Partout dans le monde, les dictateurs n’aiment que dans leur propre pays, il y ait des gens qui se fassent connaitre par la grandeur de leurs oeuvres. En plus si on a l’outrecuidance d’enfreindre à cette règle, en faisant du bien et en dénonçant les abus, on s’expose aux menaces ou bien à des tentatives de sabotage du travail, en attendant une punition, qui peut aller jusqu’à la mort.
C’est ce qui arrive au célèbre Dr. Denis Mukwege. Cet éminent chirurgien travaille depuis 15 ans dans l’hôpital Panzi qui est de référence dans la zone de santé d’Ibanda en province du Sud-Kivu. Il cherche à reconstruire la personnalité des femmes qui ont vu leur vagin transformé en terrain de guerre par les hordes armées qui infectent la région depuis si longtemps.
Je lui ai consacré deux articles pour le réseau globalvoices.org. Le premier avait comme titre Dr Mukwege, Prix Sakharov 2014: “Chaque femme violée, je l’identifie à ma femme, chaque mère violée à ma mère”. Il avait été traduit en Espagnol, Anglais, Malgache, Tchèque , Russe et Turc.
Voici le deuxième intitulé Le film “L’Homme qui répare les femmes, La colère d’Hippocrate” interdit en R. D. Congo.
Le film L’Homme qui répare les femmes, La colère d’Hippocrate que la journaliste Colette BRAECKMAN et le cinéaste Thierry MICHEL ont réalisé sur le travail du Dr. Denis Mukwege a été projeté depuis mars 2015 à La Haye, à la Cour pénale internationale, à Bruxelles, à Paris et à Montréal. Mais, dans son pays natal, la République démocratique du Congo, la projection a été interdite sur tout le territoire national, y compris à l’Institut français de Kinshasa, où elle était prévue les 8 et 9 septembre 2015.
Le film avait été téléchargé sur Youtube et en une semaine, avait été visionné 13 000 fois.( Le film n’est désormais plus disponible sur la plateforme pour des raisons de copyright).
Dr Mukwege accueilli par des applaudissements, à son entrée dans une grande salle, passe à la tribune. « Témoin des atrocités commises contre les femmes et sur les femmes, depuis 15 ans », il prononce ces paroles :
« Dans les zones en conflits, poursuit-il, les batailles se passent sur les corps des femmes. Les viols se commettent avec extrême brutalité. Une véritable arme de guerre, si pas même, une stratégie de guerre mais qui est beau marché. Mais redoutablement efficace. »
- A partir de « une véritable arme de guerre… », dans ce discours, le film montre en panoramique, un paysage de désolation, presqu’enflammé. Une image presqu’apocalyptique. Apparaissent alors une camionnette de l’armée congolaise ; des militaires bien armés, en alerte.
- Dans le même discours, à partir de de la séquence « arme redoutablement efficace », est lancé un mortier. Des civils en fuite apparaissent en dessous de la trajectoire des tirs, et s’entend cette voix d’un « commandant ? » : « un peu en bas », comme pour atteindre ces civils. Enfin apparaît une colonne des déplacés de guerre… puis, retour au discours du médecin.
Sur base de ces images (bien sûr limitées mais pourtant mises en exergue!), les violences sexuelles semblent liées à l’armée.
Par la bouche du ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, M. Lambert Mende, le gouvernement congolais a justifié cette interdiction en accusant le film de calomnie, de volonté manifeste de nuire et de salir l’image de l’armée congolaise.
Le Scam.fr est une association dont l’objectif est de faire reconnaître le statut des réalisateurs de documentaires et d’obtenir la protection et la répartition de leurs droits à chaque diffusion de leurs œuvres, regroupe plus de 37.000 auteurs de documentaires et journalistes. Cette association déplore l’interdiction de diffusion du film en R.D. Congo et explique pourquoi cette censure est néfaste:
La vague mondiale de réactions politiques et professionnelles s’alarmant de cette interdiction devrait suffire à faire comprendre au Gouvernement congolais qu’il est essentiel pour sa crédibilité interne et externe qu’il accepte que se réalise un travail nécessaire de mémoire pour rétablir l’honneur des femmes concernées et plus encore pour protéger toutes les femmes de nouvelles exactions.
De plusieurs sources, il est documenté que ce sont des membres de groupes de rebelles locaux et étrangers ainsi que des forces régulières qui commettent ces odieux crimes. L’ancien Président Laurent-Désiré Kabila, père de l’actuel Président Joseph Kabila Kabange, étant arrivé au pouvoir en faisant la guérilla et en ayant gouverné pendant environ 4 ans, est très vulnérable dans cette histoire. Que l’on attribue ces atrocités aux forces rebelles ou régulières, l’ancien président a commandé successivement les deux catégories de gens armés qui sont accusés de viols.
On peut comprendre, alors, que le gouvernement congolais soit embarrassé par le travail remarquable et les dénonciations du Dr. Denis Mukwege soutenu par la société civile internationale. Le 30 mai dernier, soit bien avant l’interdiction de ce film, journeefemmeafricaine.com écrivait:
De nombreuses personnes se mobilisent depuis quinze années, dénoncent, se mobilisent, hélas, pour bien peu de résultats. Est-ce une raison pour abandonner ? Certainement pas, bien au contraire. Nous gardons à l’esprit l’exemple d‘Aoua Keita initiatrice de la Journée Internationale de la Femme Africaine et fort de cette femme inspirante que nous nous disant que nous ne pouvons pas ne pas faire quelque chose, aussi infime que cela semble face au traitement inhumain que subissent les femmes dans les zones de combats en République démocratique du Congo.
Nous nous pensions impuissantes parce que nous ne pouvions nous impliquer sur le terrain, mais c’est faux, chaque geste compte dans de tels cas. Et il faut pouvoir faire à sa mesure, là ou l’on se trouve avec les moyens dont on dispose…
Dans une pétition lancée par Me Hamuli Rety, ancien président de l’Association des avocats du Tribunal pénal international pour le Rwanda, signée par plus de 50 000personnes, rappelle que:
L’UNICEF a ainsi rapporté avoir pris en charge 38 000 cas de violences faites aux femmes pour la seule année 2007. La FIDH (Fédération Internationale des ligues des Droits de l’Homme) parle de 3 300 cas en 2012 pour la seule province orientale, soit environ dix cas par jour. L’ONU, quant à elle, affirme qu’en moyenne 48 femmes sont ainsi violées toutes les heures en République Démocratique du Congo. Les constats sont là mais les solutions restent désastreuses : aucune de ces autorités n’a pris de mesures efficaces pour faire cesser ces crimes.
Ces chiffres, sur le nombre de femmes violées, sont toutefois à prendre avec précaution car en réalité il pourrait être beaucoup plus élevé. Le site wikistrike.com cite une étude publiée dans le Journal américain de santé publique (American Journal of Public Health), selon laquelle plus de 400 000 femmes et jeunes filles de 15 à 49 ans ont été violées en 12 mois, entre 2006 et 2007. C’est 26 fois plus que les chiffres annoncés par l’ONU au cours de la même période.
Pour son action humanitaire visant à restituer leur honneur aux femmes et aux enfants violées, le Dr. Denis Mukwege a reçu une vingtaine de prix et distinctions nationales et internationales dont le prix des droits de l’homme des Nations unies, le prix Sakharov pour la liberté de l’esprit, décerné par le Parlement européen, le prix de la Fondation Clinton, le prix Olof Palme, l’Inamori Prize for Ethics 2014 (Japon-États-Unis), le prix Primo Levi (Italie), le prix Solidaris de l’hôpital Saint-Pierre de Bruxelles (Belgique) et la médaille de l’académie royale des sciences d’outre-mer des Pays-Bas.
Mais dans son propre pays, le gouvernement continue à l’ignorer et certains groupes terroristes à menacer Mukwege. Il ne se déplace que sous escorte des soldats des Nations Unies dans son pays.