L’agression portugaise et d’opposants Guinéens du 22 novembre 1970 a soulevé une grande vague d’émoi à travers le monde et de sympathie envers le peuple de Guinée.
Mais elle a aussi servi au tyran sanguinaire Sékou Touré d’arrêter un grand nombre de Guinéens de l’intérieur sans aucune preuve de leur participation à l’agression. Aucune « couche de la population guinéenne, de la base au sommet de la hiérarchie sociale, n’échappera à la répression, à l’épuration comme on disait dans le langage marxiste alors en vogue ». Ce billet est tiré du livre d’Alpha Abdoulaye Diallo ‘Portos’ La vérité du ministre. Dix ans dans les geôles de Sékou Touré. Librement accessible en cliquant sur le titre. |
Les réactions internationales ne se font pas attendre. Le conseil des ministres de l’O.U.A. réuni en session extraordinaire à Lagos, dès le début du mois de décembre, prend position pour la Guinée et condamne l’agression portugaise. Le Conseil de sécurité de l’O.N.U. envoie à Conakry une mission d’enquête (Résolution 289, 1970).
Des messages de soutien affluent. Une unanimité se fait autour de la Guinée et de son leader. Moment unique, moment privilégié, politiquement exceptionnel pour procéder à une réconciliation nationale en Guinée. Hélas ! Sékou Touré n’en profitera que pour asseoir davantage son pouvoir, en semant la terreur au sein du peuple, en liquidant physiquement adversaires supposés ou réels, soupçonnés de ne pas lui être aveuglément acquis.
La situation maîtrisée, commencent les arrestations nombreuses, inattendues, surprenantes. Il paraît que Barry III, Mme Loffo Camara, Baldet Ousmane, sont des complices intérieurs des agresseurs. D’autres, Jean-Paul Alata, Kapet de Bana, Elie Hayeck, Abouchacra, Tassos Mavroidis, seront arrêtés, libérés, repris.
L’Assemblée nationale s’érige en tribunal révolutionnaire et statue sur le cas des mercenaires et de leurs prétendus complices intérieurs. Elle entérine — pouvait-elle agir autrement ? — les décisions arrêtées par le comité révolutionnaire, en réalité le « Responsable suprême de la révolution » et son frère Ismaël Touré.
C’est alors que commencent les exécutions capitales – le « carnaval de Conakry » — dira un journaliste — en réalité le carnaval macabre du P.D.G. En effet, à Conakry au pont du 8 novembre, devenu pont de la Honte, baptisé plus tard « pont Fidel Castro Ruz, route infinie de l’Histoire » et débaptisé à l’occasion du sommet de la CEDEAO , on pendra Baldet Ousmane, Makassouba Moriba, Barry Ibrahima dit Barry III, Keita Kara de Soufiana. On fusillera, au champ de tir de l’armée à Yakhémato, entre Matoto et le centre d’enrobage des Travaux publics, peu avant l’usine de cigarettes et d’allumettes E.N.T.A., huit personnes dont, semble-t-il, Tall Habib, Mme Loffo Camara, Soumah Théodore, Conté Ansoumane, Touré Kerfalla, Kaba Laye. A l’intérieur, dans toutes les régions de Guinée — qui en comptait alors vingt-neuf (pour trente fédérations du parti, Conakry en ayant deux) — on pendra au moins deux personnes. Cela se passera dans la nuit du dimanche 24 au lundi 25 janvier 1971.
La Guinée se réveillera, ce lundi, terrifiée de se trouver en face de ces pendaisons, pratique qu’elle n’avait jamais connue auparavant. Le monde commence à découvrir Ahmed Sékou Touré sous ses traits de tyran sanguinaire qui a jeté bas le masque du démocrate.
Avant que le tribunal ne statue sur les cas qui lui étaient soumis, les mercenaires et beaucoup d’autres victimes avaient déjà été passés par les armes. Aucun des accusés ne comparaîtra devant le tribunal — ce n’est pas la tradition dans la Guinée de Sékou Touré. Le tribunal statuera sur audition de bandes magnétiques, enregistrées dans des conditions douteuses, sur des catégories et non sur des cas individuels. Aucune défense ne sera assurée aux accusés qui n’auront pas le droit de se défendre eux-mêmes. Aucun recours après le jugement immédiatement exécutoire ! Le chef de l’Etat lui-même renoncera solennellement à l’exercice de son droit constitutionnel de grâce ! Etait-ce nécessaire ?!
Si en théorie l’Assemblée est souveraine, en réalité elle n’a aucun droit de modification des « propositions » que le comité révolutionnaire lui soumet. Le député qui aurait la malencontreuse idée de vouloir les amender disparaîtrait aussitôt de la circulation (on découvrira que c’est un membre de la « cinquième colonne » camouflé au sein de l’Assemblée nationale) ou, s’il a beaucoup de chance, il obtiendra un sursis jusqu’au prochain complot. Peu importe la sentence. Des condamnés aux travaux forcés seront fusillés immédiatement (Touré Kerfalla) ou plus tard ( Koumbassa Abdoulaye , Barry Baba, Diallo Souleymane Yala, Diallo Thierno Mamadou Cellou, etc.).
Dans l’esprit du régime, la phase de l’Assemblée est destinée à donner un semblant de forme juridique, à convaincre l’extérieur que tout se passe légalement.
Mais, bien avant la réunion de l’Assemblée, alors que radio Bissau menaçait et déclarait que les Portugais viendraient encore libérer leurs hommes, la panique s’empara d’Al Capone. Il téléphona le mot d’ordre convenu « Il faut passer à l’action. » Ce fut le carnage.
Mandjou Touré, neveu du président, dit-on officiellement, son fils adultérin affirme « radio-trottoir », photographe devenu lieutenant dans l’armée guinéenne, s’illustra dans ce massacre. Son « plaisir » consistait à introduire le canon de son P.M. AK 14 dans le fondement des mercenaires et à tirer. Plus tard, il sera nommé ambassadeur, donc représentant du peuple de Guinée, dans l’un des pays les plus civilisés et les plus raffinés du monde : le Japon. Quelle insulte à ce pays et à son grand peuple! Quelle insulte au peuple de Guinée !
Le cas de Mandjou Touré n’est pas isolé.
Il est à peu près certain que d’autres responsables politiques ont participé aux massacres de 1971 comme membres du peloton d’exécution.
Mamadi Keita, alors ministre de l’Education nationale et membre du B.P.N., au lendemain de l’exécution de Mme Loffo Camara, disait avec fanfaronade, à qui voulait l’entendre :
« An ka boun han an ka sisi bo a noun n’na » (malinké, traduction : « nous avons tellement tiré sur eux que nous avons fait sortir la fumée de leur nez »).
Des pays voisins, la Sierra Leone, le Liberia et surtout la Gambie, procéderont, dès le lendemain de l’agression, à des extraditions de ressortissants guinéens dont ils voulaient se débarrasser, les expédiant, ainsi, à une mort certaine. Ces malheureux furent tous sommairement exécutés, sans jugement ni interrogatoire. Dans ce tragique ballet d’extraditions, le président Dauda Jawara de Gambie, joua le rôle principal devant le président Siaka Stevens de Sierra Leone, qui, pourtant, livrera un de ses propres ressortissants.
Au terme des premières pages de ce témoignage, un certain nombre de questions se posent :
- Sékou Touré avait bien été informé de l’agression qui allait avoir lieu contre la Guinée. Il l’avait mentionné dans son discours à l’occasion de la fête nationale, le 2 octobre 1970, et son ministre des Affaires étrangères en avait fait état à la 25e session de l’Assemblée générale de l’O.N.U. D’autre part, l’ambassadeur de l’Union soviétique nous affirmera, aux ministres d’Etat Saifoulaye et Béavogui, et à moi-même, qu’il en avait personnellement informé le chef de l’État.
- Aucune précaution particulière ne fut cependant prise, aucune mesure de sécurité envisagée pour contrecarrer cette agression. Bien au contraire, Sékou Touré décida de « vider les casernes » et de renvoyer les experts soviétiques. Sagno Mamadi, secrétaire d’Etat à la Défense nationale, plaidera vainement pour un sursis à l’exécution de cette décision. Plus tard, on l’accusera d’avoir volontairement « désarmé l’armée » pour préparer l’arrivée des Portugais.
- Les prisonniers portugais blancs se trouvaient détenus à l’intérieur du pays à Mamou. C’est presque à la veille de l’agression qu’ils seront ramenés à Conakry. Quand on connaît la réalité politico-administrative de la Guinée de Sékou Touré, on sait que personne d’autre que lui n’avait autorité pour prendre cette décision.
Au moment de l’agression, Amilcar Cabral était absent de Conakry. A son retour, il confiera à certains de ses intimes :
— « Sékou nous a trahis ». Qu’est-ce à dire?
- La nuit de l’agression, alors que la ville était plongée dans une obscurité totale, la présidence était, elle, illuminée comme au jour de la fête nationale. Pourquoi ?
- A la suite de cette agression, des souscriptions furent organisées, en Guinée, pour venir en aide aux familles des victimes. Les membres du gouvernement, pour ne citer qu’eux, furent astreints à donner l’équivalent d’un mois de salaire. De nombreux pays ainsi que les compagnies étrangères installées ou opérant en Guinée, les commerçants y contribuèrent fortement.
- Les familles des victimes reçurent, chacune, cent vingt-cinq mille francs guinéens. Puis le régime « découvrit », miraculeusement que les victimes étaient, en réalité des complices des agresseurs. On obligea les familles à rembourser l’aide reçue, ce qui représenta pour elles un drame : elles avaient dépensé cet argent et dans l’état de dénuement où elles étaient, il leur était difficile de le rendre.
Qu’est devenu cet argent ? Seuls certains des proches collaborateurs de Sékou Touré- Ismaël Touré
- Moussa Diakité
- Lamine Condé
- N’Faly Sangaré
pourraient répondre à cette question.
Tous les responsables du secteur bancaire au courant de ses manipulations monétaires et qui n’étaient pas de sa famille ou alliés à sa famille, furent arrêtés comme appartenant à la Cinquième Colonne et passés par les armes :
- Thiam Baba Hady
- Soumah Théodore
- Gnan Félix Mathos
- Baldet Ousmane
- Camara Balla 18.
Seul, El Hadj Fofana Mamadou, qui avait été vice-gouverneur de la Banque centrale, échappera à ce massacre, après avoir passé, cependant, près de dix ans au Camp Boiro.