CE billet a été extrait du Chapitre V. Cabral’s Assassination: Facts and Implications (L’assassinat de Cabral: faits et implications) du livre de Patrick Chabal (1951-2014). Amílcar Cabral : revolutionary leadership and people’s war (Amílcar Cabral: direction révolutionnaire et guerre populaire). Il a été originalement publié sur le blog webguinee.net du très regretté Tierno Siradiou Bah qui en avait fait la traduction.
La personnalité de Cabral, son style de leadership et les valeurs politiques qui le guidaient, facilitèrent relativement un attentat contre sa vie. En tant que dirigeant politique, il ne croyait pas que la violence devrait être utilisée afin d’asseoir ou de maintenir l’autorité. Et il admettait difficilement que tous les membres du parti ne partageaient pas ce principe.
Il avait certes été la cible d’une tentative d’assassinat en 1967. Mais il ne parut pas avoir pris de telles menaces au sérieux. Il crut, à tort, que son influence sur les militants suffisait pour empêcher toute nouvelle attaque contre sa vie. En dépit de preuves indiscutable concernant le complot de 1972 et l’identité de ses dirigeants, Luiz Cabral avoua que son frère ne prit aucune mesure spéciale de précaution. Il ignora les menaces que le complot constituait pour sa sécurité personnelle. La nuit de sa mort il n’était ni armé, ni protégé.
De surcroît, Cabral avait un désir presque obsessionnel de rehabilitation des membres du parti reconnus coupables de fautes personnelles ou politiques. Il prenait une telle tâche pour un défi personnel. En conséquence, il ordonna souvent le transfert des coupables à Conakry afin de pouvoir les influencer personnellement et de superviser leur progrès. D’où son intention de rassembler les leaders du complot à Conakry, leur donnant ainsi une possibilité inattendue de poursuivre la préparation du coup au quartier-général même du PAIGC.
Les deux principaux leaders du complot étaient Momo Ture et Aristides Barbosa. Ils avaient été membres du PAIGC et emprisonnés par les Portugais au début des années 1960. Ils furent libérés en 1969 et rejoignirent plus tard le PAIGC en tant qu’agents des services secrets portugais. Ils étaient sur le radar de la suspicion depuis longtemps, mais c’est seulement après avoir reçu des preuves formelles de leur statut que Cabral consentit à leur détention. Bien qu’eux et plusieurs de leurs amis avaient été jugés et emprisonnés avant, Cabral insista, contre l’avis de ses collègues, qu’on leur donne une autre chance de faire leur rédemption.
En particulier, il prévalut sur ses compagnons contre l’application du code pénal du PAIGC concernant la peine capitale en cas de trahison. Ses collègues soutenaient que les sentences devaient être exécutées dans le souci de maintenir la crédibilié du parti. Il ordonna que les suspects soient placés seulement en résidence surveillée.
Certains de ses collègues interprétaient l’attitude de Cabral comme adhésion exagérée et insensée à un ensemble de principes. En fait, il est probable qu’il savait lui-même que sa démarche de reconversion des leaders du complot avait peu de chances de réussir. Néanmoins, il refusa de dévier de ce qu’il considérait comme un élément essentiel de son leadership politique.
Il avait auparavant affirmé qu’i plaçait les principes de rehabilitation et de confiance au dessus de sa propre position de dirigeant. Il était convaincu que même légalement fondée l’exécution de condamnés pour maintenir la sécurité et la cohésion du parti créerait un précédent dangereux, et pourrait conduire à des pratiques répressives, qu’il rejetait. …
En définitive, toutefois, l’assassinat de Cabral dépendit de trois circonstances fortuites qui jouèrent en faveur des conjurés.
Primo, Cabral décida de retarder la peine capitale pour les accusés parce qu’il devait prononcer un discours à l’Assemblée générale de l’ONU en décembre 1972. Il ne voulait pas que les exécutions entachent le capital de sympathie internationale du PAIGC. Il redoutait une campagne de presse dénonçant la répression au sein du parti à la veille de la reconnaissance internationale de la Guinée-Bissau.
Secundo, marquant le 16ème anniversaire de la création du parti, l’amnistie de septembre 1972 avait libéré la plupart des conjurés. En raison des charges pesant contre eux, Momo Ture et Aristides Barbosa ne furent pas relaxés. Toutefois la résidence surveillée à laquelle ils furent astreints leur permettait de communiquer librement avec leurs complices.
Ils furent ravis d’apprendre que Kani avait retrouvé son poste de commandant d’un bateau du PAIGC. Il le dirigeait pour transporter les dirigeants du PAIGC en dehors du pays. De plus, et de façon inattendue, l’un des comploteurs, Mamadu Ndjai, avait échappé à la surveillance du parti. Il fut temporairement placé en charge de la sécurité au siège du PAIGC à Conakry.
A ce moment les Portugais se résignaient à l’échec du coup étant donné que les principaux complices avaient été identifiés par le PAIGC. Mais la nouvelle disposition leur fournit une dernière chance totalement inespérée. Ndjai leur communiqua les détails des mouvements de Cabral. Mieux, il les informa de toutes les mesures de sécurité au QG. La tentative de coup n’eût pas été pas possible sans le contrôle de la sécurité du parti par Ndjai dans la nuit du 20 janvier.
Tertio, des faits de dernière minute aidèrent davantage les conjurés. Dans la nuit du 20 janvier les officiels du PAIGC participaient à une réunion où un leader du FRELIMO devait intervenir. A l’exception d’Aristides Pereira, qui resta seul à la maison, tout le monde était hors du QG. Cabral aurait été sain et sauf s’il s’était rendu au meeting et était rentré avec tout le groupe des officiels.
Mais en cette nuit fatidique, il avait accepté une invitation à l’ambassade de la Pologne. Il s’y rendit avec seul avec sa femme. Et il revint au quartier général peu avant la fin du meeting avec le leader du FRELIMO. Ce sont ces circonstances inhabituelles qui permirent au groupe d’Innocencio Kani de prendre contrôle du siège du PAIGC, de détenir Aristides Pereira, et d’attendre l’arrivée de Cabral.
Quelques jours plus tard, la fonction de Ndjai devait prendre fin, l’éloignant de son poste temporaire de sécurité !
On le voit, en somme, il est indubitable que le leadership du PAIGC, en général, et Cabral, en particulier, réagirent de façon imprudente, banale et non-systématique face à l’information qu’ils détenaient sur la conspiration. En définitive sa mort inutile résulta d’un nombre de circonstances aléatoires, et non pas de l’organisation des conjurés. Leur acte tragique — la mort de Cabral — ne faisait pas partie de leur plan.