Droits de l'HommeFemmes et sociétésPolitiqueSékou Touré

Conakry, lundi 29 août 1977. Que se passe-t-il en Guinée ? Qu’est devenu le président Ahmed Sékou Touré?

L’homme qui a toujours aimé séduire les femmes, non seulement, bien sûr, ses maîtresses mais aussi les Guinéennes dans leur ensemble, va se trouver au bord de la chute de leur fait.

 

Les femmes de Guinée sont spéciales. Chaque fois que le pays se trouve dans une situation difficile, ce sont elles qui se sont levées pour y faire face. Elle l’ont fait, hier contre les colons, pendant l’épidémie du virus d’Ebola. Mais c’est sous la dictature du tyran Sékou Touré qu’elles ont monté jusqu’où elles pouvaient aller. En effet il y a 45 ans, le 27 aout 1977, lorsque la politique démagogique du tyran avait détruit les bases de l’économie guinéenne, ce sont elles qui se sont levées pour le faire trembler.

Le peuple souffrait d’une faim chronique, les denrées et divers condiments étaient rationnés. Dans les hôpitaux, où on était soigné par d’anciens infirmiers promus docteurs en médecine par décret présidentiel, les malades devaient apporter de chez eux même une bassine d’eau et la nourriture. Les prescriptions médicales devaient comporter le choix entre plusieurs médicaments car les pharmacies étient mal approvisionnées. Les médecins devaient faire ainsi car si le malade ne trouvait pas le médicament, ils étaient accusés de créer eux la pénurie et ils pouvaient être taxés de saboteurs de la révolution. Et surtout la production de riz, denrée alimentaire de base des Guinéens avait dégringolé de 282 700 tonnes en 1957—veille de l’indépendance—à moins de 30 000 tonnes. 

Fatiguées des tracasseries de toute nature que la population subissait, les femmes sont sorties pour crier leur ras-le-bol à Nzérékoré Macenta, Gueckédou, Kissidougou, Beyla Conakry, Kankan, etc . Le responsable suprême de la révolution et de nos malheurs, Sékou Touré est obligé de se cacher.

Ce texte est tiré du livre du Prof. Ibrahima Baba Kaké, Sékou Touré: le héros et le tyran, chapitre 8. Le séducteur aux abois.

Au jeu de dames —si l’on peut dire—de la vie courante, Sékou, régulièrement vainqueur jusque-là, va devoir apprendre à être sérieusement malmené vers la fin des années soixante-dix. L’homme qui a toujours aimé séduire les femmes, non seulement, bien sûr, ses maîtresses mais aussi les Guinéennes dans leur ensemble, va se trouver au bord de la chute de leur fait. Celles qui ont permis son ascension en se rangeant toujours majoritairement derrière lui puis furent les plus inébranlables supporters du régime, y compris quand en retour elles ne connaissaient que la vie difficile de citoyennes d’un pays économiquement ruiné, celles-là même vont prendre la tête d’un grand mouvement de protestation traduisant en cette année 1977 la révolte qui gronde dans toutes les couches sociales.

Conakry, lundi 29 août 1977. Que se passe-t-il en Guinée ? Qu’est devenu le président Ahmed Sékou Touré?  Priés par les autorités guinéennes de ne pas quitter leurs résidences, les diplomates occidentaux en poste dans la capitale ont le plus grand mal à informer correctement les administrations de leurs pays. Accrochés à leurs téléphones, ils essaient par tous les moyens officiels et privés, de savoir comment évolue une situation qu’ils estiment explosive depuis quarante-huit heures, sans résultat satisfaisant tant les rumeurs sont contradictoires.

On dit le responsable suprême de la révolution guinéenne terré depuis la veille dans un bunker secret, naguère construit par les Chinois sous le Palais du peuple, siège de l’Assemblée nationale, réplique en miniature du Palais du peuple de Pékin. D’aucuns assurent qu’en fait il s’est réfugié sur l’un des bâtiments de la base navale soviétique, ou à l’ambassade cubaine, ou à Foulaya, à l’intérieur du pays, près de Kindia.

Une seule chose est sûre, le président n’est pas à la présidence, où tous ses rendez-vous ont été annulés, ni à Bellevue, sa villa résidentielle. Ce qui est véritablement étonnant, c’est de ne plus l’entendre sur les ondes de la Voix de la révolution. Ce qui est préoccupant, c’est la vacance d’un pouvoir réputé fort —O combien !— sans que l’on sente la montée organisée d’une force déterminée à combler le vide. Dans la moiteur de l’hivernage, les habitants de Conakry ont le sentiment qu’un monde est en train de basculer. Ils ne perçoivent pas quel nouvel ordre social pourrait le remplacer.

Toutes proportions gardées, et ici en plus violent, en plus désespéré, en plus cruel, la Guinée vit un mai 68. Cette comparaison trouve vite ses limites, mais on note dans les deux cas un rnême air du temps . En France, l’explosion de mai avait été provoquée par un ras-le-bol de la jeunesse, une jeunesse qui refusait d’être programmée dans la société de consommation. En Guinée, on observe aussi un ras-le-bol des citoyens -et en particulier des citoyennes, nous allons le voir-mais il est au contraire provoqué par la misère, l’injustice, l’arbitraire, la corruption.

Plus que tout autre indice, la situation alimentaire du pays est éloquente. Au bout de vingt ans de révolution, la production de riz est tombée de 282 700 tonnes en 1957—veille de l’indépendance—à moins de 30 000 tonnes. Or le riz, on le sait, est la denrée alimentaire de base des Guinéens. Les cartes mensuelles de rationnement, appelées pudiquement cartes de dotation, limitent à 4 kilos de riz, un quart de litre d’huile, une boîte de lait, la ration des fonctionnaires, pourtant les chouchous du régime. Les autres habitants doivent se contenter de la moitié de cette dotation —et encore dans la limite des stocks disponibles.

Certaines denrées et divers condiments sont rationnés ainsi, en se basant sur une famille de huit personnes: celle-ci a le droit d’acheter chaque jour 2 kilos de poisson ou de viande, 350 grammes de pain, une boîte de purée de tomate… quand on en trouve. Malgré le marché noir, la viande, la purée de tomate, la pomme de terre, l’oignon peuvent en effet disparaître des étalages pendant des mois. La pénurie est telle qu’un malade doit se munir de tout le nécessaire avant d’entrer à l’hôpital, y compris d’une bassine d’eau. La nourriture, les médicaments sont entièrement à sa charge. Les actes et les soins, même les opérations, sont dispensés par d’anciens infirmiers récemment nommés docteurs en médecine par décret présidentiel.

Les femmes en colère de Nzérékoré obligent le gouverneur à prendre la fuite dans la forêt.

La situation s’est donc encore détériorée depuis 1975 et on imagine la détresse de la population. Mais on n’imagine pourtant pas que le parti-Etat, son armée, sa police, ses miliciens, ses espions, pourraient se révèler impuissants à mâter un sursaut populaire. Et c’est pourtant ce qui va se produire pendant trois longs mois.

Tout commence au mois de juin 1977, à Nzérékoré, capitale de la Guinée forestière, une région de l’extrême sud du pays qui regroupe environ sept cent cinquante mille habitants. Les agents de la police économique sont arrivés un matin au marché avec l’intention de faire respecter la décision d’interdiction du commerce privé. Mal leur en prend: la première marchande menacée de la saisie de son maigre étalage s’insurge contre l’autorité de ces sans-parents. Elle appelle ses compagnes à la rescousse, réclamant la liberté et le bien-être plutôt que l’esclavage et la misère. Elle est entendue et réussit à mobiliser une petite foule pour la soutenir. Les miliciens, surpris par la violence de la réaction de ces femmes, doivent se replier, laissant sur le terrain deux morts et plusieurs blessés gravement atteints.

Enhardies par leur victoire, les commerçantes décidèrent alors de marcher sur les résidences du gouverneur et du ministre du Développement rural de la région. Appuyées par la population de Nzérékoré et des localités proches, les femmes obligent le gouverneur à prendre la fuite dans la forêt voisine et le ministre à se réfugier dans l’enceinte du camp militaire de la ville. On dira plus tard que ces femmes avaient été manipulées par des militants clandestins de l’Organisation unifiée pour la libération de la Guinée (ONLG), un mouvement issu d’une scission du principal groupe d’opposition externe au pays, le Rassemblement des Guinéens de l’extérieur (RGE).

Très actifs en effet dans cette région, des partisans de l’OULG venaient de diffuser un tract incendiaire contre le régime et son leader, qualifié de bandit de Conakry , de marionnette de Bellevue et de drogué . Mais ce tract n’était pas le premier distribué en Guinée par l’opposition et il est très peu probable qu’il ait servi de détonateur, même s’il exprimait les sentiments d’une partie croissante de la population à l’égard du régime, de son appareil et de sa bureaucratie.

On se rend immédiatement compte de l’ampleur du mécontentement quand le général Lansana Diané, membre du bureau politique, en mission d’inspection dans la région se dirige vers Nzérékoré. Il croit pouvoir calmer les esprits par sa seule présence. Accueilli par des injures et des huées, il doit renoncer à entrer dans la vil!e et retourne en toute hâte à Conakry pour informer les dirigeants. Sékou Touré, décidé à rétablir l’ordre à tout prix, et qui ne songe nullement, bien entendu, à modifier sa politique économique, dépêche bientôt plusieurs unités de l’armée pour mâter la rébellion; mais l’armée refuse de faire usage de ses armes contre les femmes. Treize des militaires qui avaient refusé de tirer seront fusillés, dès leur retour à Conakry, pour incitation de leurs camarades à la révolte.

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