La seule manière de préserver sa langue c’est de l’utiliser. Nos langues ont besoin qu’on les utilise plus fréquemment. Pourtant pour les intellectuels de la diaspora ce simple constat est difficile à réaliser tous les jours à cause de l’isolement et l’habitude perdue de le faire car les langues apprises dans les classes ont pris le dessus, depuis la plus tendre enfance.
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A l’école primaire, il était interdit de parler sa langue maternelle pendant la période coloniale. A Pita, en Guinée, où j’ai fait le primaire, à partir d’un certain niveau de connaissance du français, le matin dès l’arrivée à l’école si le maitre entendait un enfant parler sa langue il lui remettait ce qu’on appelait le témoins. Ce premier enfant devait le remettre à son tour à celui qu’il entendait faire la même chose. A la fin des cours, le maitre demandait au premier gosse à qui il avait remis le témoins qui avait été le deuxième à le recevoir et celui-ci devait indiquer le suivant jusqu’au dernier et qui devait l’avoir. Le maitre identifiait ainsi tous ceux qui avaient parlé leur langue maternelle. Ensuite il nous divisait en groupes de deux et nous intimait de se gifler. Si un d’entre nous le faisait sans trop de conviction le maitre se prenait la relève en giflant celui qui était considéré comme plus mou.
Une autre manière de nous faire passer l’envie de parler nos langues était de nous obliger à faire le « tire-oreille ». L’exercice consistait à tenir le lobe de l’oreille gauche avec la main droite et le lobe de l’oreille droite avec l’autre main. Ensuite on devait faire la génuflexion jusqu’à ce que les fesses touchent les talons le plus rapidement que nous pouvions, pendant quelques minutes.
C’est pour cela que de nombreux intellectuels qui ont fréquenté l’école pendant la période coloniale parlent mieux le français que leurs langues. Ce qui a pour conséquence que nous utilisons peu nos langues et qu’il y en a qui sont en danger. Mais ce n’est pas seulement en Afrique francophone qu’il y a des langues en danger de mort car le nombre de locuteurs les utilisant diminue d’année en année. Avec 96 % des 6000 langues parlées par seulement 4 % de la population mondiale, l’UNESCO fait savoir que près de la moitié des langues parlées dans le monde aujourd’hui pourraient avoir disparu d’ici la fin de ce siècle.
L’Atlas de l’UNESCO des langues en danger fait savoir qu’avec la disparition de langues non écrites et non documentées, l’humanité perdrait non seulement une richesse culturelle, mais aussi d’importantes connaissances ancestrales, contenues en particulier dans les langues indigènes.
Depuis la proclamation du 21 février comme Journée de la langue maternelle en 1999 par l’UNESCO, les pays africains ont participé activement aux célébrations et quelques actions concrètes ont vu le jour. Voici quelques exemples de ce qui était au programme cette année dans quelques pays.
Dans un billet publié sur afriquesenlutte.org, on apprend qu’au Bénin, les manifestations suivantes devaient se dérouler du 18 au 21 février 2012 pour la commémoration de cette Journée:
1 La marche pour sa langue maternelle le 18 février de la place de l’Etoile Rouge au CPA ;
2 L’exposition des livres et matériaux en langues maternelles du 18 au 21 février au CPA ;
3 La conférence publique ainsi que les manifestations culturelles le 21 février 2012 au CPA.
A Dakar, au Sénégal, dans un communiqué le ministère de l’Enseignement élémentaire, du Moyen, du secondaire et des Langues nationales a annoncé qu’un se serait tenu ce mardi 21 février au siège local de la représentation de l’UNESCO sur ‘’L’utilisation des langues maternelles pour une éducation inclusive, l’expérience sénégalaise et les leçons tirées de la mise à l’essai de l’introduction des langues nationales à l’école entre 2002 et 2008’’.
Suite à ce débat Elh Meïssa Diop, directeur de l’Alphabétisation et des Langues nationales (DALN) a annoncé que:
Il y a une initiative importante dans laquelle le Sénégal est avec 8 autres pays [Bénin, Burkina Faso, Burundi, Cameroun, Mali, Niger, République Démocratique du Congo, Sénégal] appuyés par l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) pour redémarrer l’expérience de l’introduction des langues nationales à l’école’’.
Il a ajouté que:
Le Sénégal va s’appuyer aussi sur l’expérience du Burkina, qui a fait des avancées dans le domaine de l’introduction des langues nationales dans son système éducatif. Des experts sénégalais ont participé à ce processus, selon le Directeur des Langues nationales.
‘’Le Burkina Faso a aujourd’hui des collèges multilingues et il est important de s’inspirer de ce qu’ils ont fait dans ce domaine pour éviter certains erreurs. Cela ne sert à rien de réinventer la roue’’, a estimé Elh Meïssa Diop.
En Côte-d’Ivoire la Journée a été célébrée sous le signe de langue nationale et cohésion sociale. A cet effet, plusieurs initiatives ont eu lieu autour de ce thème avec la participation de hautes autorités du pays.
Le blog afrikakom.com nous informe que dans ce cadre :
Le ministre de la Culture et de la Francophonie, Maurice Kouakou Bandama et son équipe veulent faire de la promotion des langues maternelles en Côte d’Ivoire l’une de leurs priorités. Car, cela permettra d’assurer une bonne éducation des enfants et surtout de préserver la culture ivoirienne dans sa diversité.
Une vidéo a été produite et publiée sur Youtube.
Le blog camer.be a annoncé dans un billet du début de cette année une initiative visant à faciliter l’accès à la connaissance de la Constitution camerounaise et du Code pénal par l’usage de la langue maternelle d’une des populations du nord du pays:
De l’impératif de traduire les Constitution et Code Pénal du Cameroun en langues nationales. Cet article s’inspire du courage de notre compatriote Monsieur Oumarou Sanda qui a osé traduire le nouveau code de procédure pénale en langue nationale Fufuldé.
En république centrafricaine, une radio a pris une heureuse initiative, mais qu’il serait souhaitable de continuer au-delà de cette journée. En effet, elle a écrit sur son site:
Une fois n’est pas coutume. Les auditeurs de Radio Ndeke Luka se sont réveillés ce matin du 21 février 2012 avec des salutations en divers dialectes nationaux, au démarrage des programmes de leur station. Ce geste professionnel marque la célébration ce mardi à travers le monde de la Journée Internationale de la « Langue Maternelle ».
A Madagascar, selon matv.mg, la Journée a été célébrée de la manière suivante :
En ce sens, une exposition sur le «Hira Gasy» se tiendra du 21 au 23 février prochain au Cemdlac d’Analakely. Elle s’inscrit dans le cadre de la Journée internationale de la langue maternelle, célébrée chaque année le 21 février. En outre, une exposition des activités de cette direction aura également lieu le 21 février prochain à la bibliothèque nationale d’Ampefiloha.
La direction du ministère de la Culture et du Patrimoine veut organiser un concours d’art oratoire «Kabary». Ce concours s’adressera à tous les établissements scolaires du pays, pour cette année 2012. Il devra s’inscrire dans le cadre de la célébration du 600ème anniversaire du Kabary.
Par curiosité et pour me convaincre que le Kabary fetait bien son 600ème anniversaire, j’ai tapé le mot sur Google. Le mot apparait 129 000 fois. M. Rabenandrasana Lalao, Vice-président de l’ Association des orateurs malgaches (FIMPIMA) explique la signification du:
“kabary” vient de l’arabe “kabar”. Par contre, son contenu renferme bien notre mentalité. Par définition, le kabary est un discours prononcé à haute voix devant un public. Il doit être illustré par des proverbes et des maximes pour émerveiller l’auditoire. Il ne s’agit pas seulement de faire vibrer le coeur ou l’âme.
En République démocratique du Congo Aimé MBG relève sur congoopportunities.net que:
Jadis, une importance particulière était accordée aux langues maternelles : à l’école, il y avait un programme adapté ; voire en famille, les parents apprenaient à leurs progénitures l’identité culturelle linguistique. Dans les grandes villes du pays actuellement, la langue maternelle est considérée comme un facteur de sous-développement voire de complexe.Maimouna Barry
Les nouvelles technologies contribue activement à faciliter l’accès à un usage écrit des langues maternelles. Il existe des blogs et des pages Facebook qui n’utilisant que ces langues. C’est le cas du groupe peulh/fulfulde Peeralinternational qui a ouvert une page Facebook ayant recueilli déjà plus de 1900 membres qui a publié le 21 février la liste des 11 écrivains qui ont le plus publié dans cette langue. Son blog a été vu plus de 500 000 fois en 4 ans d’existence.
Le site mboasu.com informe que :
Après le Mali, la culture africaine sera une fois de plus célébrée au Tchad et plus précisément dans la ville de Fada le 24 au 26 février 2012 dans le cadre du festival des cultures sahariennes.
Au Mali, Boukary Konaté, parmi tant d’autres, multiplie les activités dans l’utilisation des blogs, Facebook et Twitter en bambara dans les villages les plus reculés du Mali.
Dans tous les pays africains les chansons en langues maternelles sont prisées dans toutes les couches de la société. Cette vidéo de l’artiste Guinée en malinké Sékouba Bambino a été vue près de 54 000 fois ; celle de Petit Yero de Bantingel en pulaar plus de 108 000 fois et cette autre de Rica intitulée “Djomba” (la jeune mariée) plus de 404 000 fois. De nombreux blogs, vidéos sur Youtube ou pages FB sont consacrés à la musique nationale ou bien publient des classements des meilleures ventes de disques et de films. La facilité avec laquelle on peut monter une radio ou une TV en ligne permet aussi de coaguler de nombreuses personnes intéressées par les mêmes sujets autour de sites de partage.
Malheureusement, dans ma pauvre Guinée il semble que l’on ait d’autres chats à fouetter en ce moment.