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Que pensez-vous de la réhabilitation de l’ancien régime par l’actuel ?

Cette interview du Dr. Hassatou Baldé publiée a été publiée sur Guinéenews. le 1er mai 2005. Je vous la propose sur konakryexpress pour ceux qui ne l’auraient pas lue. Etant donné sa longueur, elle a été publiée en 3 parties.

Aujourd’hui Guinéenews reçoit Monsieur Alpha-Abdoulaye Diallo, plus connu sous les pseudonymes de “Porto” ou “Portos” qui va nous parler de son livre publié aux éditions l’Harmattan “Dix ans dans les géôles de Sékou Touré ou la Vérité du Ministre“.

“Monsieur Alpha Abdoulaye Diallo, titulaire d’un Doctorat en Droit Privé et d’un autre en Droit public en France, était à peine âgé de 24 ans, lorsqu’il fut sollicité par les autorités guinéennes en 1959, pour consolider l’indépendance acquise après le référendum du 28 septembre 1958. Répondant à cette demande, il rentre en Guinée et sera l’un des proches collaborateurs de Sékou Touré, occupant successivement les postes de Secrétaire d’Etat (Ministre) aux Affaires étrangères, chef de la délégation guinéenne à l’ONU et Secrétaire d’Etat à la Jeunesse, aux Sports et à la Culture populaire. Le 22 novembre 1970, lors de l’agression portugaise, il fait partie de ceux qui vont aller entourer le Président Sékou Touré et organiser la sécurité du Chef de l’Etat et de sa famille. Contre toute attente, il est arrêté une année plus tard pour [accusé d’]avoir participé au “complot de la cinquième colonne”. Il va purger dix ans de prison au Camp Boiro.

Son ouvrage, qui avait déjà fait l’objet d’une 1ère édition chez Calmann-Levy en 1985 sous le titre la Vérité du Ministre ou dix ans dans les geôles de Sékou Touré est un témoignage d’un cadre qui a côtoyé le régime et a connu le célèbre camp Boiro. Avec des mots simples, mais très poignants, qui tiennent le lecteur en haleine, il nous présente la vie au Camp Boiro où malgré les incertitudes du lendemain, ou la quasi certitude de ne jamais en sortir vivants, les détenus ont su créer une atmosphère emprunte d’accents d’humour, de solidarité, de regards, de gestes pour les aider à supporter la vie inhumaine à laquelle ils étaient contraints. Camp Boiro qui a happé avec férocité plusieurs cadres et anonymes Guinéens ou Etrangers ou gardé “une tranche” de vie ceux qui en sont sortis vivants mais avec des séquelles.

L’auteur nous fait également partager certains secrets des coulisses sur les méthodes de la commission du Camp Boiro longtemps dirigée par Ismaël Touré. Au fil des pages, nous rencontrons des personnalités qui ont contribué à la mise en place des institutions guinéennes et dont beaucoup seront exécutées dans des conditions atroces. Monsieur Portos, par son témoignage souhaite que plus jamais la Guinée ne vive cela.

Guinéenews — Une semaine après le décès de Sékou Touré, le Camp Boiro a été ouvert et tous les prisonniers libérés, qu’est-ce que vous avez ressenti ?

Alpha-Abdoulaye Diallo Portos — Une joie immense et beaucoup d’espoirs pour l’avenir démocratique et de liberté de notre pays. Mon voeu le plus ardent, ma prière la plus fervente alors c’est que ce qui s’est passé sous l’ancien régime ne se reproduise plus jamais.

Guinéenews — Certains pensent que pour favoriser l’unité nationale, il faudrait oublier cette période douloureuse et ne retenir que le positif, quel est votre avis ?

Alpha-Abdoulaye Diallo Portos — Non ! Non ! Et non ! Il ne faut surtout rien oublier car si on oublie le passé on se condamne inévitablement à le revivre. Je suis d’accord avec le philosophe qui a déclaré que la meilleure façon de revivre le passé c’est de l’oublier !

Guinéenews — Que pensez-vous de la réhabilitation de l’ancien régime par l’actuel ?

Alpha-Abdoulaye Diallo Portos — Je ne suis pas d’accord sur une quelconque réhabilitation de l’ancien régime. Une telle réhabilitation signifierait que cet ancien régime a eu raison de faire ce qu’il a fait. Dans ce cas alors pourquoi l’avoir changé ?

A mon avis il faut clarifier la situation en s’éloignant cependant de toute haine, de tout esprit de vengeance, car la haine et la vengeance ne construisent pas et nous avons un impérieux devoir de construire —enfin— notre si beau pays, nous Guinéens…

Guinéenews: Existe-t-il un mémorial pour toutes les victimes du camp Boiro ?

Alpha-Abdoulaye Diallo Portos — Il n’en existe pas. Et, personnellement, je le regrette. Il en faudrait un sur lequel on mettrait « Plus jamais ça » ou bien « Ô toi l’ami qui passes, souviens-toi ». Cela contribuerait à la réconciliation nationale !

Guinéenews — Après votre libération vous n’avez pas renoncé à la politique. Vous avez créé un parti politique, le PGP. Dans votre livre vous exposez votre vision institutionnelle de la Guinée. Vous préconisez le bipartisme. Pensez-vous qu’au regard de la situation actuelle où il existe des dizaines des partis politiques, y compris le vôtre, il est encore possible de tous les réduire à deux ?

Lire également:  Alpha-Abdoulaye Diallo présente la vie au Camp Boiro, interview de Hassatou Baldé  pour Guineenews  

Alpha-Abdoulaye Diallo Portos — Je suis un solide et fervent partisan du bipartisme dans notre pays, car le multipartisme intégral — et l’expérience le confirme – engendre inévitablement des partis de caractère ethnique.

De toutes façons, des politiciens de très bas vol, incapables de présenter des programmes politiques cohérents se rabattront toujours sur leur ethnie pour y trouver des « militants » et des électeurs en avançant des arguments de caractère purement ethnique.

Le problème qui se pose pour le bipartisme c’est savoir comment choisir les deux partis qui seront retenus.
A mon avis, il s’agira, au départ, de proclamer le multipartisme intégral, avec la restriction qu’à l’issue des premières échéances électorales-les législatives par exemple — seules seront retenues, légalisées les deux formations politiques qui arriveraient en tˆte.

La méthode a l’avantage d’avoir un caractère démocratique puisque c’est le peuple qui se sera prononcé. D’autre part, elle obligera les différentes formations politiques à se regrouper dès le départ sur la base d’affinités politiques. Enfin, elle évitera ce que certains craignent à savoir que le Pouvoir ne crée son propre parti et ne finance un second parti qui serait à sa dévotion !

Guinéenews — Comment voyez-vous l’avenir de la Guinée ?

Alpha-Abdoulaye Diallo Portos — Je suis optimiste, très optimiste quant à l’avenir de la Guinée. J’en dirai que c’est un pays d’avenir en raison de ses immenses ressources naturelles, de sa position géographique avec ouverture sur la mer, avec frontières communes avec six pays, en raison surtout de la diversité de l’ingéniosité et de l’ouverture d’esprit de sa population dans toute sa composition.
Je suis sûr que la Guinée jouera un rôle de premier plan dans la construction de la sous région ouest-africaine, d’un ensemble étatique cohérent solide, solidaire et viable que personnellement j’appelle de tous mes vœux et qui sera une étape à la construction de l’unité continentale africaine.

Lire également: Camp Boiro: Crimes révolutionnaires et sadisme de Sékou Touré 

Guinéenews — Merci Monsieur Diallo. Pour terminer cette interview, nous livrons à nos lecteurs cette citation de notre invité extrait de son livre :

« Les précautions constitutionnelles, si importantes soient-elles, ne doivent jamais faire oublier au peuple de Guinée qu’il est et demeure le seul garant de sa liberté, de la réalité de la démocratie guinéenne, du respect de ses droits fondamentaux, du renforcement de son unité nationale. Dans ce domaine, il ne peut compter ni sur les Etats, africains ou non, capitalistes ou socialistes, toujours trop fortement retranchés derrière la raison d’Etat souvent simple déraison d’Hommes d’Etat et la non immixtion dans les affaires intérieures, ces monstres juridiques qui leur permettent de violer délibérément la morale, la loi naturelle, et la loi positive tout en affirmant très haut qu’ils ne font que la respecter… »

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Hassatou Baldé est Docteur en droit international de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Elle a été chercheuse à l’Observatoire pour la paix et la sécurité en Afrique (OPSA). Elle a publié plusieurs articles dans différents medias online sur la Guinée 

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konakryexpress

Je revendique le titre de premier clandestin à entrer en Italie, le jour où la mort de Che Guevara a été annoncée. Mais comme ce serait long de tout décrire, je vous invite à lire cette interview accordée à un blogger et militant pour les droits humains qui retrace mon parcours dans la vie: https://fr.globalvoices.org/2013/05/20/146487/

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