Au Mozambique, la victoire électorale du Frelimo rejetée par l’opposition

Voici comment les missions d’observation électorales africaines se décrédibilisent. Elles ont été déployées pour des élections au Mozambique, mais elles ont vu d’autres élections tellement leur rapport est loin de la réalité de ce qui s’est passé effectivement. De telles missions sont inutiles, voire même dangereuses car elles pourraient engendrer une guerre civile.

Le 15 octobre, les Mozambicains ont élu un nouveau président, les députés de l’Assemblée nationale, les gouverneurs de province et les députés des assemblées provinciales.

Le président sortant Filipe Nyusi du parti Frelimo [Front de libération du Mozambique] a été réélu [pt] avec 73% des voix, contre 21,88% pour Ossufo Momade du principal parti d’opposition, la Renamo [Résistance nationale mozambicaine]. Le Frelimo a également obtenu 184 des 250 sièges du législatif monocaméral et tous les 10 gouverneurs de province.

Toutes les provinces ont donné une victoire globale au Frelimo, y compris la Zambézie et la Nampula où il avait perdu lors d’autres élections.

Le Conseil constitutionnel du Mozambique n’a pas encore officialisé les résultats.

Le 21 octobre, la Renamo a déclaré qu’elle” n’acceptait ni ne reconnaissait” les résultats des élections, selon la radio Deutsche Welle. Dans un communiqué, son comité politique a déclaré:

Considérant que certains électeurs ont apporté avec eux des bulletins déjà marqués pour le Frelimo et son candidat avant d’entrer dans la salle de vote, la Renamo juge qu’il y a eu fraude de la même manière que si des étudiants venaient dans la salle d’examen munis de copies des cahiers de corrections.

Dans ces conditions, la Renamo prend ses distances par rapport aux résultats annoncés par les médias, car ils ne reflètent pas la volonté de l’électorat.

Selon un article [pt] de la radio Deutsche Welle, le président de la Renamo a également appelé “tous les Mozambicains à ne pas accepter la grande fraude électorale [et] à exiger la libération immédiate et sans condition de tous les membres de la Renamo arbitrairement détenus au cours du processus électoral”.

Le MDM, un autre parti d’opposition, a également publié une déclaration rejetant les résultats :

Le MDM n’accepte pas les résultats publiés car ils ne reflètent pas la volonté des Mozambicains. Dans les sociétés civilisées, ce type d’élections n’est pas admis.

Le Président réélu et le Frelimo ont publiquement remercié [pt] les électeurs pour leur participation:

Merci à tous pour le soutien !

Ce dimanche, nous avons suivi la publication des résultats des élections générales et des assemblées provinciales par la Commission électorale nationale.

Des milliers de camarades et moi étions ensemble à l’école centrale du parti à Matola, dans la province de Maputo.

Nous continuerons d’attendre que le Conseil constitutionnel ratifie les résultats pour le prochain mandat et poursuivons dans notre vision d’œuvrer pour un Mozambique prospère, équitable et juste.

Le Frelimo dirige le Mozambique depuis la fin de la guerre civile et la mise en place d’une démocratie multipartite en 1992. Depuis lors, la Renamo n’a jamais accepté les résultats des élections. En 2014 et 2015, les tensions ont conduit à un nouveau conflit armé. Trois nouveaux accords [pt] de paix ou de cessez-le-feu ont été signés depuis 1992.

En 2018, Afonso Dhlakama [fr], le chef historique de la Renamo est décédé et le leadership actuel d’Ossufo Momade n’est pas accepté par une faction du parti.

Lire aussi: Afonso Dhlakama, le légendaire politicien et ex-guérillero du Mozambique est mort

Les élections de 2019 se sont déroulées au milieu d’un conflit armé opposant des insurgés islamiques et des militaires dans la province de Cabo Delgado (nord du pays), qui a fait 200 morts depuis 2017. Le climat d’insécurité a empêché environ 5 000 personnes de voter.

La plate-forme pour la transparence électorale, une initiative de suivi des élections menée par cinq organisations de la société civile, a signalé des irrégularités dans certaines procédures. Selon le journal O País :

Le groupe d’organisations de la société civile a déclaré avoir détecté des cas de bourrage d’urnes dans certains endroits, des arrestations de surveillants des bureaux de vote, malgré que ceux-ci jouissaient d’immunité.

La plate-forme pour la transparence électorale a également déclaré avoir rencontré des difficultés pour accréditer ses observateurs, n’ayant réussi à en affecter que 3 200 sur les quelque 7 000 demandes d’accréditation.

La Plateforme de transparence électorale, à l’Université Eduardo Mondlane de Maputo. Photo de Dércio Tsandzana, 15 octobre 2019

L’Union africaine (UA), la Communauté des pays de l’Afrique australe (SADC), la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP) et l’Institut pour une démocratie durable en Afrique (EISA) ont également envoyé des observateurs.

Les missions d’observation ont toutes indiqué [pt] que les élections s’étaient déroulées dans le calme, à l’exception d’incidents violents survenus à Cabo Delgado qui ont empêché les gens de voter.

Les incidents survenus pendant la campagne électorale, notamment l’assassinat de militants et d’observateurs électoraux, ont été considérés comme isolés et n’ont pas porté atteinte à l’intégrité du processus. Selon l’agence de presse Lusa :

La mission de la CPLP [Communauté des pays de langue portugaise] a estimé que le processus de vote du 15 avait eu lieu, d’une manière générale, conformément aux pratiques recommandées au niveau international.

La mission [de l’Union africaine] note que la transparence du processus a été assurée, les partis et les observateurs étant présents lors du vote.

Pour la SADC, les phases de pré-élection et de vote se sont généralement déroulées de manière pacifique et ordonnée

Les missions internationales d’observation se préparent avant une conférence de presse. Photo de Dércio Tsandzana, 17 octobre 2019

L’Union européenne (UE) a souligné [pt] que le processus était gravement compromis par la méfiance entre les principaux acteurs, ainsi que par les inégalités des chances dans la compétition électorale ainsi qu’un douteux enregistrement des électeurs :

Le processus électoral s’est déroulé dans un environnement complexe et polarisé, caractérisé par la violence entre militants, la méfiance entre les principaux partis politiques et le manque de confiance dans le fait que l’administration électorale et les organes judiciaires étaient indépendants et libres de toute ingérence politique.

La mission d’observation de l’Union européenne donne une conférence de presse. Photo de Dércio Tsandzana, 17 octobre 2019

Dans une déclaration [pt] du 8 novembre, la mission d’observation de l’UE (MOE UE) a de nouveau cité des irrégularités et a invité cette fois le Conseil constitutionnel à réagir :

La MOE UE a reçu des informations crédibles et a observé des cas d’intimidation de délégués de partis. Les observateurs de l’UE ont été informés de centaines de cas où des présidents de bureaux de vote dans tout le pays ont expulsé des agents des partis de l’opposition et des agents électoraux désignés par les partis, souvent avec l’aide de la police.

De nombreux membres de l’opposition, qu’ils soient des agents du scrutin, des agents électoraux nommés par un parti ou des fonctionnaires électoraux nommés par le parti, qui ont soulevé des réclamations ont été considérés par les autorités comme perturbant le processus électoral et la police a été appelée pour les faire expulser ou arrêter. Lorsque la police était impliquée dans l’expulsion d’agents de partis, c’était parfois avec violence.

La MOE UE estime que l’administration électorale devrait se charger de clarifier les irrégularités constatées. La ME UE est consciente que les faits observés requièrent un effort supplémentaire pour le Conseil constitutionnel, qui aura la possibilité de réagir à ces irrégularités lors de la ratification des résultats.

Au cours de la campagne électorale, il y a eu des cas [pt] où des journalistes ont été empêchés d’assister à des réunions.

En ce qui concerne la couverture journalistique, un journaliste qui a diffusé une émission de radio le 15 octobre a été menacé. Zito Ossemane a souligné sur Twitter :

Zito do Rosário Ossumane@Zitodorosario

O meu colega, Tome Balança foi siviciado na madrugada última por indivíduos até ao momento desconhecidos pela sua verticalidade e profissionalismo na noite das eleições. A residência do balança foi cercada por essa gente que o torturaram e proferiram diversas ameaças .

Voir les autres Tweets de Zito do Rosário Ossumane
Mon collègue, Tome Balança, a été agressé hier soir par des inconnus jusqu’à présent non identifiés pour son honnêteté et son professionnalisme le soir des élections. La résidence de Balança a été encerclée par ces individus qui l’ont torturé et proféré de nombreuses menaces.

Image: L’information d’un autre journaliste torturé et menacé arrive de Quelimane. Zito Ossumane, directeur de Radio Chuaba FM, une chaîne privée opérant dans cette ville de la province du Zambèzie, vient d’annoncer au correspondant de DW Africa, Sitoi Lutxeque, que des inconnus ont envahi la résidence du journaliste Tome Balança…

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Ce billet publié le 14 novembre sur globalvoices en portugais par Dércio Tsandzana, doctorant en sciences politiques à l’Université de Bordeaux (IEP – Sciences Po Bordeaux) a été traduit en anglais par Liam Anderson qui est diplômé en Anthropologie sociale, et possède une maîtrise en relations internationales. Et moi, je l’ai traduit de l’anglais en français.

 

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