Diop Alassane était d’origine sénégalaise et avait une formation d’aide ingénieur électricien. Avant de venir en Guinée, il avait été officier de l’armée française chef de la station régionale de Radio-Dakar. Il vint dans notre pays sur insistance du tyran et de Keita Fodéba, en 1957 pour diriger la station territoriale de Radio-Guinée. Dès l’accession du pays à l’indépendance il fut nommé Secrétaire d’Etat puis ministre de 1958 à 1971.
Alors que lors de l’agression portugaise, Diop Alassane avec J-P Alata organisaient la résistance Ismael Touré lui s’était caché sous son lit. Il le revendique même arguant du devoir d’un révolutionnaire de préserver sa propre vie. Dans un excès de rage Alata se moque de lui et de son acolyte Keita Seydou tout en sachant à quoi cette attitude allait lui faire valoir. Il fut arrêté sous de fausses accusations après l’aggression portugaise de novembre 1970 et passa 10 ans au camp Boiro avant d’être expulsé vers son pays natal. Extrait du Chapitre Sept La carotte et le bâton du livre de Jean-Paul Alata Prison d’Afrique |
Une déposition de Diop? Qu’est-ce qu’ils avaient encore manigancé? L’homme qui avait sauvé la situation le 22 novembre, arrêté? Ils ne seraient pas allés si loin!
Je compris rapidement. En quelques pages, Diop démolissait tout ce qui avait été sa vie. Agent des Services français bien avant l’Indépendance, hé oui! acquis au réseau SS nazi dès sa création et puis, pourquoi pas, membre appointé de la CIA, il avait fait bonne mesure en devenant le chef du Front intérieur.
L’agression? Il en connaissait le schéma, les plans détaillés, jusqu’à la date. Son rôle au cours des journées des 22 et 23 novembre? Oh, pas du tout ce qui avait été si apparent! Non, il devait assurer le triomphe des agresseurs.
Lire également : Le mécanisme infernal de Sékou Touré contre Alassane Diop et d’autres hauts cadres
Devant « l’élan populaire » qui s’était emparé de la masse et l’avait entraînée spontanément à la lutte armée, il avait pris peur et décidé de tourner casaque. Ainsi m’avait-il convaincu, moi dont le rôle exact eut été de guider les groupes d’assaut débarqués sur la plage jusqu’à la chancellerie d’Allemagne fédérale et de là à la prise du palais présidentiel, de combattre ceux que nous étions venus accueillir et aider.
J’entendais ces énormités, la rage au coeur. Je ne ressentais plus d’angoisse. Cette déposition, arrachée au bout de combien de tortures, était si ridicule que je ne tins aucun compte des violentes bourrades reçues et ricanai le plus grossièrement possible.
Seydou explosa. Frapper du poing sur la table était une manie chez lui. Encore heureux qu’il n’imite pas une des femmes responsables du Parti qui singeait Khrouchtchev et ôtait sa chaussure à tout moment pour tambouriner avec.
— Arrête tes singeries, Alata. Tu riras moins tout à l’heure!
— A qui voulez-vous faire admettre ce tissu de mensonges. Il y avait des diplomates à Conakry en novembre. Ils ont vu le travail accompli par Diop, en ont rendu compte à leur gouvernement.
Une rage froide s’emparait de moi. J’avais besoin de les insulter. Je pris une profonde inspiration, ignorant le dernier coup de crosse dont on m’avait gratifié, poursuivis:
— La masse? Vous osez en parler? La milice aussi? Impossible de les armer. Partout où on réussissait à en placer, ils se défilaient en abandonnant leurs fusils. Sur la plage quand Diop Alassane, oui, lui-même, le seul qui ait fait quelque chose de positif à là fédération de Conakry II, a réussi à m’envoyer dix-sept hommes pour contenir les mercenaires qui tentaient de s’infiltrer, au bout d’une heure de combat, nous avions un mort, un blessé et douze fusils abandonnés par ces vaillants combattants de la liberté!
J’étais ivre de colère et de coups, tombai sur les genoux sur un coup plus violent, m’entêtai.
— Vous voulez que je vous dise qui est le chef du Front anti-guinéen’? C’est la masse, elle-même, qui murmure depuis des années son nom. Celui qui est contre le patron, qui lutte contre lui, c’est toi, camarade ministre.
Ismaël Touré se rejeta en arrière, fit signe à l’adjudant de me relever, de m’asseoir, m’invita du geste à continuer.
— Peut-être voulez-vous aussi que je vous dise où vous étiez le jour de cette agression?
Maintenant, je tremblais convulsivement, la réaction et aussi la douleur des coups qui agissait.
— Ne crois pas me vexer, Alata. Personnellement, je dis bien haut que j’étais sous mon lit. Tout Conakry le sait mais je ne l’ai jamais caché! Un vrai révolutionnaire est celui qui protège sa vie quand sa tête est mise à prix. L’héroïsme tel que tu le conçois appartient à l’imagerie d’Epinal de la bourgeoisie. C’est un luxe que nous ne pouvons nous permettre. Vous avez cherché à nous abattre ce jour-là; comme vous n’y êtes pas parvenus, vous avez changé vos batteries.
—Vous insultez les révolutionnaires, camarade ministre. L’héroïsme n’est pas un privilège bourgeois. Comment vient de tomber le Che [Guevara]? Comment tombent tous les jours des centaines de guérilleros en Amérique latine? Vous, vous êtes un lâche, c’est possible mais ce n’est pas au nom de la Révolution que vous vous cachez.
Cette fois je ne pus éviter le coup qui m’envoya à terre.
— Ta ta ta… Oularé. Pas de ces brutalités ici. Alata a le droit d’exprimer ce qu’il pense, d’autant qu’il changera bientôt d’avis. Et puis, je m’en fous! Assieds-le.
— Tu refuses toujours de reconnaître le témoignage de Diop, me demanda Guichard. Il l’a pourtant apporté spontanément!
J’arrivais péniblement à reprendre mon souffle. Au moins, cette fois-ci, les masques étaient baissés.
— Oh, spontanément! Comme pour moi en janvier?
Seydou Keita tendit la main vers moi.
— Ne t’y trompe pas. Pour nous, la cabine technique délie les langues mais ne les force pas ! Elle ne modifie en rien la vérité, elle permet de la connaître plus tôt et mieux. D’ailleurs, un vrai révolutionnaire, s’il est innocent, ne doit-il pas accepter la mort plutôt que de mentir? Dès donc qu’un aveu est obtenu, il ne peut être que fondé!
Que pouvait-on répondre? Il aurait été préférable de mourir. C’était profondément exact, mais combien pouvaient aller jusque-là ? Le ministre soupira profondément, se laissa aller en arrière sur son siège, saisit une cigarette du paquet rouge et or toujours placé devant lui, l’alluma; le tout très lentement, décomposant ses mouvements.
Il se donne le temps de réfléchir, pensais-je. C’est bon signe. Il n’a plus d’arguments. Ils m’ont déjà torturé en janvier, ils ne peuvent pas recommencer !
— Bien, dit Ismaël. Tu connais Porri? On m’a dit que tu l’appelais ton frère?
— René, c’est mon frère, mon cousin en France si vous préférez. Que vient-il faire là-dedans?
— Tu vas le savoir. Connais-tu sa signature?
Ismael tendit une liasse de documents dont la dernière ligne bien visible portait le nom de Porri surmonté de sa signature tremblée.
— Guichard, lis la déposition.
Les faits étaient encore plus sinistres dans cette version. Agent recruteur des réseaux français et allemand, j’étais en outre, chargé de l’introduction et de la distribution des armes! Nouveaux ricanements de ma part provoqués par les nombreuses erreurs sur des événements familiaux dont le récit était truffé, allant jusqu’à des invraisemblances, probablement volontaires, de dates.
— Vas-tu finir tes pitreries? hurle Seydou.
— Rien ne se tient dans ces conneries! Par exemple, vous faites dire à René qu’en 1968, alors que j’étais à…
— On s’en moque. Les dates, les strictes concordances, ce sont des conceptions qui ne peuvent nous être opposées. On cherche à établir l’existence d’un fait. La déposition suffit. Les détails, on s’en fout. Tu n’as pas un avocat payé avec l’argent de ta trahison pour faire état de ces détails !
— Alors faites venir Diop et Porri! Qu’on nous confronte!
Ma proposition fut accueillie par un éclat de rire. Qu’avais-je donc dit de si drôle? Même Oularé et Lenaud se tordaient!
— Une confrontation, hoqueta Seydou. Tu es bourré de conceptions bourgeoises! Qui allons-nous confronter et pourquoi? D’un côté nous avons des militants qui ont fait de graves erreurs mais qui ont le courage de le reconnaître et veulent réparer leurs fautes. De l’autre, un saboteur qui s’entête. Pourquoi vous confronter ? Pour que tu essayes de les intimider? Pêtre voudrais-tu profiter de ta parenté pour en imposer à ce pauvre Porri? Autant perdre tes dernières illusions. Tu t’es toujours demandé pourquoi nous t’avons arrêté en janvier. C’est Porri qui t’avait signalé à notre attention dès son arrivée au camp. Il avait demandé au chef de poste le droit de communiquer une nouvelle importante. Il ne voulait pas que tu puisses continuer ton sale boulot. Aujourd’hui, il n’a fait que poursuivre ses explications sur son rôle exact.
« Tiens, pensais-je. Cela m’explique la présence de René ici. Ils l’ont arrêté uniquement pour me coincer à mon tour, et aussi l’air gêné qu’il avait aux rares occasions où j’ai pu le croiser au bloc. Le pauvre vieux! C’était lui qui était le plus à plaindre. Il payait en définitive très cher sa pauvre parenté européenne.
— Alors, insista Seydou Keita. T’avoues-tu vaincu? Il n’est pas encore trop tard pour te sauver? L’amitié du président te reste acquise.
« Et nous y revoilà! Décidément, ils ne varient pas beaucoup », pensai-je.
— Vous m’avez déjà assuré de cette amitié en janvier. J’ai tout accepté, vous me demandez l’impossible. La moindre analyse sérieuse relèvera cent erreurs grossières dans ces exposés.
— C’est ce que tu crois, affirma le ministre. Oularé, emmenez-le et, cette fois, ne le ménagez pas. Chauffez-le bien!
Je croyais bien, pourtant, en avoir fini avec cette sinistre pièce. De nouveau, les bras ligotés en arrière et, aujourd’hui, sans difficulté car j’ai beaucoup maigri.
Encore les orages dans la tête et sur la rétine. Je hurle ma détresse. Il n’y a donc rien de propre sur cette putain de terre. Amitié, amour, confiance, tout cela, foutaise!
A un moment je sens qu’on me passe une corde entre les coudes, si serrés pourtant. Je bascule tête en bas. Les épaules me font un mal atroce. Je décolle, mes talons pointent vers le plafond, Impossible de respirer, je ne peux prendre que quelques bouffées d’air, entre deux cris. Les muscles, relâchés par la longue inaction, n’opposent aucune résistance à la traction. Les ligaments supportent toute la distension. Je n’y vois plus, le sang afflue à la tête et j’ai l’impression, un moment, qu’il me pisse par le nez