Le livre « Mémoire collective, une histoire plurielle », présenté par RFI (radio France internationale) et la FIDH (fédération internationale des droits de l’Homme) ce mardi 25 septembre 2018 à Conakry, a été diversement accueilli par les guinéens selon leurs bords politiques et ce sur fond de rivalités interethniques.
Il est indéniable que la question mémorielle constitue un des points de frictions en Guinée. L’ objectivité est rarement de mise, le manichéisme a toujours été la doxa en la matière. Et pourtant, ce livre donne la parole aux bourreaux et aux victimes, ceux qui étaient dans le système et ceux qui étaient opposés. Pour répondre aux exigences d’équilibre, les auteurs ont associé à la rédaction, des guinéens et non-guinéens. Comme ils le disent eux-mêmes: ils ne cherchent ni à juger ni à encenser, mais simplement à comprendre ce qui s’est passé.
En Guinée, la question mémorielle est telle une plaie non encore cicatrisée. En dépit du fait que le livre « Mémoire collective » retrace les violences politiques en Guinée depuis 1954: c’est à dire, avant même l’indépendance de notre pays, la paranoïa convulsive a fini par s’emparer des inconditionnels de Ahmed Sékou Touré et du PDG-RDA. Un ensemble composite regroupant d’anciens dignitaires de la 1ère république encore en vie, des nostalgiques du PDG-RDA, des enfants et/ou petits enfants d’anciens dignitaires de ce régime, des jeunes prétendument révolutionnaires et aussi paradoxal que cela puisse paraitre: des personnes qui, pour des raisons d’appartenance ethnique, se sentent obliger de soutenir AST au nom de la solidarité communautaire.
Sans même le lire, ce livre a provoqué des réactions épidermiques chez de nombreux ouailles du premier président guinéen. Pour eux, il s’agit d’un énième complot ourdi par des impérialistes français dans le but de salir la mémoire d’AST. Cette vision parcellaire, n’est pas de nature à favoriser la réconciliation nationale. Dans la mesure où, les familles des victimes et les victimes encore en vie, souffrent encore dans leurs chairs des supplices subis directement ou indirectement durant cette période. Ce livre ne se focalise pas que sur la présidence de AST, la période coloniale n’est pas épargnée, les violences politiques des régimes de Lansana Conté et celles de la transition militaire de 2008 y sont également traitées.
Il est à noter que dans cette compétition mémorielle, les gens du RPG (parti au pouvoir) sont aussi en grande majorité pro-AST. Les anti-AST sont en grande majorité partisans de l’UFDG (opposition). En réalité, il s’agit de contractions sur fond de rivalité politico-ethnique: entre Malinkés et Peulhs. Aucun des deux groupes ne veut perdre la face.
Chacun y va de sa version: pour les pro-AST, essentiellement Malinkés, il n’y avait aucune victime politique sous ce régime, tous ceux qui furent executés ainsi que ceux qui furent incarcérés et torturés n’étaient que des comploteurs, des traîtres et des renégats. Pour les antis AST, souvent peulhs : il s’agit d’un régime criminel qui, sous prétexte de complots: éliminait systématiquement des membres de l’intelligentsia ainsi que des opposants politiques. Ils se focalisent généralement sur les 50 milles victimes du régime. Pour eux, les violations graves et répétées des droits de l’Homme, ont fini par conduire des centaines de milliers de guinéens en exil principalement dans les pays voisins notamment: la Côte-d’Ivoire et le Sénégal.
Dans ce capharnaüm politique teinté de querelle historique, il est aussi à souligner que l’actuel président de la république: Alpha Condé, qui est pourtant d’ethnie Malinké, faisait partie des farouches opposants à Ahmed Sékou Touré. Exilé, il fut même condamné à mort par contumance par le régime d’AST. Paradoxalement, les pros AST l’ont absous: son nom ne figure plus dans la liste des traîtres et autres suppots de l’impérialisme. En face, dans la sphère PDG-RDA, le bras droit de AST avait pour nom: Saïfoulaye Diallo, un peulh originaire du Fouta. Pourtant AST était considéré comme anti-peulh. Pire encore, les détracteurs de ce régime essentiellement peulhs, ne citent jamais Saïfoulaye Diallo dans la liste des bourreaux.
À force de me creuser la tête, je découvre chaque jour que la Guinée est un pays empli de paradoxe.