Camp BoiroDroits de l'HommeSékou Touré

Petit Touré partisan d’une politique économique libérale finira par être exécuté

 

Ce billet est extrait du livre de Mahmoud Bah Construire la Guinée après Sékou Touré. Pour avoir créé un parti politique conformément à la constitution, Mamadou Touré, dit « Petit Touré » qui a fait sa fortune en Cote-d’Ivoire avant de retourner dans son pays natal. Ce simple fait permettra au tyran Sékou Touré de dénoncer le complot des commerçants et pour jeter les bases à un autre futur complot que seul l’esprit malade du dictateur pouvait concevoir, celui connu sous le nom de « Complot Kaman-Fodéba ».  Ces complots lui permettront de tuer d’innocents Guinéens et de se défaire de personnages devenus encombrants.

La Loi-Cadre du 8 novembre, bien que très faiblement appliquée, va créer un clivage dans le monde guinéen des affaires. Nombre de commerçants privés préfèrent s’entendre avec les dirigeants du PDG et les hauts fonctionnaires pour faire marcher leurs affaires. Mais quelques grands commerçants estiment qu’au train où vont les échanges commerciaux en Guinée, la vie dans le pays va bientôt devenir très difficile.

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Le chef de file de ces grands commerçants est Mamadou Touré, dit « Petit Touré ». Il n’est pas membre de la famille du Président, bien que portant le même nom. Il a commencé ses affaires en Côte d’Ivoire et ambitionne d’investir en Guinée, son pays natal. Petit Touré et ses amis analysent l’évolution de la Guinée depuis septembre 1958.

Ils lisent et relisent la Constitution. Le droit d’association y est mentionné en toutes lettres. Le Groupe de Petit Touré est partisan d’une politique économique libérale. Il dénonce le caractère rétrograde et totalitaire de la politique de Sékou Touré.

Petit Touré et ses amis créent un Parti politique, comme les y autorise la Constitution (en principe). Ils affirment que Sékou Touré est juste capable de « hurler comme un chien enragé » et qu’il n’est pas homme à construire le pays. Le Parti créé s’appelle « Parti de l’Unité Nationale Guinéenne (PUNG)».

Dès l’annonce de la création du PUNG, Sékou Touré va orchestrer le même scénario qu’en novembre 1961 contre les enseignants. Il fait fabriquer toute une série de documents établissant des correspondances, des contacts, des opérations financières effectuées par les hommes qu’il veut arrêter. Pour donner une dimension internationale à l’affaire et frapper politiquement le pays qu’il juge dangereux pour son régime, il accuse nommément le ministre français de la Coopération et Foccart, le Conseiller de l’Elysée aux Affaires Africaines. Il s’ensuit une rupture des relations diplomatiques avec le France (septembre 1965).

Sékou Touré fait arrêter tous les membres avoués et supposés du PUNG. De même que deux hauts responsables du Parti et de l’Etat: Jean Faragué Tounkara et Bangaly Camara, ouvriers de la première heure du Parti et membres du Gouvernement.

Après quelques jours d’interrogatoire, et de tortures, Petit Touré est mis à la diète noire au Camp de Camayenne (Camp Boiro). Enfermé dans sa cellule, il restera privé d’eau et de nourriture jusqu’à ce que mort s’ensuive. Le fondateur du Parti de l’Unité Nationale Guinéenne est donc le premier à subir cette terrible méthode d’assassinat politique: la diète noire.

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Bangaly Camara sera également liquidé, mais Jean Faragué sera libéré quelques années plus tard, incarcéré de nouveau avec sa femme puis libéré une deuxième fois.

Dans un discours de feu, Sékou Touré annonce que les comploteurs sont partout, qu’ils ont pris d’assaut les instances du Parti et du Gouvernement.

– Nous les étoufferons dans l’œuf ! clame-t-il.
C’est sa formule passe-partout.

Une nouvelle chasse à l’homme est déclenchée dans les villes et les villages. Une Commission d’Enquête, composée de tous les sbires du Président est mise sur pied. Des centaines d’arrestations sont opérées dans tous les milieux.
Quand Sékou Touré en veut à une personne, il en veut aux parents, aux amis, aux relations de cette personne. Un « coupable » entraîne dix « suspects », lesquels entraînent cent perquisitions et inscriptions sur la liste noire.
Pour mieux opposer des parents d’une même famille, ou des amis très intimes, le Président nommera souvent l’un à un haut poste de l’Administration tout en incarcérant l’autre, le premier étant en fait en sursis.

La répression à travers tout le pays est à la mesure du profond malaise qui règne dans tous les secteurs. Personne n’ose lever le petit doigt de peur d’être taxé de « contre-révolutionnaire » et jeté en prison.

Dans l’équipe gouvernementale, un ministre ne cache pas à Sékou Touré que de telles méthodes conduisent le pays à la ruine. C’est Fodéba Keita, poète, musicien, directeur, co-créateur des célèbres Ballets Africains, il a tout abandonné en 1957 pour se mettre à la disposition de la Guinée. Fodéba Keita a-t-il noté que le Président n’admet pas la critique? Huit ans de collaboration avec Sékou Touré lui ont-ils donné suffisamment d’assurance pour prendre enfin ses responsabilités ? Le ministre de la Défense et de la Sécurité s’est montré un grand organisateur et beaucoup de fonctionnaires louent ses compétences.

Cette petite popularité n’est pas pour plaire au Président qui classe Fodéba parmi ceux qui ont des ambitions politiques. Par ailleurs, Fodéba a été très critiqué par les élèves et étudiants guinéens après la violente répression contre l’école guinéenne. Après les récentes arrestations et liquidations, le ministre estime-t-il que la coupe est pleine, que l’irrémédiable est atteint ? Dans l’intimité, il ne cache pas son pessimisme, disant au Docteur Sy Savané:
– Partez d’ici ! La Guinée est foutue !

Ainsi, le « malaise guinéen » a-t-il envahi Fodéba et il ne le cache pas à Sékou Touré. Le Président, homme essentiellement politique, ne tarde pas à agir. Fodéba est démis bientôt de ses fonctions de ministre de la Défense. Pour l’avoir toujours à portée de main, Sékou Touré le nomme ministre du Développement Rural. C’est un sursis qu’il lui accorde.

Pour éliminer toute influence de Fodéba sur l’Armée et la Sécurité, le Président annonce un complot des militaires et s’empresse de remanier de fond en comble la Défense. Le ministère est disloqué. A sa place, il crée trois Corps dépendant directement de lui: la Police, la Gendarmerie, l’Armée. Tous ceux qui ne jurent pas fidélité et obéissance au Président, sont indexés, listés ou écartés.

Ainsi, en cette année 1965, le Maître de la Guinée a réalisé deux complots en un: contre les commerçants et contre les militaires [8]. Incontestablement, il est un stratège de la répression et du terrorisme politique.

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konakryexpress

Je revendique le titre de premier clandestin à entrer en Italie, le jour où la mort de Che Guevara a été annoncée. Mais comme ce serait long de tout décrire, je vous invite à lire cette interview accordée à un blogger et militant pour les droits humains qui retrace mon parcours dans la vie: https://fr.globalvoices.org/2013/05/20/146487/

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