Camp BoiroDroits de l'HommeSékou Touré

Quand les pouvoirs guinéens vont-ils dévoiler à la jeunesse ces crimes de Sékou Touré du 25 janvier 1971?

Le 25 janvier est l’anniversaire d’une des pages les plus douloureuses et humiliantes pour le peuple de Guinée. Mais pour comprendre il faut remonter au 22 Novembre 1970! Ce jour-là, les autorités coloniales portugaises, aidées par des ressortissants guinéens, lancèrent leur opération  Operação Mar Verde [Opération Mer verte], qui consistait en un débarquement à Conakry, le 22 novembre 1970, pour libérer des prisonniers du Parti pour l’indépendance de la Guinée-Bissao et du Cap Vert (PAIGC) dirigé par Amilcar Cabral.

Moins d’une semaine plus tard, Sékou Touré organisa un Haut Commandement de la Révolution, et apparaissant désormais en uniforme militaire, il se proclamera Responsable Suprême de la Révolution, Commandant en chef des Forces Armées Populaires et Révolutionnaire. Son biographe, l’ambassadeur de France, André Lewin, rappelle que pendant plusieurs mois, il changera même l’orthographe de son nom en Seku Turé. 

Sous la supervision de ce Haut commandement, furent opérées des arrestations, des détentions sans jugement, et des exécutions de gens qui n’avaient rien à voir avec cette histoire. Il décima le gouvernement, son propre et unique parti du pays, le Parti démocratique de Guinée (PDG), l’armée et la police. De simples citoyens, des étudiants, des agriculteurs, des entrepreneurs et des étrangers qui avaient choisi de vivre en Guinée, malgré les privations de toute sorte furent arrêtés et exécutés sans la possibilité de se défendre. Des étudiants venus de l’extérieur pour aider le pays disparurent sans que personne n’en fut informé.

Dans sa version anglaise, le site Wikipedia fait savoir [traduction personnelle] qu’après un procès de cinq jours, le 23 janvier 1971, le Tribunal révolutionnaire suprême ordonna 29 exécutions menées (trois jours plus tard), 33 condamnations à mort par contumace, 68 peines de travaux forcés à perpétuité, et 17 ordres de confiscation de tous les biens. Les membres des troupes débarquées, qui n’avaient pas pu prendre le bateau pour fuir, furent condamnés à des peines de travaux forcés à perpétuité.

A Conakry, des pendaisons de hauts cadres qui s’étaient battus pour l’indépendance de la Guinée, eurent lieu  le 25 Janvier 1971. Les élèves de toutes classes furent amenés pour assister à l’horrible scène. C’est au pont du 28 novembre [aujourd’hui détruit] que furent pendus et exposés les corps de quatre des plus hauts cadres du pays: Ousmane Balde, Ministre des Finances, Barry Ibrahima, dit Barry III, secrétaire d’Etat, Magassouba Moriba, Ministre Délégué et Keira Kara Soufiana, Commissaire de Police.

Dans le billet qui suit, Boboseydi Bobosey, un haut cadre guinéen vivant aux États Unis, alors à l’école maternelle, qui fut témoin oculaire de ces pendaisons partage avec nous ses réflexions sur cette horrible tragédie et ses conséquences qui se font sentir encore dans de nombreux domaines et qui expliquent les retards de notre pays qui n’atteindra aucun des objectifs du millénaire du développement:

Le destin de la Guinée prenait un tournant des plus sanglants et impitoyables, en janvier 1971. De hauts fonctionnaires de l’Etat, ministres, directeurs et chefs de cabinets, gouverneurs, ambassadeurs, professeurs, chauffeurs, à tous les niveaux des couches sociales, on cherchait des corps pour alimenter le Haut-Fourneau du régime Sékou Touré.

Avec des pendaisons, tortures à mort et des fosses communes, la Guinée- enfant terrible de la décolonisation – s’engageait dans une tempête de sang qui durera 26 ans, de 1958 à 1984. Les dirigeants de l’époque se sont comportés non seulement en personnes dépourvues d’humanité contre le peuple qu’ils dirigeaient, mais aussi ils sont allés au-delà de l’imaginable pour ériger et maintenir des prisons célèbres, à la place des écoles célèbres, des hôpitaux célèbres, bref à la place d’un système économique, social et politique célèbre on a construit des forteresses de sang où des innocents gémissaient à longueurs de journées. Depuis, malheureusement nous crions en vain pour les espoirs de 1958.

Lire aussi: L’aveu en Guinée

Tout pays, la Guinée exceptée, prendrait le dossier des crimes de ce régime pour une priorité pour un meilleur avenir du pays. En Guinée, on a plutôt choisi de perpétuer le crime. Certains compatriotes voudraient qu’on pardonne, le plus souvent ils sont de ces générations auxquelles on a caché l’histoire, qui ignorent donc le poids du fardeau injuste et sanglant. Mais tout pardon n’est pas un acte de sagesse.

L’exemple de l’Afrique du Sud de Nelson Mandela ne s’applique pas à la Guinée. En Afrique du Sud, Mandela a demandé pardon en faveur de la prospérité et de la cohésion civile. L’Afrique du Sud aurait explosé en guerre civile si jamais on se lançait dans des vengeances et cela aurait détruit tous les progrès économiques du pays.

En Guinée, toutes les familles étaient victimes et depuis 1984 on a constaté que l’impunité est la cause de la continuité du crime. Au moment où j’écris ces lignes, on est prêt à tirer sur les gens à bout pourtant, sans aucune inquiétude. Personne n’a jamais été inquiété pour toutes les répressions sanglantes, de 1985 à nos jours. Les présidents et leurs fidèles soldats continuent à tuer comme si l’âme du guinéen était un champ de tirs. Pas d’arrestations, pas de procès.

Lire également : Comment la révolution de Sékou Touré extorquait les confessions

Pour finir avec ces crimes il faut absolument passer par l’instauration d’un Etat de droit, un des rêves de 1958 jamais réalisé. Les dossiers de tous les crimes politiques devraient passer par la cour de justice- une cour indépendante et patriotique, loin de ces cours qu’on a vues vendre la justice à des fins personnelles à travers de faux procès pour de faux coups d’Etat.

Si donc en Afrique du Sud le pardon a éradiqué la haine et les crimes, en Guinée il contribuerait à les accentuer. De 1960 à 2014, soit 54 ans d’existence, nous n’avons jamais eu de procès équitable et jamais un crime politique n’a été introduit dans une cour de justice, donc jamais on a puni le mal.

Cette attitude devant le crime a-t-elle empêché le crime ? Non ! Pour en finir donc, il faudrait que les auteurs répondent de leurs actes, en vertu des principes d’un Etat de droit, et sous l’œil vigilant et patriotique d’un Chef d’Etat qui assumerait de manière responsable le destin de son peuple. La croissance et l’expansion économique, la cohésion sociale et l’avancement politique en dépendent.

Boboseydi Diallo

Laisser un commentaire avec Facebook

konakryexpress

Je revendique le titre de premier clandestin à entrer en Italie, le jour où la mort de Che Guevara a été annoncée. Mais comme ce serait long de tout décrire, je vous invite à lire cette interview accordée à un blogger et militant pour les droits humains qui retrace mon parcours dans la vie: https://fr.globalvoices.org/2013/05/20/146487/

Articles similaires

5 commentaires

    1. il y a de nombreux livres ecrits sur le regime Sekou Toure qui restent a la marge des programmes scolaires et universitaires. Ca dort en Guinee sur tous les plans mais le reveil est a l’horizon

      1. C’est justement, la volonté de contribuer à faire connaitre notre histoire commune qui justifie l’existence de ce site. Ce que je tente de faire en diffusant l’immense richesse disponible gratuitement sur le site du Mémorial campboiro.org, grâce au travail merveilleux fait par une personne seule qui l’a créé et maintenu depuis tant d’années.

        1. le probleme majeur est que le systeme politique reste le meme a travers les differents regimes, avec les memes visions limitees a des actions mineures

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Bouton retour en haut de la page