Avec la croissance du nombre de ces utilisateurs des NTIC, il y a plus de citoyens qui diffusent leur vibrante voix pour dénoncer la corruption et la mauvaise gouvernance ou encore les abus de l’oligarchie cleptomane gravitant autour du pouvoir. Mais, les dictateurs aussi s’organisent et sévissent. C’est ainsi qu’il y a de plus en plus d’utilisateurs des NTIC qui croupissent en prison, comme les blogueurs éthiopiens de Zone9, du journaliste et blogueur, toujours d’Éthiopie, Eskinder Nega, arrêté 7 fois durant le régime de Meles Zenawi et remis en prison depuis le 14 septembre 2011 pour une condamnation à 18 ans de privation de liberté. Dans de nombreux pays africains, blogueurs et journalistes encourent les mêmes risques à cause de leur engagement pour la liberté d’expression.
Cependant, lors des récentes élections au Nigeria, les médias sociaux ont joué un rôle incontournable pour faire connaitre les programmes des partis et pour fournir des informations en temps réel, comme nous l’avons dans l’article intitulé Le rôle encore à analyser des médias sociaux lors des élections nigérianes 2015.
La répression contre blogueurs et autres utilisateurs des NTIC encourage de plus en plus de citoyens à s’engager encore davantage. C’est ainsi que de jeunes guinéens viennent de créer leur association, #ablogui, pour contribuer à réduire la fracture numérique qui classe leur pays parmi les derniers en matière d’utilisation d’Internet.
Dans le billet que je vous propose aujourd’hui, M. Collin Asiimwe, un blogueur militant ougandais, interviewé par Prudence Nyamishana, ougandaise également, chargée de communication dans l’organisation internationale Forum for Women in Democracy, blogueuse et membre de Global Voices online, décrit comment les médias sociaux ont remodelé le cycle de l’information dans leur pays et fournit son opinion sur bien d’autres sujets.
C’est moi qui ai fait la traduction avec la révision de l’infatigable Suzanne Lehn, éditrice en second de GV en français, dont je vous ai déjà dévoilé mon admiration, non seulement coté professionnel, mais surtout pour sa disponibilité à écouter et à aider.
[Article d’origine publié en anglais le 29 juin] Comme ailleurs dans le monde, les médias sociaux sont devenus un mode de vie pour de nombreux Ougandais. La Commission ougandaise des communications a estimé qu’en juin 2014, il y avait 8,5 millions d’utilisateurs d’Internet dans le pays sur plus de 37 millions d’habitants. La plupart de ces internautes ont recours à une ou deux plates-formes de médias sociaux et ils ont accès à Internet principalement à partir de leurs appareils mobiles. Il y a près de 20 millions d’abonnés aux télécommunications.
Pour discuter de l’impact des médias sociaux en Ouganda, Global Voices a interviewé M. Collin Asiimwe, un blogueur ougandais qui est “en train de changer le monde avec un abandon réfléchi”.
Prudence Nyamishana (PN): Quel impact ont les médias sociaux en Ouganda ?
Collin Asiimwe (CA): Les médias sociaux ont remodelé le cycle de l’information. Dans le passé, les médias sociaux prenaient les informations à partir de la presse grand public, mais maintenant, cette situation s’est renversée, ce sont les médias grand public qui prennent les nouvelles à partir des médias sociaux. Les internautes annoncent les nouvelles qui feront les titres des journaux le lendemain. Deuxièmement, on estime que seulement 1,5 millions de personnes en Ouganda utilisent les médias sociaux et par conséquent ils ne peuvent pas apporter une contribution au changement social, ceci est une erreur.
Bien que 90 % de la population dans les zones rurales de l’Ouganda utilisent des radios, la plupart des informations qui sont partagées par les présentateurs de ces radios proviennent de la blogosphère. Tant que ces présentateurs utiliseront les médias sociaux, l’impact de ces derniers ne pourra pas être compromis. Dans le passé, on diffusait les informations en laissant de côté ceux qui vivaient dans les zones rurales, mais maintenant eux aussi les reçoivent instantanément. Les médias sociaux ont ouvert les institutions et on entend à présent plus de voix. Ensuite, nous ne pouvons pas ignorer l’impact de la campagne de 40 Days Over 40 Smiles (40 jours pour 40 Sourires) [fr], une initiative menée par des jeunes qui utilisent les médias sociaux dans leur combat pour la justice sociale.
PN: Dans quelle mesure pensez-vous que les médias sociaux peuvent créer un impact en Ouganda?
CA: Les médias sociaux ont le potentiel de rendre le gouvernement ougandais plus transparent et plus responsable devant les citoyens ; des gouvernements ouverts sont bons parce qu’ils donnent la liberté aux citoyens pour obtenir et gérer l’information publique, ainsi que des espaces ouverts pour l’engagement civique.
PN: Souvent les médias sociaux ougandais sont accusés de regorger de bêtises. Quelle est votre opinion à ce sujet ?
CA: Les bêtises sont essentielles car parfois la timeline est du réchauffé, mais quand des hashtags comme #askaTweepTuesday [Demande un Twittos mardi] et qu’il n’apporte que des messages insignifiants, au début ça paraît nuisible, pourtant cela anime la timeline de sorte que si demain il y a un sujet grave, il y aura une masse critique pour se joindre à la cause.
PN: Que pensez-vous de la récente arrestation de Robert Shaka à cause de ses commentaires sur Facebook ?
CA: Shaka était certainement la mauvaise cible, parce que même quand il était en prison, TVO [un groupe d’utilisateurs de Facebook politiquement engagés que le gouvernement prétend être Robert Shaka] était plus actif que jamais sur sa page Facebook et c’était embarrassant pour la police ougandaise. Je suis triste que le gouvernement ait même pensé à sévir contre des personnes qui exercent leurs libertés fondamentales d’expression.
PN: Quels sont les défis auxquels les médias sociaux font face en Ouganda ?
CA: Je pense que le plus grand défi est que le gouvernement ougandais ne dispose pas d’une politique visant à transformer la technologie de l’information ; il n’y a aucune stratégie pour le numérique dans les secteurs critiques ; aucune pour le commerce, aucune pour le secteur de l’éducation par exemple, ou même de la santé. Ça dépasse mon entendement lorsque je visite parfois le site Web du ministère de l’information et que je le trouve en panne. Je ne comprends pas.
Notre gouvernement décourage l’innovation, car dès qu’il découvre une innovation, la première chose qu’il fait est de créer une taxe comme cela est arrivé avec le service de paiement mobile. Il n’y a pas de soutien ou de financement pour les jeunes innovateurs qui, habituellement, sont des gens qui n’ont pas besoin de beaucoup d’argent pour faire leur travail. Malheureusement, beaucoup de rêves en Ouganda meurent parce qu’il n’y a personne qui s’intéresse au financement de ces esprits novateurs. En un mot, le gouvernement ougandais n’est clairement pas équipé pour faire face à la révolution numérique.
PN: Comment les Ougandais pourront-ils surmonter ces obstacles?
CA: La route est pleine d’embûches, mais on peut y arriver. Tout d’abord, nous devons résoudre la question de l’alphabétisation. Les gens ne doivent pas avoir peur d’écrire dans leurs langues locales, tout comme c’est le cas en Tanzanie. Les radios et les TV ne peuvent pas se permettre d’être les seules options disponibles pour les nouvelles, l’éducation et l’information pour les citoyens ordinaires, surtout compte tenu du fait que presque chaque Ougandais possède un téléphone.
L’accès est un défi ; l’accès aux smartphones, mais aussi l’accès à Internet est très cher. Également quand on en vient au contenu en ligne, les blogueurs ne génèrent pas de contenus spécialisés. Les blogueurs ont besoin de découvrir leur niche. Nous avons besoin de blogueurs qui traitent de l’alimentation, de blogueurs sur la mode, etc. dans les zones rurales le manque d’électricité est un obstacle, par exemple un agriculteur dans un village doit parcourir de longues distances pour se rendre à la ville charger son téléphone. Nous savons que plus une société est connectée, plus elle est informée.
PN: Les blogueurs ougandais ont gardé le silence sur le sort des blogueurs Zone9 [fr]. Pourquoi cela ?
CA: Zone 9 ? Oh les gars en Éthiopie. Il doit y avoir quelqu’un pour se mobiliser. C’est nécessaire que les blogueurs organisent une action participative collective, quelque chose qui a disparu depuis les réunions Blog Spirit il y a quelques années organisées par l’entreprise Node Six [un fournisseur ougandais de solutions Internet]. Storipot procède à une collecte d’informations qui devrait être le point de départ. C’est une idée qui mérite d’être prise en considération.
PN: 2016 est une année électorale en Ouganda, quel rôle pensez-vous que les médias sociaux vont jouer ?
CA: D’après ce que nous avons vu jusqu’à présent, les médias sociaux vont jouer un rôle crucial. Alors que les gens dans les villages ont déjà choisi pour qui ils vont voter, il existe de nouveaux acteurs sur la scène politique et toute personne qui n’en tiendrait pas compte le ferait à ses risques et périls. Ce sont les médias sociaux. Les personnes qui décideront de la prochaine élection sont les jeunes. Donc, si vous voulez conquérir leur vote, il faut aller les chercher sur les médias sociaux. Les candidats aux élections doivent, donc, chercher ce nouvel électorat. Qui saura le mieux utiliser cet élément, pourra attirer les jeunes et contrôler le fil de la conversation. Bien que les médias sociaux ne puissent pas garantir la victoire, celui qui les ignore sera en grande difficulté parce que, sans aucun doute, le rôle des médias sociaux devra être pris en compte.
PN: Quel est l’avenir des médias sociaux en Ouganda ?
CA: C’est très difficile à prévoir, mais dans les cinq prochaines années, tout va changer, le financement participatif, les envois d’argent de l’étranger, et il y aura une aspiration générale à une amélioration des conditions de vie. Je prédis qu’il y aura une masse critique qui milite pour l’innovation. Je souhaite vraiment que les médias sociaux ouvrent le gouvernement à plus de responsabilité.
PN: Avez-vous un dernier mot pour nos lecteurs?
CA: Tout le monde a un rôle à jouer, en tant qu’individus ce que nous pouvons faire est d’inspirer une masse critique par ce que nous publions et partageons chaque jour pour tenir le gouvernement responsable, ceux qui peuvent innover devraient le faire. Nous avons besoin de gens capables d’amener une transformation durable dans notre pays, des gens qui peuvent cerner les problèmes dans notre pays afin que les internautes puissent trouver leur place dans cette conversation.