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Les peines morales et la fin de E.H. Baba Camara, le 30 aout 1971

Une nuit, entre 1 et 2 heures du matin, faisant le guet sous la porte de la salle, il se met à hurler. Il vient d'apercevoir sa pauvre mère, agée de 85 ans

 

Ce billet a été extrait du livre de Kindo Touré Unique Survivant du « Complot Kaman-Fodéba », disponible ici. Il démontre encore une fois la perfidie du régime de Sékou Touré qui contraint un homme qui n’avait rien à se reprocher à s’accuser des pires crimes contre son propre pays. Pour cela il n’hésite pas à élargir la raffle à toute la famille du pauvre accusé. 

Ancien membre actif du B.A.G. —Bloc Africain de Guinée— parti de M. Barry Diawadou, El Hadj Baba Camara s’était rallié au R.D.A. 1, quelques années avant le référendum du 20 septembre 1958.

Dans la Guinée indépendante, il assume des fonctions dans différents ministères, à Conakry, avant de devenir le gouverneur de la Région administrative de Kissidougou.

Quand advient l’agression portugaise, il fait preuve de civisme et de patriotisme, en envoyant très vite un renfort en hommes et en vivres à Conakry. Quelques semaines après, à la radio, il s’entend dénoncer comme un membre actif de la 5e Colonne, du réseau SS nazi et comme « sympathisant du Front ». N’en croyant pas ses oreilles, il descend précipitamment à Conakry, laissant à Kissidougou famille et biens personnels.

Au Camp Boiro, il est pris et englué dans l’imbroglio des « accusations ». Il s’explique, se débat, veut convaincre par l’évidence des faits. Impossible ! Il a, en face de lui, des hommes aux positions tranchées, inaccessibles aux preuves de bonne foi dont ils n’ont cure, car ils sont là avec des consignes à exécuter, le reste relevant du théâtre.

Il est transféré, sans retard, à la Maison centrale de Kindia où il est incarcéré parmi le ramassis des infortunés de « l’après-agression ». En guise d’enquête, il est soumis à de cruelles tortures morales et physiques. Son corps endolori, zébré de coups de nerfs de boeuf, en garde les stigmates tel un vivant témoignage.

En tout état de cause, El Hadj Baba ne perd pas courage, il croit en Dieu Tout-Puissant ; il est l’incarnation vivante de la foi inébranlable en Dieu, le Miséricordieux. Ses ferventes prières ont inspiré nombre de nos camarades qui l’admirent, le vénèrent.

Le temps s’écoule lentement. Il attend avec patience le verdict du Comité révolutionnaire. Une nuit, entre 1 et 2 heures du matin, faisant le guet sous la porte de la salle, il se met à hurler. Il vient d’apercevoir sa pauvre mère, agée de 85 ans; petite, pliée en deux sous le poids de l’âge, trainée sans ménagement par des agents. Elle porte sur la tête son turban de dévote musulmane et elle est suivie de l’épouse Hadja Kadiatou et de deux neveux de El Hadj Baba. Ils ont été arrêtés, qui à Conakry, qui à Coyah, et conduits à Kindia.

El Hadj Baba, en pleurant, crie à sa mère :

— Maman, pardonne-moi ! Je ne t’ai jamais dénoncée. Je ne peux pas le faire. J’aurais préféré la mort plutôt que de te dénoncer, Pardonnez-moi Hadja Kadiatou ! Je ne t’ai jamais dénoncée. Mes enfants, pardonnez-moi ! Oh ! Allah, sauve ma pauvre mère de cet enfer ! Je n’y suis pour rien !

Ses hurlements réveillent la salle en sursaut. Tout le monde se regroupe autour de lui. Les vieux lui prodiguent des conseils, le supplient d’arrêter ses pleurs qui bouleversent la salle et toute la Maison centrale. Compatissants, nous l’entourons jusqu’à l’aube.

Il n’a pas sommeil. Il ne quitte pas le trou du guetteur. Il surveille les mouvements des agents et des nouveaux détenus : sa mère et son épouse sont incarcérées dans la cellule 1 ; les jeunes gens dans une salle. Les membres de la famille sont soumis à la terrible « diète ». El Hadji se demande que faire ?

Il tape à là porte, prie, supplie le chef de poste de transmettre sa demande verbale d’audience à la Commission d’Enquête. Démarche vaine.

Son exaspération est profonde ; il prie et égrène indéfiniment son chapelet. Après une parodie d’enquête qui durera des semaines, ayant comme tout le monde subi les sévices classiques, à des degrés divers, les membres de la famille de El Hadj Baba sont tous libérés. Celui-ci se rassérène et se repose enfin.

Quelques mois après, il est fusillé dans la vague des martyrs du 30 août 1971.

Paix à ton âme. Que Dieu t’accorde son Paradis. Amen !

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