Note de la rédaction : cet article a été co-écrit par Bonface Witaba, contributeur de Global Voices et Sri Ranjini Mei Hua, un chercheur et écrivain de Singapour.
En mars, le gouvernement kényan a annoncé la suspension des cours dans les écoles dans le cadre des mesures visant à freiner la propagation du COVID-19. L’annonce a jeté le pays dans le désarroi, affectant 18 millions d’apprenants dans tout le pays, et a également menacé de faire dérailler les progrès vers une éducation inclusive, équitable et de qualité, comme le décrit l’Objectif 4 [fr] de développement durable des Nations Unies.
Dans le cadre des efforts visant à assurer un apprentissage continu tout en protégeant la santé, la sécurité et le bien-être des apprenants et des éducateurs, le ministère de l’Éducation, en collaboration avec les partenaires et les parties prenantes, a conçu le plan d’intervention d’urgence COVID-19 [pdf] pour l’éducation de base au Kenya, avec l’objectif de promouvoir « l’apprentissage hors des classes » par la radio, la télévision, le cloud et les téléphones mobiles.
Aujourd’hui, malgré les efforts du Kenya Institute of Curriculum Development (KICD, en français : Institut kényan de développement des programmes éducatifs) pour étendre la diffusion de contenu en ligne, on estime que 80 % des apprenants n’ont toujours pas accès à des cours à distance, selon une étude réalisée par le réseau de recherche sur l’éducation Usawa Agenda [fr].
Cela est dû, en partie, à un accès inégal aux technologies telles que les ordinateurs de bureau, les ordinateurs portables ou smartphones, ainsi qu’à des coûts d’Internet prohibitifs et à un service peu fiable, en particulier pour les apprenants issus de familles défavorisées et de communautés marginalisées. Même là où la technologie est disponible, il y a des préoccupations concernant l’utilisation d’Internet par les jeunes enfants sans surveillance.
Avant le confinement, les élèves avaient accès à des repas gratuits à l’école. Les filles pouvaient accéder aux serviettes hygiéniques grâce à une initiative visant à les leur fournir gratuitement. Cependant, en raison de la fermeture prolongée, le secrétaire de cabinet chargé de l’éducation, George Magoha, a déclaré l’année scolaire « perdue ».Cela signifie que les écoles resteront fermées jusqu’en 2021, laissant des milliers d’élèves dans une situation désastreuse car leurs familles, qui ont récemment subi des pertes d’emploi, ne peuvent pas se permettre de leur fournir la nourriture et les nécessités de base.
Par exemple, à Kibra*, un quartier considéré comme la plus grande zone de résidence informelle de Nairobi (et d’Afrique), la plupart des élèves ne peuvent pas accéder aux programmes d’apprentissage hors des classes du KICD et n’ont pas d’endroit où étudier, encore moins de place pour les jeux ou l’exercice.
Dans une interview Skype avec Asha Jaffar, une journaliste résidant à Kibra qui écrit sur le sort de la communauté locale, celle-ci a déclaré à Global Voices qu’il y avait un nombre limité de bibliothèques gratuites qui permettaient à 10 élèves à la fois de faire leurs devoirs. Cependant, ces élèves doivent céder leur place au groupe suivant après environ une heure. Elle a ajouté que les initiatives de formation gratuite pour les jeunes ont dû être réduites en raison des règles de distanciation sociale imposées par le gouvernement et les responsables de la santé.
L’impact à long terme des fermetures d’écoles est vaste et encore plus dévastateur pour les familles vivant en dessous du seuil de pauvreté. Étant donné que la sécurité alimentaire prime sur l’éducation, les élèves – en particulier les filles et les jeunes femmes – issu⸱e⸱s de familles vulnérables doivent souvent travailler dans des exploitations agricoles et contribuer aux tâches ménagères ou prendre soin de leurs proches au lieu d’apprendre. Cela s’est produit pendant le confinement, qui coïncidait avec le pic de la saison des semailles en mars.
Certaines filles peuvent même être sujettes à des mariages précoces, ce qui les expose à un risque plus élevé d’abandonner l’école, souvent en raison de grossesses précoces. Par conséquent, les résultats scolaires des enfants issus des familles les plus vulnérables en pâtiront car elles n’auront guère de raisons de les envoyer à l’école lors de la réouverture.
En mars, Mme Jaffar a lancé l’initiative Kibra Food Drive pour aider à soulager la faim dans la communauté de Kibra, grâce à des dons de colis alimentaires aux familles les plus vulnérables. Elle a commencé par la sollicitation de dons via l’application mobile de transfert d’argent M-Pesa, dans le but de nourrir 100 familles vulnérables par semaine. Cependant, les besoins allant croissant, l’initiative a nourri 2 400 familles, à la date du 5 août. Mme Jaffar reconnaît que fournir des repas gratuits ne suffit pas car les familles ont finalement besoin de soutien pour démarrer de petites entreprises. Cependant, la communauté reste dans une impasse alors que le commerce et l’activité économique stagnent.
Le Kenya prévoit la réouverture des écoles pour une nouvelle année scolaire en 2021, mais tout dépend du nombre d’infections au COVID-19, selon le secrétaire de cabinet chargé de l’éducation, M. Magoha.
Plusieurs experts en éducation affirment que cette période est le moment opportun pour le gouvernement de mener une analyse des lacunes du système éducatif et d’effectuer un redémarrage complet en vue d’un accès équitable à l’apprentissage pour tous, comme le prévoit le Plan de réponse d’urgence COVID-19 pour l’éducation de base au Kenya. La première étape consisterait à allouer un budget à l’amélioration des infrastructures scolaires en termes d’éclairage, de bureaux et de chaises et à fournir une alimentation électrique fiable – en particulier dans les zones rurales. Ensuite, le gouvernement pourrait réduire les tarifs de l’eau et de l’électricité pour les écoles, car ces coûts énormes nuisent à leur fonctionnement.
Ce n’est que lorsque ces priorités seront résolues que les efforts pourront reprendre sur un projet d’alphabétisation numérique lancé en 2013 par le gouvernement, actuellement au point mort. Ce programme visait à garantir que les élèves du premier cycle du primaire (3 premières années d’école) puissent utiliser la technologie numérique et les outils de communication, avec pour objectif primordial de transformer l’apprentissage au Kenya en un système éducatif ancré dans le XXIe siècle.
Le projet a eu beaucoup de mal à démarrer après sa phase pilote, en raison de l’incapacité à atteindre les résultats escomptés et du manque de préparation des enseignant⸱e⸱s pendant la période de généralisation de l’initiative. La réussite de ce programme nécessiterait une formation approfondie en technologies de l’information et de la communication (TIC) pour les enseignant⸱e⸱s, qui leur permettrait d’utiliser efficacement ce matériel électronique et de régler les problèmes techniques.
Le Kenya est passé d’un programme d’éducation primaire universelle [pdf] à un programme d’éducation pour tous [fr]. L’éducation primaire universelle, le deuxième Objectif du Millénaire [fr] pour le développement déclaré par les Nations Unies, visait à faire en sorte qu’avant 2015, tous les enfants du monde terminent l’école primaire, alors que l’éducation pour tous était un mouvement mondial dirigé par l’UNESCO[fr], visant à apporter les avantages de l’éducation à « tous les citoyens dans chaque société ». Avec ces gains, le Kenya ne peut pas se permettre de revenir sur ses progrès.
Le prochain défi du Kenya est maintenant de s’assurer que les élèves aient accès à des projets d’alphabétisation numérique qui fournissent non seulement une éducation conventionnelle, mais un apprentissage holistique, autonome et basé sur les compétences, afin de réaliser sa vision de l’éducation et ses objectifs de développement durable d’ici 2030.