À l’occasion de la prestation de serment du Président Alpha Condé, le 14 décembre 2015, pour un second mandat devant le peuple guinéen et ses invités venus d’ailleurs, Amnesty International et plusieurs ONG de défense des droits humains l’avaient invité à ne pas oublier que de nombreuses violations des droits humains persistent dans ce pays.
Comme le Président Alpha Condé maintient toujours des individus accusés par la justice guinéenne de crimes contre l’humanité, je voudrais proposer de nouveau le communiqué commun des organisations qui garde toute sa valeur, bien qu’il y ait eu quelques avancées sur plusieurs plans et la tension politique a beaucoup baissé grace au fait que finalement le Président Alpha Condé ait compris qu’il n’est plus en campagne.
Ça suffit avec l’impunité qui dure depuis les affres du camp Boiro et les autres centres de détention disséminés sur tout le territoire national!
Publié sur le site d’Amnesty International 14/12/2015
Guinée. Condé doit faire le serment de lutter contre l’impunité
Ce 14 décembre 2015, le Président Alpha Condé prête serment pour son second mandat devant le peuple guinéen et ses invités. Dans cette ambiance festive, il ne faudra pas oublier que de nombreuses violations des droits humains persistent dans ce pays. L’usage excessif de la force est monnaie courante en Guinée et l’impunité est devenue la norme. Au cours de la dernière décennie, la répression des manifestations a fait plusieurs centaines de morts et des milliers de blessés. Cinq organisations internationales et locales adressent une lettre ouverte au Président guinéen récemment réélu.
Lorsqu’en mai 2015, Thierno Sadou Diallo est tué d’une balle dans le dos au cours d’une descente de la gendarmerie dans son quartier, laissant derrière lui une femme enceinte et deux enfants en bas âge, on aurait pu espérer des autorités guinéennes l’ouverture d’une enquête impartiale et voir les présumés responsables de ce crime présentés devant la justice ordinaire – et pas militaire. Mais, la famille de cet homme de 34 ans, comme celles de centaines d’autres, attend encore que justice soit rendue, puisqu’aucune suite n’a été donnée à sa plainte. La raison – l’auteur des tirs était un gendarme.
Paradoxalement, parmi les personnes arrêtées dans le cadre de manifestations et accusées de participation à un attroupement illégal, certaines ont été jugées en quelques semaines et sont aujourd’hui en train de purger leur peine en prison. L’usage excessif de la force est monnaie courante en Guinée et l’impunité est la norme.
Au cours des dix dernières années, au moins 360 personnes sont mortes lors de manifestations dans le pays, dont 20 en 2015, et plus de 1 800 ont été blessées. La plupart des victimes étaient des manifestants, parfois de simples passants, tués par balles ou matraqués à mort par les forces de sécurité. En dépit du contexte difficile lié à la violence de certaines manifestations, rien ne pourrait justifier l’utilisation excessive de la force par les forces de sécurité, et notamment l’usage des armes à feu contre des personnes qui ne constituent pas une menace.
Le recours excessif à la force en Guinée lors d’opérations de maintien de l’ordre a engendré trop de drames. A ce jour, aucune enquête n’a été menée sur les violations commises à Womey (Guinée forestière) par l’armée, la police et la gendarmerie entre septembre et novembre 2014, notamment au moins six cas de viols, le pillage systématique des habitations et la contamination des sources d’eau du village.
Une plainte a été déposée devant le tribunal de N’Zérokoré au compte des femmes violées par les forces de sécurité. Elle n’a pas reçu de suite. En mars 2015, la Cour d’assises de Kankan a ajourné le procès de quatre membres des forces de défense et de sécurité accusés d’avoir tué six personnes lors d’une grève menée en août 2012 dans la mine de Zogota en Guinée forestière. Les officiers inculpés n’ont ensuite plus jamais comparu devant la Cour.
Jusqu’à présent, l’obligation de rendre des comptes pour ces graves atteintes aux droits humains a été bien mince, malgré certaines inculpations récentes liées au massacre du stade du 28 septembre, en 2009. Cette culture de l’impunité est inacceptable, d’autant que les familles des victimes bravent courageusement les risques et les difficultés administratives pour porter plainte, dans l’espoir d’obtenir justice, vérité et réparation.
La Guinée a une histoire émaillée de violences. Ces violences sont surtout liées aux restrictions imposées à la liberté de réunion et à la liberté d’expression, ainsi qu’au recours excessif à la force par les forces de sécurité.
Aujourd’hui le peuple guinéen a soif de justice. Le président Alpha Condé qui entame son second mandat devra veiller à ce que les projets de révision du code pénal et du code de procédure pénale, en cours, soient rapidement adoptés afin de renforcer les libertés de réunion et d’expression, de lutter contre la torture et de prévenir d’éventuelles violences aux prochaines élections locales prévues l’année prochaine. Point déterminant: la loi guinéenne doit permettre la tenue de manifestations pacifiques même si celles-ci sont spontanées.
Le président Alpha Condé a la responsabilité, lorsque des éléments des forces de sécurité commettent des violations des droits humains, de s’assurer que des enquêtes soient diligentées et que les personnes mises en cause soient présentées devant la justice ordinaire dans le cadre d’un procès équitable.
Sous la foi du serment de ce 14 décembre, des promesses électorales refont surface pour se rappeler au bon souvenir du président Alpha Condé. En effet, lors de la campagne électorale, Alpha Condé s’était engagé auprès des électeurs à mettre fin à l’indiscipline et à la culture de l’impunité qui règnent depuis des décennies en Guinée. Il est urgent de faire de cet engagement une réalité.
Les organisations signataires :
1- Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT)
2- Amnesty International
3- Avocat sans frontières Guinée
4- Les Mêmes Droits Pour Tous (MDT)
5- Ligue Guinéenne des Droits de l’homme (Liguidho)