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Guinée: Comment expliquer la nature tortionnaire du régime de Sékou Touré?

J’ai tiré ce billet du livre « Camp Boiro. Parler ou périr » d’Alsény Gomez, que j’ai personnellement connu à Vienne, en Autriche, où il était allé reprendre ses forces quelques mois après sa libération et avant de prendre son poste d’ambassadeur de Guinée au Liberia. Ensuite, sous le régime du président Lansana Conté, il a été successivement, ministre secrétaire général de la présidence de la République, ministre de l’Intérieur et ministre de la justice.

En tant que ministre, son bilan est loin d’être brillant, mais on retiendra de lui qu’il fut une personne joviale, le sourire toujours sur les lèvres, ce qui l’amena à jouer un grand rôle dans le soutien moral de ses co-détenus. C’est en prison qu’il devint musulman. Son frère Monseigneur David Guillaume Gomez est évêque de l’Eglise anglicane de Guinée et Guinée-Bssau.

L’auteur avance quelques hypothèses pour comprendre comment Sékou Touré, personnalité politique au destin exceptionnelle, adulée sur le plan international a transformé son pays en un goulag.

Le pouvoir instauré par Sékou Touré, et qui a perduré pendant 26 ans, en dépit de nombreux complots régulièrement dénoncés mais rarement prouvés, peut être défini comme un régime totalitaire, c’est-à-dire un pouvoir mettant tout le peuple à la merci d’une idéologie construite par un homme et s’appuyant sur un parti unique, le PDG. Pour sa mise en place et sa consolidation, il s’était singularisé par l’application systématique d’une multitude de méthodes de liquidation physique aussi variées que cruelles, qui n’ont épargné aucune ethnie, aucune religion, aucune classe sociale. La question qui vient donc à l’esprit est de savoir:

Pourquoi tout ce massacre ?

Pourquoi et comment de 1959 à 1984, la Guinée a-t-elle été le théâtre d’arrestations massives et successives, ayant entraîné la mort de plusieurs milliers de personnes, par pendaison, exécution, diète et autres formes de liquidation ?

Comment expliquer à défaut de pouvoir justifier un tel acharnement et une telle cruauté ?

On peut avancer plusieurs hypothèses :

La fatalité ?

Non. Impossible d’accepter une fatalité qui serait caractérisée par un massacre collectif et cyclique, soumettant à la même sanction le Général et le caporal, le professeur et l’élève, le grand commerçant et la vendeuse du marché, le ministre et le planton, l’imam et l’archevêque, le notable et le délinquant.

Les pratiques irrationnelles ?

Elles ne sont pas à exclure. Par exemple, le nombre de victimes des exécutions du 18 octobre 1971 semble avoir été fixé en fonction de critères purement irrationnels. Compte tenu de    la dispersion des différents lieux d’exécution, la comptabilité des victimes et leur identification nécessiteront beaucoup de temps. Cependant, le 18 octobre étant aussi la date anniversaire de la naissance du Président Houphouët Boigny de Cote d’Ivoire, la coïncidence mérite d’être signalée.

Lire également: En deux semaines, les prisonniers virent entrer au bloc plus de trente ministres et ambassadeurs, sans compter de nombreux hauts fonctionnaires de tout rang. 

D’autre part, il serait intéressant de savoir pour quelle raison et dans quel but Sékou Touré s’était rendu dans la nuit du 1er mars 1977 au cimetière de Nongo, en compagnie de maire Lamina, président du quartier (à l’époque Pouvoir Révolutionnaire Local, PRL), pour faire exhumer le corps de Diallo Telli enseveli dans la journée, et avait demandé de découvrir son visage 1.

De même, comment expliquer la mise à mort par diète noire, deux semaines après la mort de Telli Diallo, plus précisément le 13 mars 1977, de quatre jeunes qui ne se connaissaient pas auparavant. Quatre personnes dont le seul crime, pour ne pas dire la malchance, aurait été de porter le même nom de Boiro. L’irrationnel demeure pour l’instant la seule explication.

Coincidence ou date fétiche ?

L’on pourrait se demander pourquoi avoir attendu le 25 janvier 1980 pour faire libérer Diop Alhassane, un de ses anciens ministres, alors que ce dernier avait déjà été convoqué et habillé une première fois au poste de police le 4 novembre 1979 ? En effet on ne peut s’empêcher de penser au 25 janvier 1971, date à laquelle il avait fait pendre trois autres de ses anciens ministres au pont du 8 novembre à Conakry. Pour justifier certains comportements chez Sékou Touré, l’Ambassadeur André Lewin n’écarte pas non plus l’irrationnel. En effet, la mission dont il avait la charge en tant qu’envoyé spécial du Secrétaire Général de l’ONU, d’autres plus puissants et plus prestigieux tels que le Président des Etats unis, Indira Gandhi alors Premier Ministre de l’Inde, et plusieurs Chefs d’Etats africains, s’y étaient déjà essayés sans succès. A la question d’un journaliste lui demandant:

Lire également: L’aveu en Guinée 

— Comment avez-vous procédé avec Sékou Touré ? Vous l’avez ensorcelé ?

— Vous ne croyez pas si bien dire. Un de mes amis africains m’avait raconté que Sékou Touré se serait laissé dire par un marabout qu’un jour prochain, c’était en 1973, un homme blond viendrait changer le cours des évènements en Guinée.

Si cette anecdote est vraie, et je n’ai pas de raison de croire qu’elle ne l’est pas, j’aurais été dans l’esprit de Sékou Touré envoyé par le destin.

Par hasard ?

Non, dirait mon ami et grand frère, docteur Ousmane Keita, qui était aussi mon dernier compagnon de cellule à Boiro. Je me souviens du jour où il me relata les péripéties d’une mémorable partie de dames qu’il avait livrée avec son ami Sékou Touré, au moment où il n’était pas encore étiqueté « Comploteur ».

— Mes relations amicales avec Sékou Touré, disait-il, me donnaient très souvent l’occasion d’aller au Palais pour jouer. Un jour, comme c’était mon jour de chance, j’ai eu à mener trois jeux à zéro. J’étais content mais un peu gêné, alors j’avais proposé de jouer le quatrième jeu au quitte ou double, avec la secrète intention de me laisser battre.

Réponse de Sékou Touré :

— Ousmane, tu crois que moi, je peux laisser mon sort au hasard ?

Malheureusement, docteur Ousmane Kéita avait oublié de me raconter la fin de leur soirée, et moi je n’ai pas cherché à connaître la suite.

Alors par calcul ?

En effet, il est plus que troublant de constater que, depuis le début des arrestations fin novembre 1970, les effectifs des hommes de garde en service à Boiro avaient toujours respecté un certain équilibre régional. Grâce aux noms et à la langue parlée, nous avions très tôt compris que les agents provenaient des quatre régions naturelles du pays. La question qui se pose est de savoir pourquoi, avoir systématiquement éliminé des effectifs, les agents originaires de la Moyenne Guinée (Fouta-Djallon), région d’origine de Diallo Telli, au moment du renouvellement semestriel prématuré du groupe ? En tout cas, comme par coïncidence, quelques jours seulement après la relève, ce fut le déclenchement en juillet 1976 de l’affaire Diallo Telli dite Complot Peul.

Ses différents discours étaient consignés dans des ouvrages désignés sous le nom de « Tomes du PDG ». Il aimait les offrir à ses visiteurs dont certains avaient le privilège d’en recevoir avec dédicace.

Le cadeau avant l’arrestation

Le cas de Baldé Oumar en poste à Dakar comme Secrétaire Exécutif de l’Organisation des Etats riverains du fleuve Sénégal OERS). Après l’agression du 22 novembre 1970, Baldé Oumar est appelé en consultation à Conakry par message. Il en informe alors le Président de la République du Sénégal, pays hôte du siège. Ce dernier lui fit part de ses appréhensions et lui recommanda de différer son déplacement compte tenu de l’exceptionnelle tension qui prévalait en Guinée à ce moment.

Cependant, Baldé Oumar répondit qu’il avait obligation de s’exécuter, surtout qu’il n’avait rien à se reprocher. C’est ainsi qu’arrivé à Conakry, il fut reçu sans protocole par le chef de L’Etat qui, après avoir pris connaissance séance tenante du contenu du courrier qu’il avait amené, le félicita et le reconduisit jusqu’à l’escalier.

Pour son retour, contre toute attente, il rencontra des lenteurs inhabituelles pour la récupération de son passeport au niveau des agents du Ministère de l’Intérieur. Par la suite, ses appréhensions furent vite balayées par la chaleur de l’accueil à la Présidence. Il lui fut même proposé par le Président le poste d’Ambassadeur de Guinée au Sénégal. Au moment de se séparer, le Président lui dédicaça un Tome qu’il lui offrit « pour les bons et loyaux services rendus au pays ».

Puis insidieusement, le chef de l’Etat lui demanda alors le numéro de sa chambre à l’hôtel Camayenne, sous le prétexte de lui faire envoyer une voiture pour l’aéroport. Ce qu’il fit d’ailleurs avec empressement. Cependant, à 1 h du matin, il fut réveillé pour se retrouver face à trois gendarmes venus l’arrêter. Il était bouleversé.

Malheureusement il n’était pas au bout de ses peines. En effet, le chef de groupe n’était quant à lui préoccupé que par la récupération du tome dédicacé qu’il avait mission de ramener à la Présidence.

Baldé Oumar ainsi arrêté fut exécuté le 18 octobre 1971 à Kindia.

Le cadeau après la libération

Ci-joint un extrait de la lettre de Diop Alhassane en date du 12 février 1980 après sa libération :

« Le 25 janvier 1980 à 9h00 Siaka Touré est venu en personne me chercher au bloc et me conduire à l’aéroport. C’est à ce moment qu’il me dit que j’allais voir ma famille. Il m’a alors remis un livre sur le séminaire idéologique des Etudiants de l’Institut Polytechnique, dédicacé “A mon frère Alhassane Diop sentiments fraternels.”

Signé : Sékou Touré

Alors me revient en mémoire la phrase du Président Houphouët-Boigny de Côte d’Ivoire, alors qu’il s’adressait au Président guinéen lors d’une visite en Guinée :

— Sékou tu es un mauvais frère, mais un frère quand même .

Comment savoir si c’était ce message qu’il voulait à son tour transmettre à Diop Alhassane ?

La rancune ?

Elle pourrait aussi expliquer certains comportements.

Un échec non digéré

En effet en 1936, Sékou Touré ne fut pas admis à l’école primaire supérieure Camille Guy de Conakry, il fut donc orienté vers l’école professionnelle Georges Poiret. Comme conséquence, il se sentira toujours humilié de n’avoir pas été reçu à L’EPS. Il en rendra responsable son maître d’école, Fodé Bocar Maréga. La famille Maréga fut mise à contribution plusieurs années après, par l’arrestation de son fils, Docteur Maréga en 1969, et son exécution en janvier 1971.

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konakryexpress

Je revendique le titre de premier clandestin à entrer en Italie, le jour où la mort de Che Guevara a été annoncée. Mais comme ce serait long de tout décrire, je vous invite à lire cette interview accordée à un blogger et militant pour les droits humains qui retrace mon parcours dans la vie: https://fr.globalvoices.org/2013/05/20/146487/

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