« L’arme que Sékou Touré a maniée avec le plus d’efficacité aura été le complot. Tous ceux qui avaient le savoir, la fortune, la naissance, n’étaient que des condamnés en sursis. Tous étaient fichés et « programmés » pour un « complot » à venir qui tombait chaque fois à point nommé pour distraire le peuple de sa misère et de ses souffrances ».
Alpha-Abdoulaye Diallo.
La répression brutale de ces différents « complots » soulève une immense indignation à travers le monde libre. Les organismes internationaux en charge de la défense des Droits de l’Homme commencent à réagir en 1977. La Ligue internationale des Droits de l’Homme transmet le 8 juin 1977 au secrétaire général des Nations Unies, M. Kurt Waldheim, un dossier rempli de preuves documentaires de violations flagrantes des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Ce dossier est signé de quatre anciens ambassadeurs des Etats-Unis en Guinée, MM. James Loeb, William Atwood, Mc Ilvaine et John Morrow. La lettre affirme que « quiconque soupçonné d’être opposant au gouvernement est arbitrairement détenu, et apporte des preuves démontrant la pratique de la torture, de l’exécution sommaire, de l’assassinat politique, de réduction à la famine des prisonniers politiques, de la contrainte à l’exil de plus de 2 millions de Guinéens » et demande l’ouverture d’une enquête internationale. Le représentant de la Guinée à l’ONU rejette ces accusations. Au même moment Radio Conakry et Sékou Touré se déchaînent contre le Parti Socialiste Français qui est accusé d’avoir calomnié la Guinée lors d’un congrès de ce parti tenu à Nantes.
La situation en Guinée n’échappe pas à Amnesty International. Conformément à sa doctrine, elle prend en charge dans les années 60 des syndicalistes et d’autres prisonniers politiques. Toutefois, au début des années 1970, elle réduit son action en faveur des cas individuels de crainte que les autorités guinéennes n’exercent des représailles contre les prisonniers dont le sort est dévoilé. Dès lors Amnesty International entreprend une campagne générale pour la libération de tous les prisonniers politiques en Guinée. A cette fin elle publie en 1978 une brochure qui décrit tout le système concentrationnaire mis en place par Sékou Touré et son régime, et tente de dresser un état des personnes tuées, disparues ou emprisonnées.
A la suite de nombreuses démarches effectuées en 1978, Amnesty obtient du gouvernement guinéen l’autorisation d’envoyer une mission en Guinée, ce qui sera réalisé en 1978, avec visite du Camp Boiro. Camara Kaba 41 décrit dans son livre-témoignage « Dans la Guinée de Sékou Touré, cela a bien eu lieu » les conditions de cette visite. Les représentants d’Amnesty furent abusés par l’ambiance régnant au Camp Boiro: « Il y a à Boiro les gardes et leurs familles, des milliers de femmes et d’enfants libres. Il y a une école, une infirmerie, il y a même l’orchestre de la Garde Républicaine qui répète toute la journée. C’est dans cette ambiance de liberté, de paix, du bon vivre, qu’on tue ». Les membres d’Amnesty passèrent à 10 mètres de la cabine technique et à 100 mètres du Bloc, l’enfer de Boiro, sans les voir.
Amnesty International obtient l’envoi d’une mission en Guinée du 16 au 23 décembre 1981, qui se conclue par un rapport intitulé « Emprisonnements, disparitions et assassinats politiques en République populaire et révolutionnaire de Guinée ». La mission a plusieurs réunions et déjeuners avec le président Sékou Touré, le premier ministre Lansana Beavogui et le ministre de la Justice Sikhé Camara, et peut visiter le Camp Boiro guidé par Siaka Touré, commandant du camp et directeur de l’Administration pénitentiaire. En dépit de cet accueil chaleureux, Amnesty n’obtient pas d’informations précises sur les prisonniers d’opinion. Le malentendu reste entier après qu’Amnesty ait déclaré ne s’intéresser qu’aux prisonniers politiques qui n’avaient commis aucune violence. Or le gouvernement guinéen attribue à tous ces prisonniers, bien que sans preuve, de tels actes de violence.
Lorsqu’on interroge Sékou Touré sur les violations des Droits de l’Homme en Guinée il perd tout son sang-froid et nie globalement tous les faits reprochés à son régime. Interrogé sur cette question par un journaliste d’Antenne 2 dans son palais de Conakry en août 1982 avant son voyage officiel en France de septembre, il répond : « Nous avons toujours respecté les Droits de l’Homme. Et je crois que la démocratie guinéenne est en avance sur la plupart des démocraties en Europe ».
— « Y a-t-il des prisonniers politiques en Guinée ? »
— Sékou Touré: « Ce ne sont pas des prisonniers politiques. Ils ont été arrêtés à la suite d’une agression. »
Plus tard, interviewé à Paris par différents journalistes de la presse écrite, de la radio et de la télévision au sujet du respect des Droits de l’Homme en Guinée, il répond à Ivan Levaï d’Europe 1, le 20 septembre 1982 : « Le système démocratique guinéen est le plus avancé dans le domaine des Droits de l’Homme. Nous sommes en avance sur l’Europe par la place qui est faite à la femme dans la société. Nous sommes en avance et c’est pourquoi, sans complexe, nous disons partout : Nous n’avons rien à apprendre dans le domaine de la liberté, de la dignité que nous avons toujours respectées ».
Au journaliste d’Antenne 2 qui l’interviewe au sujet de 8 Français disparus, époux de femmes françaises et qui, à ce titre, bénéficiaient de la double nationalité, Sékou Touré renvoie au massacre de la Commune rapporté dans Historia sous le titre « Les Français contre les Français », après avoir indiqué qu’ils avaient été exécutés. De même il accepte « pour faire le démenti aux menteurs, que non seulement la Croix Rouge mais tout autre organisme indépendant vienne visiter la Guinée ». Cette autorisation ne fut jamais accordée.
Nous sommes en plein déni. Les lois ne sont pas respectées. Le code pénal guinéen «prévoit en effet de longues peines d’emprisonnement pour les fonctionnaires de l’Etat qui opèrent des arrestations arbitraires et ont recours à l’usage de la violence contre les personnes ». Le problème fondamental est que les mots n’ont pas le même sens. Comme l’écrit Hannah Arendt : « Le chef totalitaire justifie toutes ses mesures par l’argument même qu’elles sont nécessaires à la liberté. Il n’est pas contre la liberté, pas même pour une limitation de celle-ci. Le seul ennui est que son concept de liberté diffère radicalement de celui du monde non totalitaire » 64.
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Ce billet a été extrait du livre de Maurice Jeanjean Sékou Touré: un totalitarisme africain