Voici un exemple de comment la dictature de Sékou Touré et de sa bande à tueurs a creusé la tombe d’où le peuple de Guinée n’arrive toujours pas à sortir, en tuant ceux qui étaient capables de faire fructifier le potentiel dont la nature a doté ce pays. Soit Sékou Touré soit des subalternes tout en sachant qu’ils ont exécuté une victime sous de fausses accusations n’hésitent pas à faire de fausses promesses de libération ou de remise de colis.
Tiré du livre de Kindo Touré: Unique Survivant du « Complot Kaman-Fodéba » |
Jeune cadre, d’une rare beauté physique, ayant suivi et terminé de hautes études en France, Paul Stéphen, fils d’un vieux fonctionnaire, assumait dès son retour au pays de hautes fonctions à Conakry.
Confiant en sa formation, il n’avait pas partie liée avec les dignitaires du régime.
Dans la tourmente de « l’après-aggression », il est dénoncé et arrêté le 18 avril 1971. A son premier interrogatoire, il crache sur la figure de M. Ismaël Touré, le puissant président du Comité révolutionnaire. Le lendemain, sur recommandation spéciale, il est transféré au sinistre camp de la mort de Kindia où il doit être « interrogé ».
Dans la matinée du 20 avril 1971, il est extrait de sa cellule et conduit devant la Commission d’enquête siégeant au Camp Kémé Bourama.
Vers le milieu de la journée, de nombreux membres de la Commission d’enquête, tous officiers de la Gendarmerie, font leur entrée dans la cour de la Maison centrale. Ils font ouvrir les cellules et les salles, les unes après les autres, pour mettre les détenus en garde : il est rigoureusement interdit d’épier à travers les barreaux de fenêtres ou par les trous des portes ce qui se passe dans la cour ! Ils affirment que celui qui serait surpris en train de le faire sera exécuté sur-le-champ, proprement et simplement. Tout le monde est apeuré.
Quelque moment après, la Land-Rover de la Commission fait marche arrière et se range correctement à l’entrée du portail. Armes sous le bras, les gendarmes scrutent partout à la fois, guettant les téméraires éventuels. Puis sur un signal, la portière arrière de la Land-Rover s’ouvre. On voit la plante des pieds d’un homme étendu de son long. On le tire lentement, les pieds nus touchent le sol. Le buste entier parait, les yeux sont clos.
Trois gendarmes le soulèvent, le soutiennent, veulent le faire marcher, impossible.
Nous le reconnaissons :
— Oh ! c’est Paul Stéphen, pauvre Paul !
Il est dans une totale inconscience. Les sbires luttent, déploient des efforts pour l’introduire au plus vite dans la cellule 5. Paul titube, il est finalement traîné et jeté dans la cellule. Son beau costume kaki est couvert de poussière. La paire de sandalettes est jetée à côté de lui !
Dans la Maison centrale, le silence est complet. Dehors, les sbires par groupuscules causent à voix basse. De temps à autre, un agent discrètement vient à la cellule 5, l’ouvre, observe et repart sur la pointe des pieds.
Dans la soirée, Paul Stéphen s’éteindra seul, dans sa sordide cellule.
A la tombée de la nuit, son corps est discrètement enlevé par une corvée pour sa dernière demeure, quelque part aux environs de Kindia. Sa détention n’a duré que 48 heures.
Pauvre Stéphen, que la terre te soit légère et que Dieu t’accorde son Paradis. Amen!
Et maintenant, je vais ouvrir une parenthèse concernant notre regretté Paul Stéphen.
Après l’historique 3 avril 1984, les rescapés du Camp Boiro dans l’émission radiodiffusée « A vous la parole » ont fait d’émouvants témoignages.
Le 19 mai 1984, je témoigne parmi tant d’autres. Je parle de Paul Stéphen. Son épouse éplorée, née Manemba Magassouba, veut à tout prix me rencontrer ; ce que j’accepte volontiers à la demande de M. Lamine Kéita alors directeur général de Batiport.
Je rends visite à cette dame que je trouve dans un complet état d’abattement moral et physique. Nous parlons de son regretté époux.
Je perçois sa profonde lassitude. Je cherche et trouve des mots pour la réconforter mais confirme toutefois mes propos diffusés par la radio.
Elle s’explique :
— Paul était le seul fils majeur et l’irremplaçable soutien de la nombreuse famille de son père ; son arrestation a plongé nos familles dans une profonde consternation. Pour mon beau-père et pour moi-même, la vie sans Paul n’a plus eu aucun sens. Après d’inextricables difficultés de tous ordres, une nuit, 3 ans après son arrestation, un fonctionnaire du Camp Boiro, me réveille très tard. Il me dit que Stéphen est très souffrant. Par humanisme, souligne-t-il, il me dépose une liste de produits que je dois lui apporter avant l’aube. Immédiatement, sous une pluie battante, prenant mon enfant au dos, je sillonne à pied les quartiers de la ville, réveillant par-ci par- là les travailleurs de la santé ou des pharmacies de la ville. A 5 heures, tous les produits sont enfin réunis. Je cours à pied au Camp Boiro pour les déposer. Mon intermédiaire, en me voyant, se fâche, m’adresse des propos injurieux, dit que jc devais déposer plus tôt ces médicaments et que par mon retard, je cherche à le compromettre ! Il me renvoie sans ménagement. Je m’excuse. Je rentre en pleurs à la maison…
Elle continue :
— Cet inhumain agent de l’autorité savait bien que Paul était mort deux jours après son arrestation. ll n’a pas eu pitié de moi pour m’exploiter aussi abusivement ! Oh, grand Dieu ! Par ailleurs, encore quelques années après son arrestation, mon pauvre beau-père M. Philippe Stéphen n’arrêtait pas de poursuivre ses démarches auprès des autorités pour la mise en liberté de son fils Paul. Plusieurs fois, il est reçu par le Chef de l’Etat qui toujours lui fixe des rendez-vous manqués. La dernière fois qu’il le reçoit, il lui donne même une date précise pour la libération de Paul ! Le vieux Stéphen, réconforté, rentre satisfait à Boffa. Il devient un fidèle auditeur de la « Voix de la Révolution » 3 …
Elle poursuit :
— A la date indiquée, une liste de détenus libérés est lue à la radio mais Paul n’en fait pas partie. Dans sa chaise-longue, cette nuit-là, mon beau-père foudroyé par une crise cardiaque succombe en solitaire… Quelques années plus tard, contre mon gré, pressée par les parents, devant les vicissitudes de la vie et n’en pouvant plus, à contre-coeur, j’accepte un remariage en attendant la libération éventuelle de mon Paul bien-aimé.
Et voilà qu’hier, votre témoignage balaie tout doute. Vous comprenez mes profondes peines morales… Ma déception est sans limite…
Trois heures après, j’ai réussi à quitter, l’âme en peine, cette dame désemparée.