Avant de devenir président de notre pays, Sékou Touré a milité au sein de plusieurs partis et associations politiques et syndicales. André Lewin, ancien ambassadeur de France à Conakry nous le révèle dans son énorme oeuvre doctorale Ahmed Sékou Touré (1922-1984). Président de la Guinée de 1958 à 1984 en 8 volumes pour 2500 pages.
A l’occasion de sa mort, survenue le 18 octobre 2012, les journalistes Benjamin Roger et Pierre-François Naudé avaient écrit dans la nécrologie qu’ils lui ont consacrée:
André Lewin, collaborateur historique de Jeune Afrique et ancien ambassadeur de France en Guinée (1975-1979) est décédé à Paris, le 18 octobre 2012, à l’âge de 78 ans. Souffrant d’un cancer, il était hospitalisé depuis plusieurs semaines au Val de Grâce.
En poste à Conakry de 1975 à 1979, André Lewin fut l’artisan de la reprise des relations diplomatiques entre la France de Valérie Giscard d’Estaing et la Guinée de Sékou Touré (1922-1984).
Passionné par ce pays, il avait publié en 1990 à J.A. Livres une biographie de Diallo Telli, premier secrétaire de l’Organisation de l’Unité africaine. Puis il avait écrit une thèse de doctorat sur Sékou Touré, soutenue en 2008 à l’Université de Provence et publiée deux années plus tard chez L’Harmattan. Il était aussi le président de l’association France-Guinée à Paris.
Début de l’extrait
[Nota bene: Pour une meilleure compréhension du contexte, je recommande fortement au lecteur de consulter les notes auxquelles renvoient les Nos, après certains noms]Avant la fin de la guerre, Sékou Touré subit indirectement l’influence des cours du soir organisés par le père Maurice Le Mailloux. Celui-ci, né en 1913 en Bretagne, ordonné prêtre en 1939, était arrivé en Guinée en 1941 comme vicaire à la cathédrale pour s’y occuper de l’Action catholique ; il fut rapidement considéré par sa hiérarchie comme une forte tête, sinon comme un rebelle. On le soupçonna, alors que la majorité de l’administration coloniale et de la population française de Guinée était plutôt en faveur du maréchal Pétain et hostile au général de Gaulle, d’avoir fait déposer une Croix de Lorraine au monument aux morts le jour de la Sainte Jeanne d’Arc, alors fête pétainiste, le 9 mai 1943.
Le père Le Mailloux lança en 1942 les JOC (Jeunesses Ouvrières Chrétiennes) avec douze jeunes de 18 à 30 ans (ses “douze apôtres”) et poursuivit cette action en 1943 pour les jeunes de 16 à 22 ans, afin d’étudier pendant un an le rôle de l’Evangile dans la vie familiale et sociale ; ces cours, essentiellement destinés aux “Jocistes” (membres de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne), avaient lieu à la Mission le soir après les heures de travail ; on y retrouvait notamment Antoine Lawrence et David Soumah 74. Ce dernier prit l’initiative en 1943 de réunir une fois par mois et dans le même esprit des camarades chrétiens, musulmans et laïques ; Sékou Touré se retrouvait régulièrement parmi eux, ainsi que Madeira Keita 75 et Mamadou Traoré, dit Ray-Autra 76.
Mais le cercle du père Le Mailloux fut fermé après quelques mois de fonctionnement sur l’ordre du Vicaire apostolique de Conakry, Mgr Raymond Lerouge 77. Ce dernier demanda la mutation du père Le Mailloux, qui quitta donc Conakry le 5 septembre 1944 pour Bamako78. En eut-il été autrement, Sékou ne se serait peut-être pas engagé ultérieurement sous la bannière du marxisme et d’un syndicat proche du communisme ! 79
Dans le courant de l’année 1945, il participe encore assez régulièrement aux activités de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne, animées par le père Chaverot et consacrées aux problèmes syndicaux et à la vie des travailleurs. Mais il s’en détachera progressivement — et puis définitivement — lorsqu’il se lie de plus en plus avec la CGT.
Car en réalité, par calcul et par inclination, Sékou Touré se sent plus proche des formations progressistes et radicales; il fréquente successivement et parfois simultanément toutes les émanations locales du PCF, jusqu’à ce que qu’il pressente toute l’influence que pourrait exercer un parti qui serait totalement africain et guinéen et qu’il modèlerait à sa guise ; tel sera ultérieurement le RDA-PDG.
Le Parti communiste français (PCF) — ses ministres participent au gouvernement de la métropole jusqu’en mai 1947 —, dont la politique coloniale n’est pas encore très “progressiste” 80, n’eut jamais en Guinée de parti-frère officiel ; ainsi que l’écrivait l’un de ses militants, futur habitué de la Guinée, “fidèle à ses principes de non ingérence dans les affaires intérieures d’un autre peuple, il se met à la disposition des Africains progressistes pour les aider à former des cadres (…) Il ne cherche à aucun moment à constituer artificiellement un Parti communiste guinéen” 81.
Ceci est sans doute formellement exact, mais le PCF est très présent sur place dès la Libération et la fin de la guerre par l’intermédiaire du Front National, du Groupe d’Etudes Communistes (GEC), du Parti Progressiste Africain de Guinée (PPAG), de la CGT, puis par toutes sortes d’autres canaux, comme le Conseil Mondial de la Paix.
Le Comité d’Etudes Franco-Africaines, créé le ler mars 1945, est ouvert essentiellement aux Africains, relativement peu nombreux au sein des GEC, à l’origine presque exclusivement européens ; le rapprochement entre les deux formations date de l’été 1946, après le rejet du premier projet de Constitution, lorsque l’offensive des milieux coloniaux paraît menacer les quelques acquis des années précédentes 82. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que de 1947 à fin 1950, les députés du RDA sont apparentés au groupe parlementaire communiste 83 ; cet apparentement a été décidé alor que le parti communiste était un parti gouvernemental ; après mai 1947, du fait de l’exclusion des ministres communistes du gouvernement Ramadier, le RDA se trouve de facto allié à un parti d’opposition, ce qui n’était probablement pas l’option envisagé à l’origine par les dirigeants du Rassemblement 84.
Dans les premiers jours de 1945, Sékou Touré s’inscrit à un petit mouvement politique, l’Union Patriotique, affiliée à une organisation métropolitaine placée sous le signe de la renaissance française issue de la Résistance, mais en fait proche du Parti communiste français qui la noyaute rapidement: c’est le Front national 85, créé en France le 30 janvier 1945, avant même la fin de la guerre.
Présidée par Frédéric Joliot-Curie, cette formation s’implante Outre-mer avec le concours de jeunes Français progressistes ; la section guinéenne est fondée quelques semaine après. Sékou milite au Front national avec toute l’ardeur de la jeunesse, en compagnie de quelques “évolués” guinéens (Abdourahmane Diallo, dit “l’homme à la pipe” ou encore le “pharmacien africain”, les instituteurs Nabi Youla 86 etTibou Tounkara, Saïfoulaye Diallo 87), de Madeira Keita (originaire du Soudan français, l’actuel Mali, devenu préparateur à l’IFAN) 88 et de quelques Français aux idées avancées, parmi lesquels Gabriel Féral, chef de cabinet du gouverneur 89.
L’anthropologue Georges Balandier, qui vient régulièrement depuis Dakar pour monter le centre guinéen de l’Institut Français d’Afrique Noire (IFAN) avant de s’installer pour quelque temps à Conakry, assiste parfois aux réunions, sans toutefois faire allégeance à la doctrine.
A la fin de l’été 1945, au sein d’un bureau composé essentiellement d’Européens 90.