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L’arrestation arbitraire d’Ousmane Ardo Bâ à Koundara, le 14 septembre 1973

Dans aucun pays de justice on n'accepte l'incarcération d'une personne si elle n'a pas commis un délit quelconque. Ce matin-là, ce n'était pas mon cas, j'étais innocent et pourtant, je me retrouvais derrière les barreaux. Pourquoi ?

 

Ce billet est tiré du livre Camp Boiro. Sinistre geôle de Sékou Touré de Ousmane Ardo Bâ, citoyen sénégalais vivant à Koundara. Tranquillement couché chez lui, il reçoit une visite à 4:15 heures du matin. Croyant que c’est un ami, il va ouvrir pour se retrouver en face du capitaine Charles Keïta, chef de l’Escadron de gendarmerie de la Moyenne-Guinée.

Lui aussi, il avait pleine confiance en la justice révolutionnaire. Il était sur qu’il s’agissait d’une erreur et que son arrestation n’allait pas duré longtemps car il n’avait rien commis de répréhensible. Le gouverneur Kourouma Alaphaix, et le secrétaire fédéral Diaboula Thierno Moustapha n’allaient-ils pas témoigner en sa faveur?.

Il passera de 1973 à 1978 au camp Boiro.

Voici ce qu’il a écrit en avant-propos de la publication de ce livre:

Ce livre a été écrit après ma libération et mon rapatriement au Sénégal. Cette libération des prisonniers de nationalité sénégalaise et ivoirienne était intervenue au mois de mai 1978 après la réconciliation spectaculaire de Sékou Touré, Houphouet-Boigny et Léopold Sédar-Senghor à Monrovia.

Sa rédaction fut achevée en 1981. Du vivant de Sékou Touré, j’avais voulu le faire publier mais, conseil d’un ami, je devais revenir sur ma décision car ce livre risquait de faire plus de mal que de bien à mes compagnons de captivité qui attendaient encore désespérément leur libération dans le camp Boiro, sinistre geôle de Sékou Touré.

Devant cette affligeante réalité, laisser à mes compagnons de captivité à qui il restait encore un souffle de vie et d’espoir leur infime chance de survie l’emporta sur la publication de ce livre qui risquait de ne pas avoir le resultat escompté à cause du pretexte fallacieux de la non-ingérence dans les affaires d’autrui…

Si les droits de l’homme peuvent être bafoués par n’importe quel « bouffeur d’hommes » sans que les pays dits épris de justice ne se sentent concernés ni interpellés, alors que cessent ces beaux discours.

Trois coups secs martelérent la porte d’entrée du salon. Je me levai, me demandant qui pouvait venir me déranger à pareille heure: il était quatre heures un quart sur le cadran de ma montre. Une voix familière se fit entendre. C’était Mamma Niang, un jeune qui venait souvent me rendre visite ou demander certains services.

— Que se passe-t-il ? lui demandai-je.

— Ousmane, ton ami accompagne des étrangers qui sont venus te voir. C’est pourquoi je t’ai réveillé à une heure si tardive.

J’allumai la lampe-torche et me rendis à la porte pour savoir qui venait à cette heure. Des murmures se faisaient entendre dans la rue. J’ouvris et aperçus Mamma Niang. A ses côtés se tenait un homme de taille moyenne, trapu, solidement campé sur ses jambes. Je reconnus un uniforme de gendarme.
— C’est toi, Ibrahima Ba ? demanda le gendarme.

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Il n’avait pas même terminé sa phrase que je reconnus cette voix. Pas de doute, c’était le capitaine Charles Keïta, chef de l’Escadron de gendarmerie de la Moyenne-Guinée. Il était ami de mon grand frère Mbaye Bâ et à chaque fois qu’il venait à Koundara 1 il ne manquait pas de passer à la maison pour donner le bonjour à la famille.

— Vous vous trompez, c’est Ousmane Ba, au lieu d’Ibrahima, lui dis-je.
Il s’exclama :

— Comment c’est toi, petit Ba. Je ne connaissais pas ton prénom, de toute façon, c’est sans importance : la Révolution a besoin de toi. Viens avec moi.

— Dans ce cas, attendez, je vais m’habiller, lui dis-je.

Regagnant la chambre à coucher, j’enfilai ma chemise et veste accrochés au porte-manteau. Je cherchai mes cigarettes et le briquet que j’avais posés sur la table de chevet, tout en les maudissant de me déranger à pareille heure. Certainement pour aller comme d’habitude écrire des banderoles ou faire un reportage photographique. Car, en Guinée, on pouvait au nom de la Révolution déranger n’importe qui, à n’importe quelle heure.

Au salon, je balayai la surface du buffet avec le faisceau lumineux de la lampe électrique. La photo géante de Casaltine, ma fiancée, était à sa place, toute resplendissante. Je restai figé devant cette photo, jamais je ne l’avais dévorée du regard comme ce matin-là et pour la première fois brusquement, je sentis une certaine inquiétude, il me vint un malaise, j’étais même bouleversé.

Le capitaine Charles fit entendre sa voix éternellement enrouée
— Petit Bâ dépêche-toi, ordonna-t-il.

Avec peine je réussis à me dégager de l’étrange emprise du regard de la photo. Fermant la porte à double tour, je mis le trousseau de clefs dans ma poche et sortis dans la cour, suivi du capitaine Charles Keïta et de Mamma Niang.

Dans la rue, trois personnes nous attendaient. Parmi elles je reconnus le commandant Diarra, gouverneur [militaire] de la Région Administrative de Koundara et deux autres que je n’avais jamais vues. La grande taille et la maigreur effrayante de l’un des hommes m’impressionnèrent terriblement. Je leur donnai le bonjour, mais aucun d’eux ne répondit à mes salutations.

— C’est lui, le photographe, déclara le commandant Diarra à ses compagnons.

— C’est lui? interrogea l’homme à la maigreur effrayante.

— C’est bien lui, répliqua le commandant Diarra Traoré.

— Il est très jeune, ajouta le troisième homme sur un ton où je sentais un regret ou déception. Ne sachant ce qui se tramait, je me questionnais sur cette étrange conversation. Le commandant Diarra me demanda de les accompagner à la Permanence fédérale.

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En silence, nous partîmes. J’étais coincé entre le capitaine Charles et le commandant Diarra. Le reste du groupe nous suivait de près. Mamma Niang s’approcha de moi et me demanda en wolof pourquoi ces gens étaient venus me voir. Je répondis que c’était plutôt à lui de me fournir une réponse, car ils les avait reçus à la Permanence fédérale où il était de garde, avant de les conduitre chez moi, mais ce n’était rien, ils avaient certainement besoin de moi pour un reportage urgent. Et j’allumai une cigarette pour me ragaillardir.

Le commandant Diarra Traoré interrompit le silence en s’adressant à moi :

— Camarade Bâ, est-ce qu’il n’y a pas une fille qui dort chez toi ? J’ai oublié de te poser la question.

— Mon Commandant, je n’ai dans ma maison que la photo de ma fiancée, répondis-je tranquillement.

Il éclata de rire, avant d’ajouter cetter phrase, dont j’allais plus tard comprendre la signification :

— Camarade Bâ, c’est bon d’être sérieux, mais on quand est jeune, il vaut mieux profiter de sa jeunesse, car on ne sait jamais…

A la hauteur de la boulangerie régionale, la seule dans tout Koundara, on entendait le vacarme habituel. Pour avoir du pain, il fallait faire la queue à cette heure. De tous côtés, on entendait des gens qui criaient le nom du boulanger. A la Permanence fédérale, deux jeeps et des militaires nous atttendaient. Je reconnus le lieutenant Condé Sidiki, commandant du camp Mbalia Camara de cette région. Il était en tenue de camouflage, à côté de lui, l’adjudant Barry s’affairait autour des militaires en uniforme. Le lieutenant Condé Sidiki vint à notre rencontre et se mit au garde-à-vous. Le commandant Diarra lui adressa un mot en malinké.

L’étrange homme maigre et taciture m’adressa pour la première fois la parole :
— Camarade Bâ, dit-il, je vous prie de bien vouloir venir avec nous. Nous avons besoin de vous. Montez dans la jeep…

Pendant des secondes, il me fixa, et à mon tour je le regardai d’un air interrogatif. Le commandant Diarra ouvrit la portière arrière et s’engoudra sur la banquette. L’homme squelettique me demanda de prendre place à côté du commandant et ensuite, il monta, s’assit près de moi et ferma la portière.

Sidiki, placé devant, ordonna au chauffeur de nous conduire au camp militaire Mbalia Camara.

La seconde jeep nous suivait. Nous avions deux kilomètres à parcourir avant d’atteindre la caserne. La jeep cahotait sur la mauvaise route.. Elle ralentit bientôt devant la guérite. Une sentinelle leva le barrage et nous franchîmes l’entrée de la caserne pour nous immobiliser devant le bureau du Commandant de la garnison. Le lieutenant Condé Sidiki descendit le premier. A son tour la seconde jeep s’arrêta et ses portières claquèrent. Les militaires qui l’occupaient se ruèrent au tour de la notre, arme au poing et je me demandai pourquoi cette mascarade inhabituelle. Le commandant Diarra descendit et me fit signe de le suivre. Les militaires avaient déjà formé une double haie qui ne ressemblait pas à une haie d’honneur: de tous côtés, ils étaient plantés comme des gardes-suisses, en tenue de camouflage, casque en fer, baïonnettes au canon. A leur ceinture pendaient menottes, grenades, poignards et cordages…

L’homme maigre et le capitaine Charles Keita me suivaient. Le lieutenant Condé Sidiki nous précéda dans son bureau. Sur la table au milieu de la pièce, il n’y avait que quelques dossiers et deux livres du parti démocratique de Guinée. Une lampe-tempête dégageant plus de fumée que de lumière, inondait d’une pâle lueur cette pièce. L’homme maigre contourna la table et prit place sur la chaise du milieu. Sidiki s’installa à sa droite tandis que l’adjudant Barry passait à sa gauche. Le commandant Diarra, le capitaine Charles et leurs compagnons s’assirent derrière moi. L’homme maigre avait toujours les yeux braqués sur moi comme s’il voulait m’hypnotiser ou découvrir quelque chose. Je le fixai à mon tour avant de jeter un coup d’_il furtif sur cette pièce étroite et ses occupants.

Un silence de mort planait. Des pas de brodequins cloutés s’approchèrent de la porte et le battant s’ouvrit. Un agent en tenue de milicien apparut. Cet homme, je le connaissais. C’était Boiro Bourème, Inspecteur de la milice. Il prit une chaise et s’installa au bout de la table.

— Tu as mis du temps, articula doucement l’homme maigre à l’intention du nouveau venu.

— Oui, camarade Procureur, j’ai mis du temps parce que je tenais à mettre moi-même le dispositif de sécurité, répondit l’Inspecteur de la milice.

— J’espère que tout est parfait, camarade, car c’est une bonne prise celui-là, articula de nouveau le procureur.

— Tout est parfait, camarade procureur, j’ai fait monter une double garde et donner des instructions formelles.

— Bon, nous pouvons commencer maintenant, murmura le fameux Procureur.

J’essayais de comprendre ou deviner de quoi il s’agissait et surtout à quoi étaient destinés ces dispositifs. Pourquoi m’avait-on fait venir, assister à tous ces palabres et maneuvres ?

La réponse ne tarderait pas, le Procureur ne manquerait pas de me dire pourquoi on m’a fait venir et quels services je devais leur rendre.

Lentement, le Procureur ouvrit sa serviette et en sortit une enveloppe qu’il remit au Commandant Diarra. Celui-ci jeta un coup d’oeil sur le télégramme offiçiel, puis haussa les épaules

L’énervement commençait à me gagner. Le Procureur ordonna au lieutenant Condé Sidiki de trouver papier et stylo. Ce dernier sortit une pile de feuilles blanches et un bic de l’un des tiroirs de la table et tendit le tout au demandeur. Boirème fut désigné pour être le secrétaire de la séance.

Lentement le Procureur alluma une cigarette et leva ses gros yeux vers le ciel, comme pour demander au Seigneur de lui donner la force d’accomplir sa mission.

Dans le bureau, régnait le silence. Je décidai de le rompre et demandai au commandant Diarra de me dire pourquoi on avait besoin de moi.
Le commandant s’adressa alors au procureur en malinké et demanda si on pouvait commencer la besogne. Par un signe de tête, le magistrat Guinéen lui donna son accord.

Le capitaine Charles se leva et demanda qu’on veuille bien l’excuser quelques minutes, mais le commandant Diarra opposa un refus catégorique.

— Camarade Bâ, tu as devant toi le camarade Procureur Makaty, Procureur de la République à Labé, il est dépêché par le Comité Révolutionnaire et doit te poser certaines questions, me dit le commandant Diarra Traoré.

— Mon Commandant, je suis prêt à répondre à n’importe quelle question, mais je dois savoir d’abord le mobile de cette enquête.

— Tu le sauras, répondit le Procureur.

Mes yeux rencontrèrent ceux de Makaty; il détourna rapidement son regard et se décida à commencer son travail.

— Camarade Bâ, avez-vous votre carte d’identité avec vous ? demanda-t-il.
— Camarade Procureur, mes papiers sont dans ma chambre, je ne savais pas que vous en auriez besoin, répondis-je calmement.

— Ça ne fait rien, dit le procureur Makaty, donne-moi nom, prénom, date et lieu de naissance et filiation.

— D’accord, lui dis-je, mon nom est Bâ et Ousmane mon prénom. Je suis né en 1948 à Gossas (Sénégal), fils de Madoune Bâ et de Khadiatou Talla et je suis Toucouleur, camarade Procureur.

— Camarade Ousmane Bâ, dis-moi depuis quand tu es venu en Guinée et pourquoi ?

— Camarade Procureur, je suis venu en Guinée et précisément à Koundara, depuis le 18 juillet 1970, dans le but de rendre visite à mon grand frère et connaitre sa famille. Je me suis décidé par la suite à rester parce que j’ai aimé le pays et son peuple.

Bourème couchait sur papier les questions du Procureur et mes réponses. De temps à autre, il m’interrompait pour pouvoir suivre.

Le procureur Makaty reprit ses questions

— Ousmane, où as-tu fait tes études ?

— Camarade Procureur, j’ai promis de répondre à toutes vos questions, mais dites-moi, pourquoi accordez vous tant d’intérêt à ma vie privée ?

— Tu le sauras, Ousmane, pour le moment je te demande de répondre non à MES questions, mais à un QUESTIONNAIRE du Comité Révolutionnaire.

— Bon, je vais répondre, dis-je. J’ai fait mes études primaires à Thiès. Après mon admission à l’examen d’entrée en sixième, je fus envoyé à Saint-Louis pour mes études secondaires.

Le Procureur m’interrompit une fois de plus et me demanda de parler assez lentement pour permettre au secrétaire de prendre le tout…

— Parfait, soupira Makaty. Puis, il s’adressa au commandant Diarra, lui demandant de prendre les réponses et de les envoyer par message radio au Comité Révolutionnaire du Camp Boiro à Conakry, avant dix heures du matin.

Malgré cette déclaration, je ne m’inquiétais pas, car je n’avais rien à me reprocher. Je n’avais rien à voir avec ce Comité Révolutionnaire dont le seul nom collait la plus terrible peur à n’importe qui, en Guinée.

Cette fois, il me posa une question, qui me fit tiquer:

— Camarade Ousmane (il s’arrêta et me fixa avant de continuer), as-tu connu ces temps-ci un certain Mohamed Diarra ?

A mon tour je le fixai du regard, avant de répondre:

— Camarade Procureur, oui, j’ai connu un certain Mohamed Diarra ces temps derniers.

Le Procureur releva la tête, et cette fois, lentement, il commença à articuler sa question:

— Ousmane, comment as-tu connu Mohamed Diarra ?

— Voilà, camarade Procureur: Ce matin-là je m’étais rendu à la gendarmerie pour me faire régler des factures, lorsque le lieutenant Camara Makang eut fini de faire établir mon chèque, je le remerciai et pris congé de lui. Soudain, il m’interpella pour me signaler la présence d’un jeune Sénégalais dans les locaux de la gendarmerie. Je lui ai demandé qui était ce Sénégalais et pourquoi on l’avait mis en détention. D’après le lieutenant, ce n’était pas grave car il s’agissait d’une entrée clandestine. Après vérification, mon compatriote serait expulsé. Le lieutenant Camara Makang fit venir Mohamed Diarra, avec lequel j’ai bavardé en présence du lieutenant et de l’adjudant Traoré.

Le Procureur m’interrompit, il me demanda ce que Mohamed Diarra m’avait raconté de ses aventures.

— Camarade Procureur, Mohamed nous a laissé entendre qu’il voulait se rendre en Sierra Leone. Arrivé à Tambacounda, ses copains lui conseillèrent de couper par la Guinée au lieu de faire le grand tour par le Mali, la Côte d’Ivoire, le Libéria pour enfin atteindre la Sierra Leone. C’est tout ce que Mohamed Diarra m’a raconté, camarade Procureur.

De nouveau le silence plana dans le bureau. Le capitaine Charles se leva et sortit, suivi de l’adjudant Barry, qui s’excusa, devant aller faire sa ronde. Le Procureur tourna son regard vers le lieutenant Condé Sidiki, lança cette phrase laconique qui résonna dans ma tête pendant des minutes:

— Camarade lieutenant Condé Sidiki, à partir de cet instant, le nommé Ousmane Bâ est sous votre garde. Sur ordre du Comité Révolutionnaire il est en état d’arrestation pour haute trahison.

Je réussis à dominer la situation et demandai avec insistance au Procureur de me donner des éclaircissements.

— Camarade Ousmane, je préfère te laisser réfléchir. Je reviendrai à dix-huit heures, nous pourrons alors bavarder. Pour le moment, médite dans ta cellule.
Nonchalamment, il prit sa serviette et sortit.

Le lieutenant Condé Sidiki avait fait venir six militaires pour m’escorter. Chacun d’eux avait une arme.

— Allons au poste de police, ordonna séchement le lieutenant.

Désormais, je devais suivre mon geolier. De tous côtés, des militaires surveillaient mes moindres gestes. Le nouveau prisonnier et ses geôliers traversèrent au petit trot la vaste cour du camp Mbalia. Il faisait presque jour, des soldats étaient déjà rassemblés autour du mât.

Arrivé au poste de police, Sidiki appela le chef de poste, qui dormait sur un vieux lit picot dont le quatrième pied était remplacé par une grosse pierre. Il s’étira et bailla longuement sans se lever. Les vociférations du lieutenant extirpèrent le vieux sergent de son sommeil. Comme un bolide, il sortit alors du bureau et vint se mettre au garde-à-vous devant la tempête qui venait de se déchainer.

— Ouvrez la cellule disciplinaire, hurla-t-il.

Le pauvre sergent regagna l’intérieur du poste de police et ouvrit une petite cellule à la porte quadrillée de barreaux.

— Bien, grommela le lieutenant Condé Sidiki avant de demander à Bourème de me fouiller les poches, dans lesquelles il ne trouva que mon trousseau de clefs, un paquet de cigarettes et un briquet. Le commandant Diarra interpella le lieutenant pour lui demander de lui envoyer les clefs de ma maison. Je me demandais ce qu’il voulait faire chez moi et je ne pus m’empécher de poser la question au lieutenant Sidiki qui fit la sourde oreille.

Devant l’entrée de la petite cellule, Bourème et Sidiki me demandèrent d’ôter mes chaussures et d’y rentrer. Je m’arrétai sur le seuil et refusai d’exécuter l’ordre, tout en plaidant mon innocence . Malgré l’insistance du lieutenant, je refusais toujours d’obéir alors, il appela un malabar qui me prit comme un sac d’arachides et me projeta à l’intérieur de la cellule.

La porte claqua derrière moi. Le lieutenant Sidiki et Bouréme firent glisser les verrous. Le sergent de garde revint du bureau avec deux cadenas qu’il remit à Bourème. Celui-ci me regardait derrière les barreaux avec un sourire narquois, je revois toujours ce sourire. Il s’approcha de la porte et plaça les cadenas, puis il me regarda d’un air satisfait et j’entendis le déclic du gros cadenas. Ce déclic déchira le plus profond de mes entrailles.

Pour la première fois de ma vie, je ressentais la lancinante mesure de la captivité, la terrible privation de liberté. Oui, de cette liberté chère à tous les êtres humains.

Je commençais à accepter cette réalité que j’ai toujours refusée. Dans aucun pays de justice on n’accepte l’incarcération d’une personne si elle n’a pas commis un délit quelconque. Ce matin-là, ce n’était pas mon cas, j’étais innocent et pourtant, je me retrouvais derrière les barreaux. Pourquoi ? Non, personne ne pouvait m’emprisonner, car on ne pouvait me reprocher quoi que ce soit !

Par conséquent, je décidai de me tranquilliser et d’attendre le soir pour recevoir des éclaircissements du procureur Makaty. Quelques minutes plus tard un adjudant vint vérifier si la cellule était bien fermée. Puis il appela un soldat et lui ordonna de monter la garde devant la cellule.

L’attente allait être très longue. Après mes prières, je commençai à faire les cent pas dans cette étroite cellule de deux mètres de long sur à peine un mètre cinquante de large. Après quelque temps de va-et-vient je m’accrochai aux barreaux de la porte. En face de moi, le soleil levant avait peint le ciel d’une couleur pourpre. Depuis plusieurs années, je n’avais vu une si belle aurore. Belle aurore qui voyait naître les plus sombres jours de mon existence.

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