Voici la deuxièmes partie de l’interview à Alpha Abdoulaye Diallo dit ‘Portos’ concédée à Hassatou Baldé de guineenews.org faite le 1er mai 2005 et reprise par le Mémorial campboiro.org.
Guinéenews — Votre ouvrage comprend des annexes où vous avez établi la liste de plusieurs personnes qui ont été emprisonnées à un moment donné pour complot. La plupart des personnes arrêtées sont des Guinéens. Mais on note aussi une cinquantaine d’ Etrangers dont une trentaine de Français, des Belges, des Allemands, des Maliens, des Sénégalais etc… Mais à aucun moment je n’y vois des prisonniers portugais. Pourtant la principale agression extérieure qu’a connu la Guinée pendant le règne de Sékou Touré c’est le débarquement des Potugais venus libérer des prisonniers portugais détenus par le PAIGC le mouvement de libération de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert dirigé par Amilcar Cabral qui avait sa base à Conakry.
Alpha-Abdoulaye Diallo Portos — On ne peut pas dresser la liste des soldats potugais ni même en indiquer le nombre. Il s’agit de soldats embarqués à Bissau qui ne connaissaient pas la destination des bâteaux ni l’objectif précis de la mission.
On les a débarqués à l’aéroport de Conakry qu’ils devaient détruire. Ils s’y sont refusés quand ils ont vu qu’il s’agissait de l’aéroport de Conakry-Gbessia. Ils se sont rendus aux autorités guinéennes avec toutes leurs armes, sans avoir tiré le moindre coup de feu.
On les a fait entendre par la mission des Nations Unies venue à Conakry à cette occasion. Après quoi, on les a tous passés par les armes.
Enfin, je dois ajouter que les listes qui figurent en annexe de mon ouvrage sont tout à fait incomplètes puisque dressée de mémoire. Je suis sûr que les personnes, que j’y ai omis et leurs familles voudront bien me pardonner leur omission !
Guinéenews — Vous décrivez l’univers du Camp Boiro tel que vous l’avez vécu. Un seul mot vient à l’esprit : la déshumanisation, une volonté de briser la qualité d’humain à l’individu. Entre votre arrestation intervenue quelques heures après la citation de votre nom à la télévision et votre libération en 1980, votre famille ignorait votre sort, vous n’aviez pas le droit de visite. On ne vous informera pas non plus du décès de votre père.
Les communications entre les prisonniers étaient sous étroite surveillance lorsqu’elles n’étaient pas interdites. Les prisonniers malades ne bénéficiaient pas de soins. Beaucoup sont d’ailleurs morts par manque de soins. Les prisonniers qui mourraient étaient enveloppés dans du linge sale. La pudeur nous interdit de décrire certaines conditions sanitaires dans lesquelles étaient maintenues certains prisonniers selon la gravité des faits qui leur étaient reprochés. Les prisonniers ignorent les peines qu’ils purgent. Pour ceux qui connaîtront la mort ou « le voyage », ils seront exécutés de différentes façon : par pendaison, par fusillade ou par Diète Noire c’est à dire une privation totale de nourriture et de boissons y compris l’eau jusqu’à ce que mort s’en suive. Certains ont été noyés, un a été jeté d’un avion, un autre enterré vivant …
Alpha-Abdoulaye Diallo Portos — Au début il n’existait aucun soin sanitaire. Puis, on avait un infirmier major militaire — à qui, plus tard encore, on a adjoint un médecin, prisonnier lui aussi, et travaillant sous les ordres. La tâche de ce médecin était ingrate puisque démuni de tout médicament et tenu d’obéir à l’infirmier major.
L’homme de garde, sans aucune expérience en matière médicale était chargé de distribuer les médicaments disponibles (des comprimés en général) et d’administrer les piqûres, quand il y en avait, aux détenus qui lui servaient de cobayes.
Un jour au lendemain de la visite du Président Giscard d’Estaing, cet homme de garde devait donner de la coramine à un détenu « blanc » qui devait bientôt être libéré et mettre des gouttes dans les yeux d’un autre détenu « blanc » en attente de libération, lui aussi. Il fit exactement l’inverse : il mit la coramine dans les yeux de l’un et donna les gouttes à avaler à l’autre !
Guinéenews — Nombreux sont ceux qui ne sortiront jamais vivants des différents camps. D’autres en sortiront mais avec des séquelles physiques comme la cécité, la paralysie, l’infirmité et des séquelles psychologiques. Savez-vous combien de camps existaient sous le régime de Sékou Touré. En existe-t-il encore aujourd’hui ?
Alpha-Abdoulaye Diallo Portos — Dans la Guinée de Sékou Touré on dénombrait quinze ( 15 ) camps militaires qui servaient de lieux de détention politique. Les plus connus étaient les suivants :
- Camp Boiro
- Camp Alpha Yaya
- Camp Samory de Conakry
- Camp Soundiata Kéita de Kindia
- Camp El Hadj Oumar de Labé…
Aujourd’hui, je ne sais pas —on parle de « Koundara» et de Fotoba. Je ne pense pas que la situation de ces camps soit la même qu’à l’époque de Sékou Touré…
Guinéenews — Pour les personnes qui en sont sorties vivantes, peu ont témoigné, pouvez-vous expliquer ce silence ?
Alpha-Abdoulaye Diallo Portos — Pour certaines de ces personnes, ce silence s’explique parce qu’elles estiment qu’elles ne savent pas écrire. Pour d’autres c’est simplement qu’elles sont confrontées à la difficile lutte pour le quotidien car il ne faut pas oublier que tous les biens meubles et immeubles des détenus politiques ont été saisis et qu’il faut redémarrer la vie dans des conditions extrêmement difficiles.
J’avoue que personnellement j’ai été souvent tenté par cette dernière position. Je le dis d’ailleurs dans l’avant-propos de la Vérité du Ministre. J’ai continué par devoir de mémoire de vérité, de dette à acquitter envers ceux qui sont restés à jamais à Boiro !
Guinéenews — En prison, vous avez aperçu ou côtoyé des personnes anonymes comme des paysans, des commerçant et aussi des personnalités connues en raison des fonctions qu’elles occupaient ou en raison de la mobilisation internationale qu’a suscitée leur arrestation. C’est le cas de Monseigneur Tchidimbo, archevˆque de Conakry. C’est aussi le cas de Diallo Boubacar Telli, Premier Représentant de la Guinée à l’ONU, ancien ambassadeur à Washington et premier Secrétaire général de l’OUA. Malgré les difficultés de communication entre les détenus, vous avez pu recueillir le testament politique de Diallo Telli, avant sa mort. Quel est ce testament ?
Alpha-Abdoulaye Diallo Portos — Oui, j’ai pu prendre contact avec d’autres prisonniers au fil du temps, parfois directement-sur le tard, parfois par l’intermédiaire de gardes avec lesquels nous avions réussi à tisser des relations de confiance au bout d’un certain temps.
En ce qui concerne Diallo Telli, quand il arrivait à Boiro, j’étais dans ma septième année de détention. Il m’a fait dire-par intermédiaire, directement c’était impossible—qu’il sait qu’il ne sortira pas vivant de Boiro mais que moi, j’en sortirai vivant ! Il me demandait à ma sortie de me battre pour l’unité nationale que Sékou Touré veut casser—casser la nation guinéenne.
Ma réponse était nette : ni lui, ni moi n’avions de chance de sortir de Boiro. Mais sur son insistance, je lui ai promis de travailler à l’unité nationale guinéenne- et africaine ce qui est d’ailleurs conforme à toutes mes convictions politiques les plus profondes !