Voici la dernière interview que j’ai faite, à Mme Fatoumata Harber, une de ces valeureuses femmes qui ont choisi volontairement de continuer à vivre chez elle à Tombouctou, malgré les nombreux risques que court une personne, surtout lorsqu’il s’agit d’une femme, qui n’est pas capable de s’enfermer dans un silence coupable par convenance personnelle.
Comme d’habitude l’interview a été révisé par mon ami Lova Rakotomalala, responsable des contenus originaux concernant les pays francophones publiés sur Global Voices.
Les attentats qui ont frappé récemment les pays occidentaux occupent les premières pages des médias traditionnels. D’autres attentats ont aussi frappé les pays moins riches mais bénéficient d’une couverture médiatique moindre, comme si une vie perdue au Sahel ou en Irak semble provoquer moins d’empathie qu’ailleurs. Pourtant, la peur et le deuil sont ressentis de la même manière dans les pays sous la menace des extrémistes. C’est le cas des populations qui vivent au centre et au nord du Mali.
La professeure Fatoumata Harber fait partie de la communauté de Global Voices depuis 2014. Elle vit au nord du Mali à Tombouctou, une ville qui a connu l’occupation djihadiste pendant de long mois. Global Voices l’a interviewée pour mieux connaitre les conditions dans lesquelles elles et ses compatriotes vivent les défis à relever pour survivre sous la menace permanente du conflit. L’énergie positive débordante de Fatoumata Harber est communicative et elle nous raconte son Mali:
Global Voices (GV): Fatoumata Harber, parlez-nous un peu de vous:
Fatoumata Harber (FH): Je m’appelle Fatoumata Harber, je suis psychologue de formation, j’enseigne la psychopédagogie dans un institut de formation des maîtres bilingue à Tombouctou, au nord du Mali. Je suis également activiste, je suis blogueuse et je suis basée à Tombouctou. Mon nom de plume est Faty.
GV: En quoi consiste le quotidien d’une femme militante à Tombouctou
FH: Le quotidien d’une militante dans une zone en proie à l’insécurité n’est pas de tout repos. C’est d’ailleurs cette situation qui m’a motivée à militer pour les droits de l’homme.
Le travail que je fais consiste justement à rendre publique et à dénoncer les exactions de ces groupes armés contre la population de la zone. Le nord du Mali n’a pas de route digne de ce nom qui le relie au reste du Mali. Nous sommes comme en vase clos avec ces brigands des groupes armés qui se font passer pour des indépendantistes et des défenseurs de la population. Quand ils ont besoin de quelque chose, ils se contentent de piller les villages reculés. L’information ne passe même pas dans la presse nationale, à force parler de la presse internationale.
Nous autres utilisateurs des réseaux sociaux pouvons faire connaitre ces actes criminels très rapidement, même si les interventions de sauvetage sont rares pour ne pas dire inexistantes.
À cause de mes activités ou pour avoir eu des joutes verbales avec leurs représentants sur les réseaux sociaux, je sais que certains groupes armés me suivent, mais je ne me sens pas plus en danger qu’un autre habitant de Tombouctou. Je suis convaincue que mon travail est important. Il faut faire savoir la réalité: la majorité de la population du nord du Mali n’est pas liée à ces groupes armés, elle n’est pas indépendantiste, mais ce n’est pas une raison pour ne pas dénoncer les limites de l’état dans le cadre de la réalisation des infrastructures de base dans le septentrion malien. Parfois les menaces viennent du côté des autorités.
Fatoumata Harber – Photo du profil twitter.
GV: Parlez-nous de la participation des femmes au développement de la région
FH: Pour la participation des femmes au développement de ma région, j’ai créé le Centre Flag des Femmes, une structure financée par la Compagnie américaine Flag International LLT avec notamment un programme de formation en leadership pour les femmes des groupements féminins que nous avons regroupés en un grand réseau de plus de 200 associations.
Nous apportons également notre aide à ces associations en aidant les femmes qui ont des activités génératrices de revenus de les reprendre en leur fournissant le fonds nécessaire. C’est ainsi que 10 femmes boulangères ont pu bénéficier de fours neufs et de matériel pour reprendre la fabrication du pain qui est traditionnelle à Tombouctou. Nous disposons également d’une salle informatique connectée à Internet – c’est un exploit- pour former les femmes et les jeunes à l’informatique gratuitement. De notre ouverture en janvier 2015 à aujourd’hui, nous avons formé une centaine de femmes et 15 jeunes. Mais malheureusement, nous venons de perdre notre partenaire à cause de l’insécurité récurrente.
GV: Vous étiez impliquée dans les programmes PAT-Mali et #Mali100Mega, où en est-on?
FH: PAT-Mali est un programme de L’USAID qui a été d’une aide inqualifiable – selon moi- pour la région de Tombouctou à travers les différents projets qu’ils ont réalisé dans la ville. Le projet est malheureusement fermé début 2016.
L’initiative #Mali100Mega est née d’un constat. Le domaine de l’internet fait l’objet d’une hégémonie de la part des 2 compagnies de téléphonie qui sont presents au Mali. Des activistes travaillant dans le secteur des TIC se sont réunis pour former ce collectif pour réclamer un changement du tarif et une hausse du débit minable qui est pratiqué au Mali. Nous avons ainsi déposé des dossiers au niveau de l’AMRTP – agence malienne de régulation des télécommunications et des postes-, à l’assemblée nationale, au Ministère de tutelle avec une étude comparative des prix pratiqués par ces compagnies. Cela a été aussi suivi d’une campagne médiatique notamment sur Twitter et Facebook, mais aussi à la télévision et dans certaines radios nationales et internationales. Nous continuerons à être mobilisés sur les réseaux sociaux tant que cela ne changera pas. Les TIC ne sont pas un luxe, nous maliens y avons droit, aussi bien pour notre bien que pour notre développement.
GV: Dans une région où les habitants rencontrent tant de difficultés, comment faites vous pour être si présente sur les réseaux sociaux?
FH: Comment je réussis à être présente alors que l’accès aux services tels que l’électricité et l’internet posent toujours problème ? Je contourne tout simplement les difficultés en utilisant les moyens que m’offrent les progrès technologiques : j’ai toujours 2 smartphones performant pour échapper à la menace de la panne subite, par manque d’électricité ou manque de couverture du réseau. J’utilise plus la connexion mobile, qui même si elle est mauvaise, je peux au moins envoyer des mails à d’autres membres de la communauté des blogueurs du Mali qui publient les articles de mon blog à ma place.
Je recharge mes appareils – téléphone, ordinateurs, batteries- avec une plaque solaire spécifique. J’en profite pour dire un grand merci au Réseau des Citoyens Actifs Mali RECAM, qui me soutient financièrement pour que je ne sois jamais à cours de forfait Internet malgré le coût d’abonnement élevé au Mali. Un forfait 2G mobile coûte 13500 FCFA et le service 2G s’épuise rapidement quand on est connecté en permanence.
GV: Votre dernier mot en particulier à l’endroit des jeunes?
FH: Mon mot pour la jeunesse africaine ? L’Afrique a besoin d’une jeunesse engagée pour gagner le défi du développement !