FATOU BENSOUDA AFFRONTERA-T-ELLE LA COMMISSION VÉRITÉ EN GAMBIE ? Partie I

Dans une dictature, tous ceux qui occupent un poste de responsabilité ont leur rôle dans son maintien, mais encore plus les membres de la magistrature. Les victimes ont droit de savoir quel rôle a joué Fatou Bensouda procureure de la Cour pénale internationale (CPI), pendant qu’elle occupait des postes de responsabilité dans la magistrature gambienne et en tant que ministre.

Dans cet article, publié sur justiceinfo.net le 11 juillet 2017  THIERRY CRUVELLIER ET MUSTAPHA K. DARBOE essaient de nous illustrer quelques points de ce rôle.

Vu la longueur de l’article, j’ai décidé de le publier en 3 parties. Voici le première.

Avant de parler au nom des victimes de graves crimes en tant que procureure de la Cour pénale internationale (CPI), Fatou Bensouda a loyalement servi, dans les plus hautes fonctions judiciaires, une dictature militaire dans son pays, la Gambie. Deux témoins l’ont déjà publiquement mise en cause devant la Commission vérité, réconciliation et réparations (TRRC). La Commission exigera-t-elle que la procureure réponde aux accusations ?

Le jour de l’inauguration de la Commission vérité, réconciliation et réparations (TRRC) en Gambie, le 15 octobre 2018, le discours de Fatou Bensouda semble plein de clarté. La procureure de la Cour pénale internationale (CPI), de nationalité gambienne, souligne d’abord combien le travail de cette Commission – chargée de faire la lumière sur les graves violations des droits de l’homme commises sous la dictature militaire de Yahya Jammeh, entre juillet 1994 et janvier 2017 – sera « crucial pour l’avenir de ce pays et pour le renforcement de l’Etat de droit dans lequel cet avenir peut être garanti ». Elle précise que cette justice ne doit pas se limiter « uniquement à des mots mais à de véritables actes ».  “Comme je le dis souvent, protéger les citoyens du fléau de la guerre et des conflits par le moyen du droit démontre un sens du leadership, non une faiblesse », ajoute-t-elle. « Pour que le pays grandisse, il doit affronter son passé. Il doit s’employer avec bonne foi dans cet effort de révéler les torts d’hier. Il doit identifier et confronter ceux qui en sont responsables, y offrir des réponses ainsi, évidemment, que la reconnaissance et la justice pour les victimes et les communautés touchées qui les ont si profondément méritées et désirées. » Et de conclure avec fermeté : « Le devoir de rendre des comptes commence chez soi. »

Pourtant, nombreux sont ceux, dans l’assistance, qui sont indisposés, voire choqués de la présence de l’invitée d’honneur. Ceux-là ont en tête le passé gambien de la procureure, devenue une figure sur la scène judiciaire internationale. Car celle qui, depuis quinze ans, en tant que procureure adjointe puis procureure de la CPI, est censée personnifier une certaine droiture morale et le souci impérieux des victimes, a jadis fidèlement servi et défendu, pendant des années et aux plus hautes fonctions judiciaires, la dictature de Jammeh qui est aujourd’hui mise à nu par la Commission vérité.

SIX ANS DE LOYAUTÉ À JAMMEH, VINGT-CINQ ANS DE SILENCE

Fatou Bensouda est devenue procureure à Banjul, la capitale gambienne, en février 1994, cinq mois avant le coup d’Etat qui porte de jeunes militaires au pouvoir, avec à leur tête Yahya Jammeh. Elle a 33 ans. Dès 1995, elle est directrice adjointe des poursuites. Elle est promue avocate générale principale l’année suivante. Puis elle devient adjointe du procureur général et secrétaire juridique de Jammeh, répondant directement à ce dernier. Et en 1998, elle est nommée procureure générale et ministre de la Justice (la fusion des deux fonctions est courante dans les pays à tradition Common Law), poste qu’elle occupera deux ans.

Ainsi, sous les six premières années de la dictature, Fatou Bensouda connaît une carrière fulgurante et remarquable pour atteindre les plus hautes fonctions nationales judiciaires et politiques dans le domaine de la justice, sous un régime où ce système judiciaire est marqué par de multiples et graves violations du droit, la pratique systématique de la torture, la fabrication des preuves, les détentions illégales, les disparitions forcées et les morts en détention.

Fatou Bensouda quitte son pays en 2002, où elle rejoint le Tribunal pénal international pour le Rwanda avant d’intégrer la CPI deux ans plus tard. Une fois éloignée du pouvoir, elle n’émettra jamais la moindre critique contre la dictature qu’elle a servie, malgré les sollicitations de la diaspora. En janvier 2016, pressée par le journaliste Tim Sebastian de dénoncer les violations des droits de l’homme en Gambie, lors de l’émission télévisée « Conflict Zone » sur Deutsche Welle, elle répond :

– « Je ne vais pas faire de déclaration sur les problèmes politiques survenant dans les pays.

– Il ne s’agit pas de politique. Il s’agit d’abus. Il s’agit de meurtres, il s’agit de tortures.

– Est-ce que ce sont des crimes qui tombent sous ma compétence ? Telle est la question », se contente-t-elle de conclure.

C’est ce passé et ce silence qui expliquent que, le 15 octobre dernier, de nombreux Gambiens trouvent particulièrement inapproprié qu’elle soit invitée à inaugurer la Commission vérité en Gambie. Et c’est cette part de vérité qui a commencé à émerger des audiences publiques, ouvertes le 7 janvier dernier devant la TRRC, à Banjul. A ce jour, deux victimes ont directement mis en cause Fatou Bensaouda alors que celle-ci était jeune avocate générale et directrice adjointe des poursuites.

Voici leurs témoignages.

A suivre

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