Après des décennies de lutte sans relâche, cette veuve et maman, écrivaine et militante pour les droits humains, la franco-guinéenne Nadine Bari, a réussi à retrouver les restes de son mari assassiné par le régime sanguinaire de Sékou Touré, et à lui donner la sépulture que tout être humain mérite.
Parler de Nadine Bari c’est tout un programme! Cette mère de 4 enfants et 6 fois grand-mère est retraitée depuis 1999 et vit principalement en Guinée, lorsqu’elle ne parcourt pas le monde pour retrouver sa descendance et satisfaire sa curiosité ou établir des contacts pour son ONG, guinee-solidarite.org. Traductrice diplômée de l »École supérieure d’interprètes et de traducteurs (ESIT) en 1961 avec mention honorable et docteur en droit en 1964 également avec mention, elle est auteur de 8 livres, dont le dernier L’ACCUSÉ Sékou Touré devant le TPI est sorti cette année et peut-être commandé online, en support papier ou virtuel.
Elle a envoyé à tous les inscrits au groupe de l’association des victimes du Camp Boiro, une invitation indiquant le programme suivant.
Sacrifice du boeuf à 8h
Lecture du Coran à 9h
Inhumation à partir de 10h
Les victimes de Boiro (veuves et enfants de disparus, rescapés) seront à l’honneur. Merci de votre présence.
Solidairement de Nadine
Nadine a remué ciel et terre pour obtenir ce résultat. Elle a écrit plusieurs livres et fait un film inspiré de l’amour pour son mari dramatiquement disparu, depuis leur rencontre, les rêves qu’ils nourrissaient ensemble, leur enthousiasme pour aller ensemble servir le pays d’origine de son mari et les difficultés et les peurs du système despotique et sanguinaire qui s’installaient en Guinée.
Elle a réussi là où toutes les familles de victimes n’ont rien pu faire. Tous les présidents que la Guinée a eus depuis la mort du monstre se sont plus distingués par la recherche de séduction du peuple en s’appropriant des idéaux verbaux que Sékou Touré défendait dans ses discours mais oubliait d’appliquer dans son pays.
Le Président Alpha Condé, a créé en juin 2011 une Commission provisoire de réflexion sur la réconciliation nationale avec l’appui du PNUD et du Haut commissariat des Nations Unies pour les droits de l’Homme. A la tête de cette commission, il a nommé les chefs des deux religions principales du pays, El hadj Mamadou Saliou Camara, grand Imam de la Grande mosquée Fayçal de Conakry et Mgr Vincent Coulibaly, archevêque de Conakry. Mais il a oublié de leur octroyer les moyens nécessaires pour travailler, au cas ils auraient eu une quelconque envie de travailler.
Le 25 mars 2015 une cérémonie a eu lieu au Palais du peuple à Conakry pour le lancement des consultations nationales en appui au processus de réconciliation. En quatre ans, aux dires mêmes de Msgr Coulibaly, la Commission n’a réalisé que « l’obtention du siège national de la Commission et les sièges des antennes régionales, l’organisation des prières dans les Mosquées et dans les Eglises pour le repos de l’âme des disparus, l’organisation des voyages d’études. » C’est-à-dire rien, car dans les lieux de prière les fidèles prient toujours pour les morts.
À l’occasion de cette cérémonie, le Pr Alpha Condé, a rappelé que la Guinée avait « connu un passé douloureux et ce qui complique la situation c’est que dans les familles, il y a à la fois des victimes et des bourreaux. »
Ce qui est peut-être vrai, mais n’explique pas pourquoi l’état n’a rien fait depuis la mort du tyran Sékou Touré pour retrouver les restes des illustres victimes dont les premiers cadres, ambassadeurs, hauts gradés de l’armée, artistes, footballeurs, médecins, ingénieurs, hommes d’affaires, commerçants, entrepreneurs. Il avait indiqué que son « action prioritaire est la visite des fausses communes avec l’association de personnes ressources, notamment les sages, dans la recherche de la vérité. » Cette promesse est restée sans suite, jusqu’à présent.
Dans un passage de son discours, le Président Alpha Condé avait dit qu’il ne saurait y avoir de réconciliation si l’on n’ouvre pas les fosses communes pour rendre les corps aux familles afin qu’elles puissent leur donner une sépulture décente. Comme, on peut l’imaginer ce passage était le plus important pour nous membres de Association des victimes du Camp Boiro. Malheureusement, cette partie du discours a été censurée et on ne la retrouve nulle part, ni dans les archives de la radio/TV ni sur Internet. Le communiqué publié sur le site de la présidence ne le mentionne pas, non plus. Pourtant nos membres qui étaient présents à la cérémonie l’avaient bien entendue.
Un premier geste du Président Alpha Condé qui aurait pu témoigner de sa bonne volonté aurait pu être le changement de nom de la résidence présidentielle, qui est toujours « Sékoutouréya », c’est-à-dire chez Sékou Touré, celui-là meme qui a tué, spolié et forcé à l’exil un tiers de la population. C’est comme si en France l’Elysée s’appelait « Chez Pétain », la résidence officielle de la chancelière allemande Angela Merkel à Berlin, Hitlershaus.
C’est à la lumière de tout ceci que le retrouvement des restes du doyen Abdoulaye Barry par sa femme Nadine Bari est un exploit!
On peut voir un extrait ici d’un documentaire qu’elle a réussi à faire réaliser sur son combat et en trouver une analyse ici, faite par la Fédération internationales des droits de l’homme (FIDH), lors de la présentation du film au cinéma indépendant d’Art et Essai, Luminor Hôtel de ville, le 15 mars 2010 à Paris. Le film est l’oeuvre de Yoan Cart et de Catherine Veaux-Logeat (2009)
Début du texte de Nadine Bari
Tokounou, 13 octobre 2015
Les jeunes excavateurs – 15 et 16 ans, fils de Mawdo Kindia – ont d’abord enlevé la couche superficielle de terre, puis ont atteint une cinquantaine de grosses pierres, celles que les « enterreurs » à la sauvette posaient invariablement sur les cadavres de détenus, de fosses communes ou individuelles.
– Elles ne sont pas là par hasard, ces pierres, me dit Abbas (rescapé de 7 ans de Boiro), c’est la preuve qu’il y a bien eu là un détenu enterré.
La pierraille enlevée, les deux jeunes commencent l’un à piocher et l’autre à enlever rapidement la terre jaune et sèche de la savane.
Puis, d’un seul coup, la terre devient noire et grasse. Abbas explique que l’on atteint maintenant l’ombre du corps, lequel s’est décomposé très vite. D’abord avec l’aide des fourmis qui attaquent les chairs, ensuite avec les vers qui continuent le travail, même sur les os.
On demande aux jeunes d’y aller moins fort, plus prudemment et d’entasser sur le côté du terrain cette terre noire. Je sors les petits outils de jardinage sur balcon apportés pour travailler « en archéologue », y compris un brosse pour ôter la terre de sur les os. Mais la couche de terre noire est épaisse et … pas la moindre trace d’ossements.
Je m’affole :
– Allons à une extrémité, celle où peut se trouver le crâne que je recherche.
On dégage le tiers supérieur de la sépulture et on continue à creuser prudemment. On est à 40 cm au-dessous des grosses pierres, mesure quelqu’un avec une branchette.
Mais non seulement il n’y a pas trace d’ossement, mais apparaissent des sortes de gravillons clairs qui prouvent que l’ombre du corps n’est plus là. Plus de couche de terre grasse. Donc tout le corps s’est délité, a disparu, s’est fondu dans la terre.
Je me révolte :
– Mais dans les charniers de Franco datant de plus de 70 ans, on a bien retrouvé les ossements des antifranquistes ! Et ici, 43 ans après, il n’y aurait plus rien ? Impossible. On a même retrouvé des os de mammouths morts depuis des milliers d’années. Continuez à creuser !
Godfrid m’explique patiemment que le climat sous les tropiques n’a rien à voir avec le climat de l’Europe ou du désert et que les grosses pluies font pourrir très vite les choses et les gens.
D’accord, mais je demande quand même aux jeunes de rajouter 5 cm de profondeur.
Mais c’est peine perdue, la terre devient de plus en plus claire. Abbas dit qu’on va emporter de la terre grasse où reposait le corps.
Je me souviens que l’imam de Kipé m’avait dit :
– Après tant d’année, vous risquez de ne pas retrouver grand’ chose. Alors vous mettrez de la terre ombre du corps dans le linceul, c’est ce qu’on enterrera dans votre jardin.
Godfrid et Abbas tiennent le grand sac dans lequel les jeunes jettent de grandes pelletées de la terre noire entassée. Moi je m’obstine à chercher la trace d’un bout d’os rescapé, cela me suffirait amplement à présent. Mais rien ! et mon entêtement me fait rater ce que les deux porteurs du sac m’ont raconté ensuite.
D’abord Godfrid, qui me dit avoir assisté pour la 1ère fois de sa vie à un phénomène bizarre : Dans les deux dernières pelletées envoyées, il y a eu comme une grande respiration de la terre, me dit-il. Mais je pense que Godfrid, Béninois, voit des morts-vivants partout et j’oublie.
Cependant, une heure plus tard, Abbas (70 ans), me dit :
– Tu sais, j’ai vu quelque chose qui m’a étonné: à la dernière pelletée de terre, il y a eu comme une grande inspiration d’une poitrine qui se gonfle et la terre a exhalé un grand soupir…
Et lui, je l’ai cru, car c’est un sage. Et j’ai bien regretté d’avoir manqué ça.
Pourtant, après cette douloureuse opération, je dois me contenter de cela : Un soupir de l’ombre du corps d’Abdoulaye, c’est tout et, paradoxalement, cela m’a fait du bien de le savoir et de le penser.
On a donc placé le sac de terre dans la boîte de 1 m de long que j’avais emportée. En enroulant toutefois le sac dans le linceul.
Nadine