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Quand Sékou Touré rendait l’âme dans un hôpital de Cleveland, USA

Long and deep pools

C’était un lundi 26 mars 1984, dans un hôpital de Cleveland, ville située dans l’Ohio américain, au cœur de l’Occident qu’il avait tant vilipendé. C’est en ce jour et à cet endroit, au cours d’une opération du cœur, que Sékou Touré avait trouvé la mort.

Il est mort sans avoir pu dire au revoir aux siens comme toutes ses victimes qui avaient été kidnappées et exécutées sous son régime sans procès équitable. Deux jours auparavant, il s’était écroulé dans son palais de Conakry des suites d’une crise cardiaque.

Sékou Touré était un leader charismatique et un orateur exceptionnel qui avait fait la fierté des progressistes africains et du monde à cause de ses discours et prises de position anti-impérialistes mais aussi pour son engagement et celui de la Guinée dans la lutte de libération de plusieurs pays africains. Cependant, si sur la scène internationale il réclamait la liberté des peuples africains et fustigeait l’impérialisme occidental, tout de même sur le plan national il maintenait son peuple dans une totale privation de liberté. L’opposition politique était interdite et toute dissension était réprimée dans le sang. Durant ses 26 ans de règne, d’éminents cadres et intellectuels guinéens, africains et étrangers, mais aussi de simples citoyens périrent dans des conditions affreuses ou furent obligés de fuir leur pays pour échapper à la répression. 

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Le premier de ces complots fut celui des enseignants qui survient très tôt, juste deux années après son arrivée au pouvoir. C’est ainsi que pour avoir osé réclamer un meilleur traitement lors du congrès de la CNTG de novembre 1961, le syndicat des enseignants est accusé de subversion par Sékou Touré.

Il en profite pour anéantir Koumandian Keïta qui était considéré comme un de ses principaux rivaux politiques. Celui-ci sera arrêté et condamné ainsi que ses compagnons syndicalistes Mamadi Traoré alias Réotra, Djibril Tamsir Niane, Seck M’Bahi, Ibrahima Kaba Bah, Hassimiou Bah et plusieurs autres personnes. D’autres complots réels ou imaginaires suivront durant son règne et ils seront tous suivis d’arrestations, d’emprisonnement ou d’exécution par pendaison, fusillade ou par diète noire (privation d’eau et de nourriture jusqu’à ce que mort s’en suive).

Ainsi, cet homme qui fut l’un des grands architectes de l’indépendance guinéenne et du NON à la Communauté proposée par la France, se transforma rapidement en un véritable dictateur paranoïaque. 

Les impacts du régime sur la croissance démographique

Vous demandez-vous pourquoi il y a ces millions de guinéens qui vivent dans les pays limitrophes alors que les ressortissants de ces pays ne sont pas autant nombreux chez nous ? Pourtant, notre pays disposait d’énormes potentialités agricoles, industrielles et minières plus que ces pays. Malgré tout cela, pourquoi le Sénégal et la Côte d’Ivoire sont aujourd’hui devenus plus riches et plus peuplés que la Guinée ?

Pourtant avant l’indépendance, la Guinée était plus peuplée que ces pays. En 1955, la Guinée avait une population de 3,3 millions d’habitants contre 2,7 millions pour le Sénégal et 3 millions pour la Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire avec une population de plus de 26,4 millions est deux fois plus peuplée que la Guinée qui n’a que 12,7 millions d’habitants. Quant au Sénégal, avec une superficie pourtant plus petite que celle de la Guinée, il est aussi avec ses 16,7 millions d’habitants plus peuplé que la Guinée.

De 1960 à 1985, la population guinéenne n’avait augmenté que de 39%. Pendant cette même période, la population sénégalaise avait plus que doublé et atteignait les 6,5 millions d’habitants en 1985. Quant à la Côte d’Ivoire, sa population qui était près de 10 millions en 1985 avait ainsi plus que triplé car ayant augmenté de plus 233%. Ces deux pays doivent cette croissance rapide de leur population en grande partie à l’exode massif des populations de Guinée, du Mali et du Burkina qui fuyaient les dictatures dans leurs pays respectifs.

À sa mort, Sékou Touré nous avait laissé un pays complètement à genoux sans infrastructures de transport ou de communication adéquates et sans une culture démocratique. Le système éducatif s’était considérablement dégradé et l’économie était asphyxiée.

Sur le plan économique

Si la rupture brusque avec la France et les représailles qui ont suivi avaient créé d’énormes difficultés économiques à la Guinée, les politiques économiques adoptées par le régime de Sékou Touré ainsi que la mauvaise gestion, n’ont pas non plus favorisé un développement économique durable.

Après l’indépendance de la Guinée, la France avait décidé de saboter l’économie guinéenne. À la surprise de Sékou Touré, la France décida de pousser la Guinée hors de la Zone CFA. Ensuite en 1959, elle introduit une quantité importante de faux billets en Guinée pour déstabiliser la monnaie guinéenne.  

Pourtant, Sékou Touré n’était vraiment pas favorable à une rupture avec la France. Il voulait d’ailleurs que la Guinée fasse partie de la communauté française mais seulement en tant qu’État souverain. À propos voici d’ailleurs ce qu’il avait dit lors d’un discours qu’il avait tenu à Conakry en septembre 1958 : « Notre volonté d’indépendance ne doit pas être interprétée comme une volonté de rupture avec la France. Mes réponses se ressentiront donc forcément de notre intention ferme de rester dans le système français. Il est permis en effet d’espérer que la Guinée aura sa place à côté de la République de Tunisie et du Maroc, dans l’association des États Libres que la nouvelle Constitution prévoit en son article 88 ».

C’est surtout la réticence de la France qui ne voulait surtout pas voir ses autres colonies emboîter le pas à la Guinée, qui va pousser Sékou Touré à changer d’attitude aussi. Par conséquent, après avoir flirté pour quelque temps avec les Etats-Unis, Sékou Touré se tournera définitivement vers l’Union Soviétique, la Chine et les pays de l’Europe de l’Est.  Il calque son système économique sur celui des pays de l’Europe de l’Est. La planification était centralisée et la quasi-totalité des entreprises de production étaient nationalisées.

Malheureusement, la productivité de ces entreprises était faible par rapport à leur capacité. Elles dépendaient essentiellement des infusions de cash de la part de l’Etat pour combler leurs déficits financiers. Ces entreprises étaient aussi confrontées au manque de personnel qualifié, d’électricité et de routes,  à l’insuffisance de matières premières mais aussi et surtout de pièces de rechange, de devises ainsi que  de l’isolement du pays. 

Pour faire face aux dépenses d’investissements publics et pour soutenir ces entreprises publiques dont on dénombrait près de 180, l’Etat était obligé de recourir à la planche à billets. C’est ce qui en retour avait exacerbé l’inflation. La masse monétaire en circulation avait atteint les 44% dans la première moitié des années 70 alors que celle-ci n’atteignait même pas les 25% dans les pays voisins. Pour endiguer ce problème et revaloriser la monnaie locale, le régime de Sékou Touré va procéder au changement de monnaie en 1972. Du Franc qui avait été introduit en 1960, le pays va passer à une nouvelle monnaie dénommée le Syli. Cependant cela ne mit pas fin aux difficultés économiques et financières du pays.

En 1973, le niveau d’endettement atteignait les 75% du PIB et un déficit budgétaire qui avoisinait les 18% du PIB. Entre 1960 et 1975, l’économie n’avait enregistré qu’une croissance de 2% par an. Ce qui était nettement inférieur au taux de croissance de la population pendant cette même période qui était de 2,8%. N’eut été l’émigration massive des guinéens vers les pays limitrophes (Sénégal, Liberia, Sierra Leone et Côte d’Ivoire), le pays aurait connu des remous sociaux plus graves que ceux de 1977 car les problèmes économiques allaient se ressentir par la population de façon plus dramatique.

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Ainsi, vers la fin des années 70, la situation avait empiré et le pays rencontrait tellement de difficultés financières que Sékou Touré se vit obliger de solliciter l’assistance des institutions de Bretton Woods (Banque Mondiale). D’ailleurs, en 1979 la Guinée fera une demande d’adhésion à la Société Financière Internationale et elle y sera admise comme membre. Cet organisme de la Banque Mondiale qui assiste le secteur privé des pays membres. Ceci était d’ailleurs un signe que le révolutionnaire avait désormais l’intention de libéraliser certains secteurs de l’économie guinéenne.

Sur le plan agricole

Si jusqu’en 1960, c’est-à-dire 2 ans après son accession à la souveraineté nationale, la Guinée était le modèle en Afrique Occidentale et était un net exportateur de produits agricoles, dans les années 80, le pays était devenu un net importateur de produits agricoles. Désormais, le pays ne comptait plus que sur l’exportation minière pour se procurer de devises étrangères pour financer ses importations.

Les voies de communication (routes, téléphone, etc.) étaient dans une situation désastreuse.  Par exemple, la route entre N’Zérékoré et Conakry était tellement mauvaise que les voyageurs pouvaient y passer plus de quatre semaines surtout pendant l’hivernage. Ils étaient obligés de voyager avec les marmites et autres ustensiles pour cuisiner en route pendant le voyage. Les passagers voyageaient dans les camions, car il n’y avait pratiquement pas de bus ou de taxis et beaucoup perdaient leur vie dans des accidents à cause de l’état désastreux des routes et des ponts. Des centaines de personnes ont d’ailleurs péri aux environs de Sérédou (Macenta) à cette époque et malheureusement cela continue de nos jours encore sur les routes traversant la région forestière.

Le système éducatif

Le système éducatif ne s’était pas amélioré durant le règne de Sékou Touré malgré l’arrivée de plusieurs cadres et d’intellectuels progressistes venus de partout par solidarité et pour combler le vide laissé par le départ précipité des français. Toutefois, malgré l’arrivée de ces cadres et la politique d’enseignement adoptée par le gouvernement, le taux d’analphabétisme à plus de 80%, était l’un des plus élevés de la région. Des réformes démagogiques et brouillonnes étaient telles que des enfants pouvaient faire tout leur cursus primaire sans savoir ni lire ni écrire. Au niveau universitaire, à part quelques institutions de l’intérieur, c’était le lycée classique et le lycée techniques qui avaient été élevés à ce niveau.  

Le système sanitaire

Le secteur de la santé était encore pire et les quelques hôpitaux qui existaient dans le pays enregistrait un manque criard d’équipements ou d’hygiène. L’hôpital central de N’Zérékoré par exemple dégageait une odeur tellement forte qu’on pouvait la sentir de loin dans les quartiers environnants. A Conakry les hôpitaux Ignace Deen et Donka étaient ceux que les colons avaient laissés.  Des infirmiers avaient été promus docteurs par décret présidentiel. L’espérance de vie en 1981 n’était que de 43 ans comparée à la moyenne de 47 ans dans les pays voisins. La mortalité infantile, d’environ 30% en 1980, était l’une des plus élevées au monde

La violence étatique et la destruction du capital humain

En plus de tout ceci, la répression et la suspicion se sentaient partout. La milice était omniprésente et toute puissante. Il est même indéniable que c’est à cette époque que le guinéen s’est habitué aux tueries et à la violence policière et militaire. Les exécutions se faisaient publiquement et la population était invitée à assister à ces manifestations funestes. 

Même les enfants n’étaient pas exclus de ces spectacles de la mort où des prisonniers étaient soient pendus, soient fusillés. D’ailleurs, les champs de tirs étaient présents presque partout. À N’Zérékoré par exemple, il y en avait à la sortie de la ville vers la sous-préfecture de Samoe. Au regard de toute la brutalité et de la cruauté que les populations ont subies ou auxquelles elles ont été exposées pendant ce régime, les violences politiques et sociales actuelles dans notre pays tirent certainement leur source là.   

L’héritage de Sékou Touré ne devrait donc pas se résumer à son discours du 25 août 1958 ou au Non de la Guinée contre la Communauté Française au référendum du 28 septembre 1958. Ce ne sont pas non plus les unités industrielles qu’il avait laissées et dont une grande partie n’était d’ailleurs plus opérationnelles et nécessitait de gros moyens pour être réhabilitées. Ce n’est pas aussi l’implication de la Guinée dans les mouvements de libération en Afrique. Son héritage, ce sont aussi les exécutions sommaires, les emprisonnements sans procès équitable. C’est aussi et surtout la destruction du capital humain de la Guinée, la disparition de la société civile et la désintégration de toutes les institutions du pays.

La loyauté au chef suprême de la révolution étant à l’époque plus importante que la loyauté aux valeurs de la République, Sékou Touré n’a fait qu’encourager la médiocrité, l’insubordination et le népotisme. Si sa révolution n’a pas survécu après sa disparition, c’est parce qu’il n’avait simplement pas préparé une relève. Il est aussi évident que les Guinéens dans leur majorité n’avaient pas souscrits à son idéologie mais étaient simplement soumis à sa volonté. Il avait simplement construit un système au tour de sa personne et ce système s’est écroulé comme un château de cartes avec sa mort. Jusqu’à ce jour, la Guinée continue de payer les frais de ses 26 années au pouvoir. Le régime de Conté n’en fut d’ailleurs qu’une suite logique.

Sékou Touré n’ayant pas construit d’institutions solides qui auraient permis à la Guinée de continuer à fonctionner normalement, à sa mort en 1984, c’est l’armée qui va s’emparer du pouvoir. La Guinée aura ainsi à sa tête pendant les 24 années qui vont suivre, un militaire qui n’avait aucune prédisposition politique, philosophique, idéologique et managériale pour redresser le pays. Il était simplement un militaire au pouvoir et même si la volonté y était, la capacité faisait défaut. Lui aussi, comme Sékou Touré, il sera beaucoup plus préoccupé par la préservation de son pouvoir que par le développement économique et la création d’un Etat juste et démocratique.

Au lieu de réhabiliter les dictateurs et leurs complices d’hier, nous devrions plutôt chercher à réhabiliter toutes ces personnes éminentes et anonymes qui ont péri dans les différentes geôles du pays, fusillées aux champs de tirs ou pendues au tristement célèbre pont 8 novembre sans avoir bénéficié de procès équitable ou de sépulture honorable.

Il est facile aujourd’hui pour les révisionnistes de l’histoire de vouloir passer sous ombre les périodes sombres du premier et du deuxième régime car la population guinéenne est très jeune et dans sa majorité, elle n’a pas été témoin ou n’a pas un souvenir vivide des exactions commises sous ces dictatures. Si nous voulons vraiment mettre fin à ces cycles de violence étatique qui ont émaillé l’histoire de notre pays, il faut que lumière et justice soient faites afin que plus jamais de telles choses ne se reproduisent en Guinée.

Comme le disait George Santayana, « ceux qui ne peuvent se souvenir du passé sont condamnés à le répéter et à commettre les mêmes erreurs ».

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Une première version de ce billet a été publié  sur visionguinee.info le 27 mars 2017 sous le tire de « Du régime de Sékou Touré : Devoir de mémoire! »

L’auteur, Abdoulaye Barry, l’a révisé pour konakryexpress. M. Barry est un Guinéen résidant aux USA.

 

 

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Je revendique le titre de premier clandestin à entrer en Italie, le jour où la mort de Che Guevara a été annoncée. Mais comme ce serait long de tout décrire, je vous invite à lire cette interview accordée à un blogger et militant pour les droits humains qui retrace mon parcours dans la vie: https://fr.globalvoices.org/2013/05/20/146487/

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