Guinée et Rio Tinto: Le hold-up du siècle

Le siège de Rio Tinto. Source Wikipedia

Dans sa livraison du 31  octobre  2011, l’hebdomadaire satirique Le  Lynx de Conakry présente une analyse critique de Karim Ismaël du contrat signé entre la Guinée et le géant minier Rio Tinto. Cet accord avait été présenté par le gouvernement guinéen comme un exemple dans le domaine des négociations entre les pays possédant des réserves minières et les multinationales possédant de l’argent et le know-how pour les mettre en valeur. Certains médias online  avaient insisté sur l’implication personnelle du Président Condé dans les négociations. Ainsi, le site guineetv1.com, par exemple publiait le 30 avril 2011: 

Les premières informations reçues nous révèlent que c’est grâce au Président de la République lui-même que cet accord a pu être obtenu. Il aurait usé de sa lucidité et de sa connaissance de la chose juridique pour arriver à cet accord et apporter les clarifications qui pouvaient échapper aux simples techniciens.

Mais de nombreux observateurs avaient émis des doutes. Certains avaient meme crié au scandale. Après plus de 6 mois les faits semblent leur donner raison d’après Karim Ismaël. Voici son analyse in extenso:

Le contrat que le gouvernement guinéen a signé avec le groupe minier Rio-Tinto mérite d’être examiné en profondeur comme nous l’avons promis dans nos précédentes éditions. « L’Accord transactionnel» daté du 22 avril 2011, lie la République de Guinée et Simfer S.A (une société membre du groupe Rio Tinto) et Rio Tinto Minig and Exploitation Limited (également membre du groupe Rio Tinto). Cet “ accord transactionnel ” est un grand scandale au détriment de la Guinée. Tout se trame et s’exécute dans l’ombre, à l’insu des populations guinéennes,  véritables propriétaires des ressources à exploiter.

Le fameux “ accord transactionnel ” a permis au groupe Rio Tinto de verser à l’Etat guinéen “la somme transactionnelle définitive ” de 700 millions de dollars des Etats-Unis.

Il est précisé qu’elle sera versée dans les 3 jours ouvrés de la date à laquelle le décret de concession et le décret d’approbation auront été promulgués. Les partis conviennent que la somme transactionnelle est déductible d’impôt même si elle sera portée à l’actif de Simfer en raison, notamment, du fait que celle-ci est versée en contrepartie de la confirmation de ses droits miniers exclusifs”. Cette clarification montre que les 700 millions de dollars représentent:

– la valeur d’acquisition des droits miniers (droits de propriété exclusive) sur la concession minière dont le périmètre “correspondra à la partie sud du mont Simandou située dans les préfectures de Beyla, Macenta et Kérouané sur une longueur de 55 Km ayant une superficie de 369 Km2 ” .

– la valeur d’un élément d’actif susceptible d’être amorti suivant un taux qui n’est pas défini.

– les amortissements de ce montant seront déductibles des bénéfices éventuels et même des impôts dûs par la société (cas de la taxe minière).

– une avance coûteuse sur les revenus futurs de la Guinée.

A la faveur de cet “ accord transactionnel ” et donc du versement des 700 millions de dollars, le gouvernement ferme les yeux et la bouche sur la  cession des actions à Chalco. On sait que Rio Tinto a cédé des actions à une société chinoise dénommée Chalco en réalisant, selon certaines sociétés, un bénéfice de deux milliards de dollars. Comme cette plus value de cession des actions à Chalco a dû laisser la Guinée sur sa faim, les dispositions de “ l’accord transactionnel ” prévoient que “ le ministre des mines approuve expressément l’ensemble des termes et conditions de l’accord signé entre Rio Tinto et Chalco et, par conséquent, la cession au profit de Simfer Jersey Limited d’actions de SIMFER actuellement détenues par des entités du groupe Rio Tinto, ainsi que de toute prise de participation par Chalco dans le capital social de Simfer Jersey Limited.

L’Etat confirme que le transfert à Simfer Jersey Limited d’actions détenues par les sociétés du groupe Rio Tinto, le transfert du financement historique de Simfer Jersey Limited, ainsi que toute prise de participation par Chalco dans le capital Simfer Jersey Limited, seront entièrement libres de tous frais, droits, taxes, impôts et autres charges de toute nature”.

En termes simples, Rio Tinto accepte de payer les 700 millions de dollars pour que personne ne vienne ” fourrer le nez ” dans ses affaires juteuses ” réalisées à l’occasion de la vente de ses actions à Chalco. On remarquera que l’opacité des transactions est organisée en passant de Simfer S.A à Simfer Jersey Limited; Chalco-Jersey étant certainement un paradis fiscal.

Rio Tinto fait donc une bonne affaire. Elle paye 700 millions de dollars moyennant silence sur sa plus value de cession réalisée avec Chalco et possibilité de récupérer les 700 millions payés sur les revenus  futurs de la Guinée.

A ce stade, Rio Tinto fait d’une pierre deux coups. Mais comme elle a affaire à des “ Zozos ”, elle obtient des avantages exorbitants. Aussi, l’annexe comptable et fiscal à la convention ” prévoit-il:

• le maintien de l’exonération de l’impôt minimum forfaitaire et de l’impôt sur le revenu d’une durée de 8 ans à compter de la première année de bénéfice taxable ;

• l’exonération d’impôt et de toute retenue à la source sur les dividendes sur toutes autres distributions aux actionnaires…

• L’Etat accepte d’appliquer à Simfer un taux général d’imposition sur les bénéfices de 30% à compter de la fin de la période d’exonération”. Ce troisième coup réalisé par Rio Tinto au détriment de la Guinée est le plus fort et le  plus dangereux :

• un impôt sur les bénéfices au taux de 30% au lieu de 35% selon le code minier et celui  des impôts.

• Une exonération de 8 ans, non pas à partir de la première production commerciale, mais à partir du premier exercice bénéficiaire, c’est du jamais vu. Si la société ne fait son première bénéfice taxable (après amortissement des 700 millions de dollars) qu’à la 5ème année de production, l’impôt ne serait applicable qu’à la 14ème année d’exploitation !

• Les dividendes aux actionnaires (part du bénéfice distribué) ne paient aucun impôt en Guinée, même si les revenus sont de source guinéenne ! Rappelons que les dividendes distribués  paient, conformément au code général des Impôts, 10% au trésor public. Il est bon de savoir qu’au moment où le Gouvernement guinéen négociait ce fameux “ accord transactionnel ” avec Rio Tinto, le projet de code minier était en cours de préparation. Nous en avons parlé ici même  dans le précédent numéro.

Or, comme Rio Tinto savait que ce code était en cours d’élaboration, il a tenu à se prémunir contre les dispositions différentes susceptibles de modifier la Convention de Rio Tinto.

C’est pourquoi, “SIMFER prend bonne note de la préparation par l’Etat d’un nouveau code minier, et rappelle que les dispositions de la convention, notamment ses articles 9, 30, 33 et 44 établissent le statut prioritaire de celle-ci par rapport aux autres lois guinéennes, ce que l’Etat reconnaît.

Toutefois, Simfer accepte de rencontrer l’Etat afin d’examiner l’incorporation de certaines des dispositions du nouveau code minier concernant les droits de l’homme et l’environnement, les parties ayant convenu que les dispositions de la Convention telles que modifiées par le présent accord transactionnel, sont figées (y compris pour éviter tout doute sur celles concernant la participation de l’Etat et les matières fiscales) en l’absence d’accord ultérieur entre les parties, et en l’absence de cet accord, celles-ci ne seront pas affectées par des amendements incompatibles futurs au code minier, ou de nouvelles dispositions minières incompatibles ou d’autres lois incompatibles actuelles ou futures. ”

Malgré ce blindage juridique qui fixe dans le marbre les avantages excessifs consentis à Rio Tinto par le gouvernement guinéen, cette société se ravise pour boucler la boucle par un avenant à la Convention de stabilisation, qui stipule que “dans l’hypothèse de toute incompatibilité entre les termes la convention et les termes de l’accord transactionnel, ceux de l’accord transactionnel prévaudront dans la mesure de cette incompatibilité .

Dans les cas où le présent accord transactionnel prévoit ou suppose, de façon expresse ou implicite, que la modification de la convention serait nécessaire, et dans les cas où il serait nécessaire de modifier la convention par un avenant ratifié pour que cette  modification devienne effective, cet accord transactionnel sera réputé constituer un engagement de l’Etat de  conclure un tel avenant et d’en obtenir la ratification dans les meilleurs délais ”.

Ceci montre que “ l’accord transactionnel ” est plus favorable à Rio Tinto que la convention dont elle disposait et qu’elle souhaitait voir amendée par  un avenant constitué par les avantages favorables de “ l’accord transactionnel ”.

Il est également dit que “les parties acceptent que les stipulations du présent Accord transactionnel prises ensemble avec celles de la convention telle que modifiée par le présent Accord Transactionnel soient figées et ne voient pas leur portée restreinte ou augmentée, ni ne soient abrogées ou autrement modifiées par les dispositions du décret de concession ou autrement. Par ailleurs, le décret de concession ne comportera aucune disposition requérant la réorganisation des termes du présent Accord Transactionnel ou de la Convention”.

Toutes ces précautions juridiques renforcent le caractère déséquilibré de cet “Accord Transactionnel”. De quoi les partenaires de Rio Tinto ont-ils peur ? Ils peuvent craindre qu’un gouvernement sérieux ne vienne remettre en cause ces “arrangements”. Jugeons par nous-mêmes. “L’accord transactionnel ” est une catastrophe pour la Guinée. La valeur des gisements concernés est extrêmement élevée. La teneur en fer de la concession serait de 65%. Ce n’est même pas tout.

Nous reviendrons sur d’autres aspects très scandaleux, notamment ceux liés au niveau de participation de la Guinée au capital social et à ceux de l’utilisation des infrastructures (chemins de fer, port, cite…)

Nous reviendrons aussi sur certains aspects juridiques qui enferment la Guinée dans une impasse, face à cet “ accord transactionnel ” qui doit être dénoncé par tous, parce que les intérêts de la Guinée y sont lésés. Si la Guinée utilise et consomme les fameux sept cent millions de dollars, les générations futures, moins stupides et moins voleuses que nous, seront confrontées à la nécessité de rembourser cette somme et de remettre à plat les conditions d’exploitation des gisements de fer de Simandou. D’ores et déjà, une partie des 700 millions de dollars figure en bonne place dans le budget rectificatif 2011.

Pourtant, c’est un hold-up.

Laisser un commentaire avec Facebook
Quitter la version mobile