’histoire de notre pays. Suite à l’agression portugaise et d’exilés guinéens, Sékou Touré a érigé les cellules du parti de la base au Bureau politique national ainsi que l’Assemblée nationale en tribunaux révolutionnaires, où aucun accusé n’avait la chance de s’en sortir car, en réalité, son sort était déjà fixé: la mort.
Les preuves consistaient en des déclarations que ses tortionnaires écrivaient d’avance et qu’il devait lire, en s’auto-accusant des pires crimes que ses geôliers voulaient qu’il avoue. Tant que sa lecteur n’était pas satisfaisante, les tortures devaient continuer. Dès qu’ils étaient satisfaits, la victime lisait sa « confession » à la radio.
Dans une interview accordée à Mamadou Dian Baldé publié sur le siteguineeactu.info, le doyen Mamadou Barry dit petit Barry, qui était directeur du Bureau de presse de la présidence de la République du temps de Sékou Touré, se demande:
Un complot préparé par tous les membres des Etats majors de l’armée, de la gendarmerie, de la police, dix sept (17) ministres sur vingt quatre (24) ainsi que les hauts cadres civils et militaires, peut-il échouer ? Soyons sérieux ! C’est vraiment incroyable!
Pourtant toutes ces personnalités furent arrêtées, sous des accusations inventées de toutes pièces, et la plupart connurent la mort dans des conditions atroces. D’autres guinéens qui vivaient à l’extérieur furent condamnées par contumace.
C’est Sékou Touré lui-même qui donne la liste de ces tribunaux spéciaux » 8.000 Pouvoirs Révolutionnaires Locaux (PRL) ou Communes populaires érigés en tribunaux populaires et les 30 assemblées législatives régionales également érigées en tribunaux populaires, ainsi que les Directions nationales, celles de la Confédération Nationale des Travailleurs, de l’Organisation des Femmes, de la Jeunesse de la Révolution Démocratique Africaine, les États-majors des différentes armées, tous érigés ».
Dans le Chapitre 65 de sa monumentale thèse intitulée Ahmed Sékou Touré (1922-1984). Président de la Guinée de 1958 à 1984, l’ambassadeur de France André Lewin raconte:
Le 18 janvier 1971, lors d’un grand grand meeting présidé par Sékou Touré ayant à ses cotés Kwame Nkruma, les membres du Bureau Politique National du Parti, des ministres et d’autres responsables nationaux ou régionaux prennent successivement la parole et demandent presque tous la peine de mort pour 231 personnes.
Les pendaisons devaient avoir lieu en public. Les victimes exposées sur la potence pendant de longues heures et les populations, y compris les enfants invitées à offenser leurs restes. Parmi les plus illustres de ces victimes innocentes, il y avait ces personnalités qui ont tant apporté à notre peuple, assassinées sur la base de fausses accusations, sans un tribunal ni la possibilité de se défendre, pendues publiquement sans procès le 25 janvier 1971:
Barry Ibrahima dit Barry III (1923-1971), originaire de Bantighel, Pita, chef de la Démocratie Socialiste de Guinée, parti d’opposition au PDG, un parti progressiste modéré, surnommé Sily Yörè (Petit Eléphant), en raison de la similitude politique entre le PDG et son parti.
En plus d’être apparenté à notre famille, c’était un ami intime de mon père
Magassouba Moriba, Membre pionnier du PDG, ancien maire de Kankan. Proche collaborateur de Fodéba, ministre
Baldet Ousmane, Secrétaire d’Etat aux Finances, premier Gouverneur de la Banque Centrale de la République de Guinée, co-signataire avec le président Sékou Touré des billets de banque du Franc guinéen en 1960.
Kéita Kara, Commissaire de police
Voici comment Jean-François Alata a décrit la scène dans son livre Alata, l’Africain Blanc. Jean-François Alata est le fils de Jean-Paul Alata qui fut une des personnalités les plus influentes du régime tortionnaire de Sékou Touré avant de finir lui aussi au Camp Boiro:
Une corde, non, un câble énorme enserrait leur cou et reliait les corps désarticulés au tablier. L’épaisseur de cette corde était telle qu’elle offrait une image insolite et les têtes, penchées sur le côté, faisaient un angle bizarre avec les cous distendus.
lIs s’étaient approchés aux premiers rangs. Ce qui frappa Jean-Francois de prime abord était le calme apparent affiché par les pendus. Aucun rictus, aucune convulsion, aucune grimace ne déformaient leurs traits et cette sérénité tranchait sur l’horreur du tableau. Revêtus de la tenue bleue des prisonniers, short ou pantalon, seul Baldet Ousmane portait une tenue de ville, chemise-veste trois poches. Ils avaient les bras liés dans le dos et les liens avaient été faits avec brutalité et force à voir les épaules arquées vers l’arrière.
André Lewin relève avec pertinence:
Triste paradoxe, ironie du sort, ou tragique retournement de situation : plusieurs parmi les responsables qui se sont montrés les plus sévères dans leurs déclarations seront eux -mêmes arrêtés au cours des mois suivants, seront à leur tour torturés et jugés, seront exécutés, mourront de diète noire, disparaîtront purement et simplement, ou resteront de longues années au Camp Boiro avant d’être graciés ou libérés
Comme l’a si bien écrit Bah Mamadou Lamine, grand reporter au Lynx:
L’année 1971 fut celle de la terreur. Après les pendaisons généralisées dans toutes les villes du pays, des vagues d’arrestations se succèdent, suivies d’exécutions.
D’après le Prof. Tierno Bah, créateur et animateur du site du mémorial Camp Boiro [en ce moment inaccessible pour des raisons techniques], c’est Sékou Touré lui-même qui aurait qualifié ces moments de la “période sombre de l’histoire” de la Guinée.