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La Gambie face au cauchemar de la chasse aux sorcières sous l’ancien régime

Le lundi 11 novembre, la Commission Vérité, Réconciliation et Réparations (TRRC) de la Gambie a entamé une session d’un mois se focalisant sur la pratique de la chasse aux sorcières, stratégie utilisée sous le régime de Yahya Jammeh. En 2009, ce régime a conduit des raids dans les villages et les institutions, concernant notamment l’armée, les services de renseignement et les prisons.

Beaucoup pensent que la stratégie de la chasse aux sorcières a été mise en place pour effrayer l’opposition de Yahya Jammeh et créer un climat de peur et de terreur.

Alors que le régime de Yahya Jammeh avait recours à la police pour réprimer et tuer des citoyens, les agents des forces de l’ordre ont également subi les conséquences de ces chasses aux sorcières. Le blog kerr-fatou.com en fait état :

L’une des institutions qui a été la proie de la chasse aux sorcières de Yahya Jammeh est la police gambienne. Devant la Commission vérité lundi, deux policiers, Ken Mendy et Abdou Colley, ont révélé comment les soi-disant guérisseurs avaient fait une descente au poste de police et accusé au moins six policiers d’être des sorciers.

Mustapha Ceesay, ancien membre du personnel de la police gambienne (GPF) et victime présumée de la chasse aux sorcières de l’ancien président gambien Yahya Jammeh en 2009, a témoigné depuis les États-Unis par Skype devant le TRRC, selon le blog kerr-fatou.com :

La chasse aux sorcières a commencé. Selon Mustapha Ceesay, les 13 et 14 janvier 2009. Au cours de ces deux jours, les “guérisseurs” se sont livrés à un interrogatoire au quartier général de la police, accusant les gens de sorcellerie.

Le 14 janvier, 40 personnes ont été accusées d’être des sorciers et sorcières au sein de la police. On a demandé à ces personnes de se regrouper en attendant d’être acheminées par camion vers un endroit inconnu pour être “soignées”.

Le journaliste Adama Makasuba a décrit comment ces “guérisseurs” “ont forcé les officiers supérieurs de la police du quartier général de Banjul à prêter allégeance à l’ancien président Yahya Jammeh en se tenant sous un palmier au-dessus d’une fosse sacrificielle où un coq avait été tué,” ce dont témoigne Ken Mendy, policier qui avait déposé devant la Commission (TRCC) le lundi 12 novembre.

Dans un communiqué daté de mars 2009, Amnesty International a révélé que près de mille personnes avaient été “enlevées dans leur village par des “guérisseurs“, conduites dans des centres de détention gardés secrets et forcées de boire des décoctions hallucinogènes”.

Selon certaines informations, des responsables gambiens, notamment parmi la police, l’armée et les membres de la guarde personnelle du président, ont escorté des marabouts tout au long de leur campagne [de chasse aux sorcières]…

Dans les centres de détention secrets, où certains sont enfermés jusqu’à cinq jours, ils sont contraints de boire des substances inconnues qui leur provoquent des hallucinations et un comportement erratique. Beaucoup sont alors forcés d’avouer qu’ils sont des sorciers. Dans certains cas, ils sont aussi violemment passés à tabac, frôlant même la mort.

Sept ans plus tard, en 2016, gainako.com relatait que les “chasseurs de sorcières” faisaient du porte-à-porte dans le village de Kamfenda, dans la région occidentale de Foni, ancien bastion de Yahya Jammeh, pour tenter d’arrêter des citoyens pour sorcellerie :

Les citoyens se souviennent qu’un camp avait été ouvert dans le village de Kanilai (au sud de la Gambie) en 2009, où des milliers de personnes ont été enlevées et forcées de boire du “kubehjara” (une boisson à base d’herbes potentiellement toxique produite localement) par des marabouts du Mali et de Guinée (importée par Yahya Jammeh). Ils ont déclaré que les marabouts avaient violé des femmes, leur avaient dérobé des objets personnels comme de l’argent et des téléphones cellulaires et les avaient même forcées à danser selon un rituel dans des espaces publics. De nombreux villages ont été victimes de la folie, le summum de la folie a eu lieu dans (les villages de) Jambur, Makumbayaa, Barra, Sintet, Bwiam, et bien d’autres. Beaucoup de personnes ont perdu la vie, d’autres sont aujourd’hui victimes de graves complications gastriques et beaucoup d’autres ont fui la Gambie vers la Casamance voisine (Sénégal) pour éviter ces rafles. A noter que beaucoup de ceux qui ont résisté ont été arrêtés et jugés dans l’affaire Jambur, y compris un ancien candidat à la présidence, Halifa Sallah.

Jason Florio, photographe et écrivain londonien primé, a écrit sur ces rafles pour son projet #Portraits4PositiveChange en janvier 2019 :

Dodou Sanyang dans la chambre de sa mère récemment décédée. Elle faisait partie du millier de personnes âgées enlevées sur ordre de l’ancien président Yahya Jammeh en 2009. Des troupes paramilitaires de Yahya Jammeh ainsi que sa brigade de jeunes, les Green Boys [fr], et des “magiciens” de Guinée sont allés de village en village dans le cadre d’une chasse aux sorcières [en] à travers le pays.

Les sorciers et sorcières présumé.e.s ont été détenu.e.s jusqu’à cinq jours dans des lieux secrets et ont été forcé.e.s de boire du “Kubehjjaro”, une substance hallucinogène, puis d’avouer leurs sortilèges. Certains ont également été sévèrement battus et dépouillés par leurs ravisseurs. Certains sont morts dans les lieux de détention et d’autres, comme la mère de Dodou Sanyang, ont contracté une longue maladie avant de mourir. Beaucoup dans le village de Dodou Sanyang estiment que les personnes âgées n’étaient pas visées pour des faits de sorcellerie, mais plutôt parce que le village avait été un bastion de l’opposition – Essau, Northbank Division, The Gambia.

La police gambienne faisait partie des institutions et individus visés par les chasses aux sorcières comanditées sous le régime de Yahya Jammeh en 2009. Commissariat de police de Serekunda, Gambie, 2015. Photo par WildRedHen via Flickr, CC BY 2.0.

Une nouvelle chasse aux sorcières

La chasse aux sorcières sous Yahya Jammeh a brusquement cessé en 2009 lorsque le gouvernement y a soudainement mis fin sans explication et a libéré les personnes détenues, selon un communiqué d’Amnesty International datant d’avril 2009.

Mais des années plus tard, les communautés lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres et queer ont également été la cible du régime de Yahya Jammeh. Graeme Reid, le directeur du programme pour les droits des personnes LGBTQ à Human Rights Watch, a révélé en décembre 2014 :

La toute nouvelle cible de Jammeh est la communauté LGBT. En octobre, il a signé un nouveau code pénal qui prévoit une peine pouvant aller jusqu’à la prison à perpétuité pour “homosexualité aggravée”, qui est ainsi définie de manière à inclure les “délinquants en série” et les personnes infectées par le VIH qui sont supposées être gaies ou lesbiennes. La nouvelle loi a déclenché une chasse aux sorcières contre les personnes LGBT en Gambie avec au moins 14 arrestations recensées. Certaines des personnes appréhendées ont été torturées. Les détenu.e.s ont déclaré qu’on leur avait dit que s’ils et elles n’avouaient pas et ne fournissaient pas le nom d’autres soi-disant délinquants, un objet serait introduit dans leur anus ou leur vagin pour “évaluer” leur orientation sexuelle. Ceux et celles qui ont pu fuir ont trouvé refuge au Sénégal voisin.

Les sessions spéciales du TRCC se dérouleront en périphérie de Banjul dans les villages où la chasse aux sorcières a eu lieu, en commençant par le village de Jambur dans le sud-ouest de la capitale. Il est à souhaiter que la TRRC abordera toutes les formes de harcèlement ciblé et de terreur sous le régime de Yahya Jammeh.

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Ce billet que j’ai écrit en anglais pour le réseau globalvoices.org a été traduit par Véronique Danzé et publié le 7 décembre 2019.

 

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konakryexpress

Je revendique le titre de premier clandestin à entrer en Italie, le jour où la mort de Che Guevara a été annoncée. Mais comme ce serait long de tout décrire, je vous invite à lire cette interview accordée à un blogger et militant pour les droits humains qui retrace mon parcours dans la vie: https://fr.globalvoices.org/2013/05/20/146487/

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