Ceci est la révision d’un billet publié le 5 février 2016
Le souvenir que j’ai gardé de mon oncle est celui d’un Monsieur riche et généreux. Il ambitionnait aussi de faire beaucoup de choses pour son pays. La preuve c’est le courrier que mon fils aîné Docteur Alpha Boubacar BAH, Neurochirurgien vient de publier sur Facebook. Dans ce courrier en date du 8 Mars 1971, mon oncle sollicitait auprès du Camarade Secrétaire d’Etat à l’Industrie et aux Mines, l’autorisation et l’appui dans la réalisation de 5 unités industrielles qui sont : 1 fabrique de couscous précuit à partir du maïs, 1 fabrique de pâte d’arachide et emballage, 1 fabrique de jambon, saucisson, 1 fabrique de produits ménagers d’entretien et 1 fabrique de bananes figues.
Ce qui m’a aussi marquée c’est le fait qu’il voulait que sa famille reste unie. C’était son souci majeur. A titre d’exemple, il aida tous ses frères et sœurs à aller à La Mecque sans que lui et ses propres épouses mes tantes Assiatou, Oumou et Laouratou ne puissent y aller. Il voulait y aller avec ses épouses seulement en dernière position. Malheureusement Allah en a décidé autrement.
C’est ma mère (sa petite sœur de lait) Raguiata BAH qu’il envoya juste avant d’être arrêté pour la 1ère fois en décembre 1970. Quand il a été arrêté la 1ère fois, il était parti assister à la réunion hebdomadaire du Comité. Il ne manquait à aucune d’elle s’il était à Conakry.
C’est donc là-bas qu’ils sont allés le chercher. Je me souviens de ce qu’il nous a dit avant de sortir de la cour. Alors que nous pleurions tous, il nous a dit ceci : « Ne pleurez pas, si la justice guinéenne ne ment pas, je reviendrai bientôt mais si elle ment dans ce cas je ne reviendrais pas. »
En écrivant ces mots je n’ai pas pu retenir mes larmes. Il venait juste d’envoyer ma mère à La Mecque. La famille ne voulait pas qu’elle soit informée de l’arrestation de son grand frère qu’elle adorait. Toujours est-il qu’elle a fini par le savoir. Elle ne faisait que pleurer là-bas à la Mecque. Après elle a compris que ce n’était pas la solution. Elle a donc fait beaucoup d’invocations à Allah afin que son frère adoré soit libéré.
Cela a été bénéfique car mon oncle a été libéré le 25 Janvier 1971, jour de l’exécution par pendaison de son ami Barry Ibrahima dit Barry III, de Magassouba Moriba, Baldé Oumane et Keita Kara de Soufiana au pont 8 Novembre à Conakry. Quand mon oncle a été arrêté, ma Tante Laouratou était en grossesse très avancée de leur dernière fille. Pendant que ma mère était encore à La Mecque et après la libération de mon oncle, ma tante Laouratou donna naissance à une petite fille le 7 Février 1971. Mon oncle lui donna le nom de sa petite sœur, ma mère Hadja Raguiata Bah. Cette petite fille que j’ai toujours adorée est devenue une Grande Dame aujourd’hui. Epouse de Mr BAH Alpha (Bobo), elle est la Directrice du Service Formation de la BCRG.
Quand mon Oncle a été relaxé, tous ses amis lui ont conseillé de « fuir ». Sa réponse a toujours été la suivante : « Je ne suis coupable de rien, je n’ai rien à me reprocher, je n’ai rien fait de mal. Pourquoi fuir mon pays ? »
C’est comme ça qu’il est resté et finalement le lundi 27 avril 1971, il a été arrêté de nouveau et nous ne l’avons plus revu.
Quand il a été arrêté la 2ème fois, nous étions persuadés qu’il allait être libéré comme ça été le cas la 1ère fois. Malheureusement, les jours, les mois puis les années se sont succédé sans qu’il ne soit relaxé. Et, entre-temps, les bourreaux sont venus nous vider de la concession familiale (l’étage et l’annexe) à Boussoura en emportant sa voiture américaine automatique, une Chevelle Malibu, tous ses papiers et son argent qu’il gardait dans son coffre-fort . Ils ont aussi confisqué tous ses biens à Boussoura, un Bâtiment à étage et son annexe, un grand terrain non loin de là dans lequel il avait construit un magasin où il stockait du ciment à revendre, à Pita dans sa région natale et à Guéckédou. Quand nous avons été expulsés de Boussoura, nous sommes allés vivre chez le plus jeune de mes Oncles Mamadou Aliou BAH, tailleur de son état que mon Oncle Amadou Baïlo avait aidé à se former auprès de Mody Oury Barry. [Ce florissant créateur de la première unité de production d’habits de la Guinée sera lui aussi victime de la fureur homicide et mensongère de la révolution de Sékou Touré, interné d’abord au Camp Boiro ensuite au Camp de la mort de Kindia il sera exécuté probablement en octobre 1971, selon le récit que nous fait Kindo Touré dans son livre Unique Survivant du « Complot Kaman-Fodéba« . Sa fille Mme Hadiatou Touré a été pendant longtemps, Présidente de l’Association des victimes du camp Boiro.]
[On peut lire ici la lettre adressée au ministre de l’industrie en mars 1971
[Courrier de mon Oncle BAH Amadou Baïlo]Au cours de cette haineuse expulsion, en jetant nos pauvres affaires par les fenêtres, ils ont même arraché son tapis de prières à ma tante Assiatou !
Je me souviens qu’à notre passage Oumar, Houssaynatou, Alassane et moi, on nous appelait « »fils de 5ème Colonne » en se moquant de nous et en nous insultant, même à l’école. Nous étions frustrés sachant que nous ne pouvions pas réagir.
Pendant longtemps, un militaire a escroqué mes Tantes. Il venait les voir pour soi-disant leur donner des nouvelles de mon Oncle. Ce qui nous a fait croire qu’il était vivant et qu’il allait être libéré. A chaque fois qu’il venait, mes tantes Assiatou, Oumou et Laouratou lui remettaient toutes sortes de provisions mêmes des couvertures et des médicaments pour mon Oncle !
Ma Tante Laouratou qui était la plus jeune et la seule lettrée de ses épouses a fait beaucoup de démarches pour qu’il soit libéré mais ça n’a pas marché. Elle a fait des démarches pour récupérer au moins l’annexe de la concession de Boussoura. C’est ainsi que la famille est revenue vivre dans cette annexe. C’est donc là où j’ai grandi avec mes cousins Oumar et Alassane, mes cousines Aïssatou (Mme Dramé), Houssaïnatou (Mme Bolivogui) et Djéinabou (Mme Hann). J’ai commencé par les plus jeunes à l’époque et avec lesquels j’ai grandi. Il y’avait aussi nos aînés Hadja Mamata, Nénéen (Mme Barry puis Baldé), Hadjy (Mme Barry), Sanoussy, Souleymane et Karim.
Personnellement, j’y ai vécu avec ma tante Assiatou (1ère épouse de mon oncle) qui m’a élevée jusqu’après que j’ai obtenu la 2éme partie du BAC en août 1979. Après je me suis mariée avec leur 2ème fils, mon oncle et elle : Mamadou Lamine BAH Journaliste – Sociologue qui vivait en ce moment à Abidjan. Son 1er Fils est Dr (en statistique) Abdoulaye BAH, retraité de l’ONUDI, il vit entre Rome et Nice et fait beaucoup de publications sur facebook. Il a aussi créé son propre blog « Konakry Express.org ».
Ce qui rend ce site particulier et différent des autres c’est le fait que principalement, Dr Abdoulaye BAH utilise les livres écrits par des survivants des camps de la mort du régime dictatorial qui décrivent les conditions de vie qu’ils ont subies. Ces livres sont d’ailleurs gratuitement accessibles sur le site du Mémorial campboiro.org, créé et maintenu par le Prof. Tierno Bah [qui était basé aux États-Unis, jusqu’à sa mort survenue le 20 aout 2018].
Sa 1ère fille est Mouddatou (Epouse Bah) a beaucoup contribué à notre éducation pendant qu’elle vivait à Sérédou avec son mari, Directeur du Centre expérimental du Quinquina. Elle et mon oncle Mamadou Aliou se sont bien occupés de la famille après l’arrestation de mon Oncle pendant la Révolution (les fils aînés Abdoulaye et Lamine étant absents de Conakry), surtout de nous qui étions les plus petits.
C’est après la mort du tyran Sékou Touré que nous avons appris par son meilleur ami avec lequel il était dans la même cellule, Mr Kaba Moy Lamine que mon Oncle a été torturé pendant les mois qui ont suivi son arrestation et fusillé le 18 Octobre 1971. Il nous a raconté ce qui s’est passé ce jour fatidique. Ils étaient dans la même cellule et que parmi ces personnes il n’y avait que des docteurs, des ingénieurs, des professeurs et des entrepreneurs. Qu’on ne soit donc pas étonné que la Guinée soit dans cette situation de misère et de sous-développement que nous connaissons aujourd’hui. Si dans la seule cellule où se trouvait mon Oncle, il n’y avait que des Cadres émérites et des entrepreneurs. Je ne connais pas le nombre de cellules qu’il y avait au total dans le pays mais chacun peut imaginer l’étendue de la catastrophe et le gâchis de Sékou Touré et de sa révolution.
Quand j’étais petite (donc pendant la révolution), je me souviens que si un militant recevait un étranger, il devait aller le déclarer au comité au risque d’être accusé d’avoir hébergé un mercenaire.
Et si un militant prenait un petit déjeuner avec du café au lait et du pain beurré ou de la mayonnaise ou encore de la confiture, on le taxait d’être un mercenaire financé par l’extérieur. Et donc il devait se rendre au Comité pour se défendre. De sorte que chacun était obligé de se cacher de l’autre même pour prendre un petit déjeuner.
De même un militant n’osait pas porter des habits considérés trop beaux sinon il était taxé de mercenaire financé par l’extérieur. Il pouvait donc être arrêté ou bien les miliciens les lui déchiraient.
Les militants devaient manger les condiments que l’état leur livrait au comité, c’est à dire du riz et du maïs (de mauvaise qualité) importés de Chine. D’ailleurs on nous disait que le président déjeunait avec du lafidi et qu’on devait suivre l’exemple.
A l’école, que ce soit à la montée des couleurs ou quand un professeur ou le directeur entrait dans une classe, nous devrions nous lever et répéter les slogans suivants : « Vive la révolution culturelle et socialiste, A bas les fantoches Houphouët et Senghor ».
En outre, on devait toujours répéter « prêt pour la révolution » devant l’autorité.
La révolution de Sékou Touré a bouffé le troupeau de bœufs de ma mère qu’elle avait hérité de sa mère. On lui prenait deux bœufs par an. Ma tante Laouratou, après de multiples démarches auprès des autorités à Pita, notre région natale, pour supprimer cette corvée insupportable, a pu difficilement obtenir d’elles sinon la suppression, du moins qu’on ne prenne à ma mère qu’un bœuf par an au lieu de deux.
Maintenant, quand je pense à ce qui s’est passé et surtout à ce que nous avons enduré au temps de la révolution, je n’en reviens pas. Je me demande comment et pourquoi les guinéens ont pu supporter cela sans rien faire. C’est cette situation qui a explosé le 27 août 1977 quand les femmes du marché de Madina se sont rebellées. Le commerce était interdit. La Police économique veillait scrupuleusement à cela en sillonnant les marchés. Les commerçants étaient donc obligés de se cacher pour vendre leurs marchandises. C’est contre cette situation que les femmes de Madina ont manifesté le 27 août 1977 en allant voir le responsable suprême de la Révolution.
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Oumou Haha Bah, l’auteure de ce billet occupe actuellement de très hautes responsabilités dans une multinationale qui a des bureaux à Conakry.
En guise de conclusion:
Ma famille n’a plus revu notre père depuis le jour de son arrestation, une seconde fois, le 27 avril 1971, sous le faux prétexte d’avoir été impliqué dans le débarquement portugais du 22 novembre 1970. Preuve de son honnêteté, le jour du débarquement, il était à Bamako, chez Diallo Sada Président de l’Association des entrepreneurs du Mali.
Cet ami de mon père qui avait passé la plus grande partie de son temps en Guinée et avait réussi à se constituer une grosse fortune et à construire de nombreuses villas, avait été expulsé de Guinée, grâce à l’intervention du Président malien Modibo Keita. M. Diallo Sada avait réussi à devenir une des personnalités les plus riches du Mali. Lors d’une conversation que nous avons eue dans ses bureaux en 1984, il m’a dit que c’est mon père qui lui avait donné l’or de nos mamans quand il a été chassé de Guinée avec la possibilité d’emporter seulement une valise.
Après le 22 novembre 1970, il a tout fait pour retenir mon père à Bamako, où il l’aurait aidé à reprendre ses activités. Mon père lui a répondu qu’il ne pouvait pas laisser sa famille seule à Conakry et qu’il devait y retourner. Malheureusement, comme l’avait prévu son ami, quelques semaines après son arrivée il a été arrêté.
Nous ne savons toujours pas dans quelle fosse commune gisent ses restes, 35 ans après la mort de Sékou Touré et la fin de sa révolution. Tous ses biens ne nous ont toujours pas été restitués: terrains à Nongo, Boussoura et Kaloum ainsi que des actions dans une entreprise qui était encore en activité la dernière fois que j’ai quitté la Guinée.