Témoignage extrait du livre Guinée, histoire des violences politiques de RFI et la Fédération internationale des droits de l’homme à l’occasion des 60 ans depuis l’accession de la Guinée à l’indépendance. |
Je suis entré à l’armée par obligation. En tant que citoyen français, je devais m’acquitter de mes obligations militaires. Après la formation commune, il nous fallait choisir un corps de métier dans l’armée. Médecine, télécommunication, administration. J’ai choisi l’administration. Lorsque les Guinéens ont voté pour ou contre l’indépendance, j’étais à la 2e compagnie du régiment de tirailleurs sénégalais déployée dans la région d’Oran, en Algérie. Le bruit courait déjà que les Guinéens allaient massivement voter « non ». Le général Salan est venu nous voir. Il nous a demandé, en souvenir d’un soldat guinéen qu’il avait sauvé en Indochine, de voter contre l’indépendance et de demander à nos parents de faire de même. Il ne comprenait pas que c’était justement nos parents qui nous avaient demandé de voter pour l’indépendance ! Salan nous a même dit qu’il n’aimerait pas voir la Guinée se séparer de la France et que nos destins étaient liés. J’avoue qu’à l’époque nous ne comprenions pas très bien pourquoi il fallait voter « non » car notre Guinée n’avait rien. Mais tous les autres Africains de la compagnie nous enviaient. Et on leur disait fièrement que « nous nous allions prendre notre indépendance ».
À partir de ce jour, nous ne faisions plus rien. Nous étions dispensés de travail, de corvée, et même d’opérations militaires ! Le 28 septembre 1958 nous avons voté en faveur du « non ». Nous étions indépendants et l’on nous a rapatriés à Conakry. J’y suis arrivé le 18 octobre. À notre arrivée, un accueil spécial nous avait été organisé. Au camp Mangin, un commissaire guinéen est venu nous demander ce que nous voulions. Soit rester dans l’armée française, soit entrer dans l’armée guinéenne ou dans la gendarmerie, ou alors retourner à la vie civile. J’étais simple sergent, et la vie sous les drapeaux ainsi que la guerre d’Algérie m’avaient fatigué. J’ai donc opté pour la vie civile. Comme beaucoup de mes compagnons, d’ailleurs. Mais après une semaine, le chef d’état-major, Mandian Keita nous a convoqués au camp. Il nous a fait la morale. « La patrie a besoin de vous. On doit créer une armée. Acceptez de rester et de la créer avec nous ». Moi je ne voulais plus de l’armée, et j’avais même commencé à distribuer mon paquetage à droite et à gauche. Mais notre capitaine a fini par nous convaincre et le premier novembre, je me suis engagé.
Nous avons donc créé l’armée le 1er novembre. Avec des orientations encore très floues. Nous avons commencé par rebaptiser les camps. Mangin est devenu Samory Touré, et le camp Brosset est devenu le camp Alpha Yaya Diallo. Dès 1958, l’État a entamé une coopération avec le bloc de l’Est, et un contingent a été envoyé en URSS. Ma femme portait mon premier enfant et je ne voulais pas m’éloigner d’elle. Je ne suis donc pas parti en URSS. À peine mon enfant mis au monde, on m’a envoyé au Congo, au sein du bataillon guinéen des Nations unies. C’était le 22 juillet 1960. Et lorsque la guerre de sécession a commencé au Katanga, nous sommes allés là-bas. Pendant ce temps à Conakry, Sékou Touré voulait profiter de l’occasion pour propager la révolution au Congo. Il a donc souhaité que ce soit le contingent guinéen qui puisse prendre la tête du bataillon des Nations unies. Mais le général des Nations unies était général de division, et l’armée guinéenne n’avait pas de grade équivalent ou supérieur au sein de ses forces armées. En une nuit, il a donc créé un général d’armée ! C’était Lansana Diané, un civil, devenu par décret général d’armée ! Aux Nations unies, ils ont vite compris que cet homme n’était pas militaire. La manœuvre de Sékou Touré a donc échoué.
Nous sommes rentrés à Conakry en février 1961 et j’ai été élevé au grade de sergent-chef.
En revenant, le matériel avait changé. Des équipements militaires soviétiques avaient été livrés à l’armée par les pays de l’Est. Le commandant militaire voulait que l’on se familiarise avec ces nouvelles armes. Moi j’étais d’accord pour la formation mais le commandant voulait nous envoyer en internat. Pour moi et mes compagnons c’était impossible. Nous ne pouvions pas quitter nos familles pour aller à l’internat. Les chefs se sont fâchés contre nous et pour nous punir, ils nous ont empêchés de suivre cette formation au terme de laquelle nous devions sortir avec le grade de sous-lieutenant. Moi et mes promotionnaires avons dû attendre trois ans avant de suivre cette formation. Elle a duré 26 mois, c’est-à-dire qu’elle était bien plus complète que prévu, et plus large que celle des deux promotions précédentes. Nous étions vraiment bien formés. Il y avait une formation d’officier, d’école de guerre, il y avait même des cours d’histoire, de géographie et de mathématiques ! Les deux premières promotions avaient reçu des noms de baptême. La première s’appelait la promotion Lumumba, la seconde Sylvanius Olympio, mais nous nous n’avions pas été baptisés car nous étions considérés comme des fortes têtes. On ne voulait plus nous voir. Alors que les autres attendaient un an avant de devenir aspirants, nous n’avions aucun avancement. Nous sommes restés comme ça pendant quatre ans, à ronger notre frein.
Un jour Sékou Touré a regardé de près les formations des trois promotions, et il a vu que notre programme était bien plus complet et que nous avions reçu un enseignement bien plus performant. Il a donc supprimé le concours et nous a fait passer au grade de sous-lieutenant. Je suis resté sous-lieutenant trois ans, et ensuite lieutenant durant six ans, au lieu de deux. À l’époque, j’effectuais beaucoup de missions. Comme j’étais dans les finances, j’ai été nommé trésorier payeur à l’intendance, puis j’ai servi comme attaché militaire auprès du ministre de la Défense. J’étais une sorte de conseiller technique et j’avais beaucoup de pouvoir. Tous les problèmes entre l’armée et l’extérieur passaient par moi. Je voyageais beaucoup et j’aimais ça. J’ai appartenu à la délégation guinéenne de la commission africaine des peuples se battant pour leur libération. Les réunions se passaient à Dar Es Salam (en Tanzanie). J’y suis resté tout en étant rattaché au ministère de la Défense. J’avais une vie passionnante. En 1977, la Guinée devait présenter une pièce de théâtre pour le festival de la culture et des arts négro-africains de Lagos au Nigéria. On m’a chargé d’y aller pour suivre la préparation de la pièce « Thiaroye ». Avant mon départ, un condisciple de l’École d’officiers m’a donné une lettre pour son frère qui était enseignant à Lagos. Je suis donc parti avec la lettre mais je ne suis resté que sept jours au Nigéria et je n’ai pas eu le temps de trouver le frère de mon ami. Mais j’ai rencontré un homme qui connaissait cet enseignant et qui a pris la lettre qu’il a confiée à un Guinéen, un commissaire de police. En échange, l’enseignant a confié au policier une somme d’argent pour son frère en Guinée, somme que j’étais chargé de lui remettre ainsi que deux lettres, une pour moi et une pour son frère. Je reçois le tout à Conakry. Je ne sais pas comment cela se fait mais les deux lettres finissent dans les mains de Siaka, le commandant du Camp Boiro (Siaka Touré, tristement célèbre tortionnaire du camp Boiro, exécuté en 1985).