Sékou Touré applique à la lettre les méthodes du totalitarisme

Dans ce billet extrait du livre de Maurice Jeanjean publié en 2005, intitulé  Sékou Touré: un totalitarisme africain, l’auteur explique comment partant du principe que pour Sékou Touré les aveux « des personnes arrêtées constituent la seule base de leur culpabilité ». Les jugements ne consistent pas en une  recherche de la vérité, mais à dire ce que le pouvoir veut que l’accusé dise. Peu importe l’absurdité des crimes que le pouvoir veut faire porter à la pauvre victime, l’essentiel est d’arriver à la faire avouer la vérité du pouvoir, c’est-à-dire Sékou Touré.

 

Sékou Touré applique à la lettre les méthodes du totalitarisme pour arriver au même but. Hannah Arendt écrit :

« Le triomphe des SS exige que la victime torturée se laisse conduire à la corde sans protester, renonce, s’abandonne dans le sens où elle cesse de s’affirmer. Et ce n’est pas pour rien … Les SS savent que le système qui réussit à détruire la victime avant qu’elle monte sur l’échafaud est le meilleur, incomparablement, pour maintenir tout un peuple en esclavage. »

Les aveux des personnes arrêtées constituent la seule base de leur culpabilité. Là encore une mécanique infernale va être mise en place. Il est demandé, ou plutôt enjoint, à chaque citoyen de dénoncer les acteurs du Complot et leurs complices. Par circulaire no. 37 du 23 septembre 1971 le Responsable Suprême de la Révolution:

« invite chaque domaine ministériel, chaque Secrétariat d’Etat à tenir des assemblées dans les divers services et entreprises afin d’étudier les criminels méfaits des agents de la 5ème colonne impérialiste ».

Des milliers de guinéens vont profiter de ce blanc-seing pour dénoncer leurs concitoyens afin d’écarter un concurrent en affaires ou en amour, régler de vieilles querelles, se venger pour un passe-droit refusé, ou tout simplement pour se mettre à l’abri de la répression en prenant les devants. Des milliers de Guinéens furent arrêtés, torturés et contraints à avouer. Ces aveux diffusés à la Radio laissaient peser sur tous une lourde menace.

Ils sont ensuite publiés dans Horoya entre le 29 juillet et le 17 novembre 1971, illustrés de la photo du condamné qui apparaît amaigri, l’air hébété, les yeux vagues, dépouillé de sa dignité d’homme 47. Ces aveux tissent une histoire irréelle à partir de faits réels auxquels on attribue un sens détourné Mais parfois les membres du Comité révolutionnaire préposés à cette tâche en font trop.

Ainsi les aveux d’Emile Cissé remplissent 7 pages du numéro d’Horoya du 10 octobre 1971. Selon ses aveux, ses premiers contacts avec l’opposition datent de 1956 au moment de ses rencontres avec les gouverneurs Torré et Ramadier. On peut s’étonner que le régime de Sékou Touré ait nourri en son sein pendant 15 ans un personnage qui a non seulement été proche du pouvoir mais a pu mener une activité militante en pointe et une vie personnelle de satrape tolérée par le Parti.

En 1970 et 1971 il se révéla le pire des tortionnaires, régnant en maître sur le Camp de Kindia, ville dont il était gouverneur. Si sa culpabilité est effective, cela suppose de la part du Parti un manque de vigilance hautement condamnable mettant en cause les plus hautes instances. Mais un régime totalitaire n’a que faire d’une telle logique.

En outre la plupart des cadres interrogés avouent avoir reçu des sommes importantes après avoir adhéré à la CIA, au réseau Foccart, au réseau SS nazi, à l’Intelligence Service, comme si l’adhésion à tous ces services secrets était compatible.

Ces témoignages partent des éléments réels et connus de la vie de chacun des condamnés, qui sont infléchis de telle manière qu’ils constituent des activités inavouables et condamnables.

Il en ressort un magma d’incohérences et d’absurdités que quelques exemples viendront illustrer. Prenons le cas d’Edouard Karam, simple boulanger à Labé, qui avoue sa participation à plusieurs complots : Kaman Diaby, Tidiane, les Portugais, qu’il associe l’un à l’autre précisant que sont impliqués l’Allemagne, le Portugal, la France, l’Amérique, l’Angleterre, le Sénégal et la Côte-d’Ivoire. Peut-on imaginer q’une personne de ce rang se trouve au cœur d’un tel complot ?

Il y a aussi le cas de Robert Ploquin, citoyen français exerçant la profession de serrurier. Il aurait été chargé de réactiver les investissements miniers dans le minerai de fer, la bauxite et dans l’énergie électrique. A l’appui des connections existant entre le grand capital et le réseau français, son interlocuteur lui parle des intérêts personnels que Monsieur Pompidou, alors président de la République française, aurait en Guinée.

De même Almamy Fofana, mécanicien et caporal, est en mesure de donner la liste des membres de l’organisation avec le rôle détaillé de chacun, alors que Makassouba, en le recrutant, lui avait dit que personne dans le groupe ne devait connaître la mission dévolue à un autre.

Les aveux de Keita Kara et de Badara Aly décrivent avec force détails le débarquement d’armes et leur transport dans un convoi à travers Conakry jusqu’à différents points de la capitale. Quand on connaît le quadrillage de la ville par la police et la milice, on ne peut qu’être étonné par ce déploiement.

L’une des dépositions les plus détaillées est celle de Karim Bangoura, qui fut ambassadeur de Guinée aux Etats-Unis à compter du 1er janvier 1963, puis Secrétaire d’Etat aux Mines à partir du 16 mai 1969. Il s’agit là de postes-clefs. Grâce à son action diplomatique, la Guinée continua à recevoir tout le temps de son ambassade l’aide américaine, notamment alimentaire. De même son intervention dans l’investissement dans la mine de bauxite de Boké des sociétés américaine et canadienne fut déterminante.

Mais voilà justement ce qui lui est reproché, de même qu’avoir voulu développer les relations économiques et culturelles avec les Etats-Unis, ce qui est bien entendu le rôle de tout ambassadeur. C’est aussi l’occasion de reprendre les différentes phases du complot impérialiste contre la Guinée en établissant des liens de causalité entre les 5 complots dénoncés depuis l’indépendance.

Particulièrement éclairants sont les interviews réalisés sur France-Culture par Anne Blancard dans une émission de décembre 1984 intitulée « L’aveu sous les tropiques ». Fodé Cissé, ancien Directeur général de la Radio Nationale et à ce titre serviteur fervent du régime témoigne :

« Que s’est-il passé ?… On trafiquait à tous les niveaux … On ne trouvait rien. Tout passait les frontières … Cette situation créait des mécontents … On déclenchait des complots. On avait peur des hauts-fonctionnaires, des syndicalistes, des ministres, et pour rendre le tout crédible on arrêtait des petits ou des grands commerçants, des fonctionnaires, des paysans. Cela faisait plus vrai. »

Quant à Fatou Condé, figure de proue du féminisme en Guinée, membre du Comité national des femmes du PDG, elle déclare :

« Franchement, je ne m’attendais pas à une arrestation avec ce régime, j’avais sacrifié mes journées et ma vie entière aux activités féminines … J’ai subi plusieurs interrogatoires … On voulait me faire avouer ce que je ne savais pas … Je n’ai jamais appartenu à un réseau quelconque … Mais ils m’ont tellement torturée, tellement acculée. Ils m’ont donné un papier que j’ai signé sans l’avoir lu parce que j’étais fatiguée. »

Le 3ème témoignage est de Jean-Paul Alata, ami et ancien proche collaborateur du président guinéen. Je renvoie à son livre Prison d’Afrique.

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