Ce mardi 26 mars, cela fera 35 ans depuis que le premier Président de la Guinée, Ahmed Sékou Touré mourait, après 26 années de dictature sanguinaire. J’ai appris la nouvelle de sa mort vers 7 heures du matin, à Vienne en Autriche, par un ami congolais qui habitait dans le même bâtiment que moi et qui avait écouté RFI.
J’étais tellement content que j’ai dansé comme un fou au point que ma femme et mon ami ne réussissaient pas à m’arrêter. Par hasard, j’avais une bouteille de champagne « Veuve Cliquot » dans mon frigo. Je ne vous dis pas ce que j’en ai fait , vers 7 heures du matin, au moment où je me préparais à aller au bureau. Devinez! Après, j’ai pris une journée de congé. Lors du mois de Ramadan qui a suivi, j’ai jeuné presque entièrement tout le mois, peut-être pour la première fois. Cette année-là ce mois saint a coïncidé avec le mois d’aout. A 3:30 h du matin, il faisait déjà jour et à 21:50 h, le soleil ne se décidait pas à s’en aller.
Cela faisait 20 ans et 5 mois que je n’avais pas revu le pays. Mon père avait été arrêté par le régime dictatorial de Sékou Touré, une première fois en 1970 et la dernière fois en 1971. Pour mes amis non guinéens, je vous dois quelques explications. En novembre 1970, une ténébreuse affaire s’est déroulée dans les eaux territoriales guinéennes et à Conakry, la capitale du pays. Un bateau portugais a débarqué des personnes armées. L’affaire n’a jamais été mise au clair d’une manière indépendante. Trois hypothèses ont été avancées:
1. Des nationalistes guinéens, avec l’appui du Portugal, pourraient avoir tenté de déposer le dictateur, après 12 ans de régime totalitaire.
2. Le gouvernement dictatorial de Salazar au Portugal pourrait avoir voulu se débarrasser des nationalistes de la Guinée-Bissau qui menaient une guerilla pour l’indépendance de leur pays.
3. Le fils d’un général portugais aurait été fait prisonnier par les nationalistes bissao-guinéens et détenu à Conakry. Les autorités militaires de son pays pourraient avoir organisé le coup pour le libérer.
En tout cas les conséquences furent très dures pour le peuple de Guinée. Des dizaines de milliers d’innocents furent arrêtés, humiliés et torturés jusqu’à ce que la mort s’en suive. Voici un extrait du livre d’un survivant, Lieutenant-colonel Camara Kaba 41, intitulé « Dans la Guinée de Sékou Touré : cela a bien eu lieu. » Paris, L’Harmattan. 1998. Mémoires Africaines. 253 pages accessibles gratuitement sur le site campboiro.org.
« Les détenus à pendre, mercenaires et paisibles citoyens, devaient partir du camp Boiro et du camp Alpha Yaya. A Alpha Yaya, Mamady, aidé de Zézé et de Toya, avait enroulé les pendables dans des fils barbelés pour leur transfert. Proprement embrochés, peu de pendables arrivèrent à destination vivants. Il y a eu des fédérations (cellules du parti disséminées dans tout le pays, ndr) qui ont pendu tout de même des cadavres ; d’autres qui avaient reçu leurs pendables morts, exigèrent et obtinrent des pendables vivants.
Après les pendaisons, Sékou Touré n’était pas satisfait. Il y avait des têtes sur sa fameuse liste qui non seulement n’étaient pas pendues mais même pas encore arrêtées. Il fallait faire vite, profiter de la chaleur de l’agression, de la compassion du monde entier pour rendre vrai ce qui est faux.
Le monde entier le soutient. N’est-il pas l’agressé ? Sékou, à l’affût dans l’ombre de l’agression, va tuer comme il ne l’a jamais fait depuis 1953. Il va abuser de la bonne foi de l’ONU, de l’OUA, des pays africains et de tous les pays du monde. Ils vont tous le soutenir, lui Sékou, contre les paisibles Guinéens. Les organismes internationaux et tous les pays vont compatir aux maux de Sékou, en lui envoyant des centaines de milliers de dollars et de l’armement supplémentaire. Avec le monde entier à ses côtés, il va, avec ses complices, mâter le peuple de Guinée : il n’y a pas une seule famille guinéenne, de toute ethnie, qui n’ait eu un de ses membres arrêté ou tué dans l’affaire de la « 5ème colonne ». »
Pour les seules années 1970 et 1971, furent arrêtés 10 ministres, 8 ambassadeurs, 42 hauts fonctionnaires de l’état, 18 gouverneurs de région, 9 secrétaires fédéraux, 20 Officiers et sous-officiers (toutes armes confondues), 13 hommes d’affaires. Mais cette liste est très partielle.
Après l’arrestation de notre père, nos biens ont été nationalisés et la famille chassée de toutes nos propriétés, chaque membre n’ayant eu l’autorisation de prendre que ce qu’il avait sur lui. Ma mère a voulu prendre son tapis de prière, un des miliciens qui étaient venus les chasser le lui a retirer avec force. Elle a failli tomber dans les escaliers.
Non seulement on n’avait jamais plus eu des nouvelles de notre papa, mais le chef des tortionnaires du Camp Boiro se promenait avec sa voiture dont il s’était appropriée. Les membres de l’Association des victimes du Camp Boiro sont dans leur immense majorité dans le même cas que moi.
Le bâtiment principal de notre propriété à Conakry avait subi un tel délabrement que les bidets, les baignoires, les portes et fenêtrés avaient été détruits. Il parait que peu de temps avant la mort du dictateur, sa femme s’était émue devant la TV nationale des mauvais comportements des cadres que le gouvernement y avait logés. Lors de mon premier séjour, j’ai demandé à un ami italien de me faire le devis pour la reconstruction. Il m’a dit qu’il valait mieux le détruire entièrement et le reconstruire. Mais frères ont trouvé un autre moyen de le réhabiliter.
Encore aujourd’hui nous attendons toujours la restitution du corps ou l’indication de la fosse commune dans laquelle se trouve les restes de notre père. Ses actions dans une société qu’il avait créée avec des amis et un terrain à Kaloum, la zone commerciale de la capitale ne nous ont pas été restitués. C’est la situation de nombreux autres membres de notre association.