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Quand M. Sékou Touré veut se débarrasser d’un de ses ennemis ou de ses cadres gênants, il utilise toutes sortes de subterfuges

Les rafles, les fouilles, les perquisitions et les arrestations sont dès lors opérées sur la base d'une liste dressée à l'avance et provenant de prétendues dénonciations

Dans ce billet tiré de son livre Unique Survivant du « Complot Kaman-Fodéba » Kindo Touré décrit les mécanismes infernaux de fabrication de faux complots menant à l’arrestation de pauvres gens innocents.

Quand M. Sékou Touré veut se débarrasser d’un de ses ennemis ou de ses cadres génants, il utilise toutes sortes de subterfuges. La Guinée y est habituée.

Le 26 février 1969, disparaît tragiquement Mamadou Boiro, inspecteur de police à la Présidence de la République, alors en mission à Labé.

Il assurait, à sa demande, l’escorte sur Conakry des parachutistes arrétés et embarqués à bord d’un « Yak ». Il s’agissait du lieutenant Aly Coumbassa, chef de la section, de l’adjudant Momory Keita, de Boubacar M’Bengue, etc. A bord de ce petit appareil avait également pris place Mme Diédoua Kourouma (actuellement secrétaire d’Etat au Tourisme).

Aux dires du ministre de l’Armée populaire, le général Lansana Diané, ces militaires devaient comparaître devant une instance militaire pour répondre de leurs « actes de mutinerie ».

Quand le « Yak » s’envole de Labé, une forte tension règne à bord. Les « paras » se sentent en danger de mort.

A Kankan où elle débarque, Mme Diédoua Kourouma signale les risques que court le « Yak » s’il continuait ainsi son voyage sur Conakry. En vain, le ministre délégué, M. Sory Barry tente-t-il d’intercéder pour débarquer les « paras », Boiro s’y oppose.

En vol entre Kouroussa et Siguiri, M. Mamadou Boiro est assommé à l’aide du pistolet dont il était porteur et projeté hors du « Yak » par les « paras ». Son corps sera vainement recherché…

Le climat social s’est subitement dégradé dans la capitale Conakry : le couvre-feu est institué. la ville est quadrillée par les forces de l’ordre.

Face à cette situation qui risquait de compromettre les bases de la Révolution, le Bureau politique national, en l’absence du Chef de l’Etat en mission à l’extérieur, convoque un meeting présidé par M. Ismaël Touré ministre membre du B.P.N. Il est alors question d’une « mutinerie » des parachutistes du Camp El Hadj Oumar Tall de Labé, ville du Fouta, située à 450 km de Conakry, « mutinerie » qui serait préparée et téléguidée à partir de la capitale.

Levant le poing et tapant fougueusement sur la table, le président de séance, dans une de ses verves qu’on lui connaît rarement, promet que le B.P.N. prendra toutes les mesures appropriées pour mâter avec la dernière rigueur ce complot militaire.

Les rafles, les fouilles, les perquisitions et les arrestations sont dès lors opérées sur la base d’une liste dressée à l’avance et provenant de prétendues dénonciations. En realité, les personnes gênantes pour le régime et son Chef doivent être écartées par ce procédé peu honorable.

En quelques jours, devant les salles de cinéma, les dancings, les bars et les restaurants, la clientèle s’est raréfiée. Dans les quartiers quadrillés, à partir de minuit, les forces de l’ordre soumettent les innocents retardataires à des fouilles humiliantes et mesquines. Chacun a peur.

Les rumeurs

Des nouvelles incontrôlables font état d’arrestations massives de personnalités civiles et politiques.

La version officielle. Pour mieux frapper l’opinion publique et donner une apparence de vraisemblance à cette « mutinerie » Horoya, I’unique journal du pays, la radio, les meetings, les réunions du Parti font chorus pour rabâcher les mêmes informations, grossies à souhait afin de créer dans l’esprit des populations la réalité, d’un « complot » fomenté par des militaires et encouragé par de hauts responsables du Parti et de l’Etat.
A coups d’éditoriaux virulents, de propos incendiaires, la « et Voix de la Révolution » entreprend à la radio une vaste campagne de dénigrement systématique de certains cadres et petit à petit, le « complot militaire » prend racine et devient dans l’esprit de chacun une hideuse et déprimante réalité que le Parti doit réprimer de façon exemplaire.

Réaction du dictateur

En pareil cas, M. Sékou Touré ne se réfère qu’à ses propres sentiments machiavéliques. Revenu de mission, il s’adresse lui-même au peuple et au monde entier, en véritable ténor. Il s’érige de fait en metteur en scène, acteur et artisan du « complot dénoncé ». De sa voix tonitruante et dans un sophisme sans égal, il a l’art de transformer le mensonge en vérité et la vérité en mensonge. Il s’empare des slogans bien connus : « Fermeté et tension révolutionnaire »; « Lutte de classe »; « Epuration du Parti et de l’Etat, de tous les comploteurs, tous les renégats, tous les suppôts de l’impérialisme moribond« ; « Vigilance »!

Atmosphère de terreur

Alors s’installe une atmosphère de terreur et de suspicion. Chacun a peur même de son ombre. Les meilleurs amis et même les parents se donnent le dos et la division fait le reste.

Une torpeur palpable paralyse la capitale où tout vit au ralenti, dans une psychose de peur. La population est accablée par une panique généralisée. Inquiet, la mort dans l’âme, chacun attend ce que lui réserve le destin, voire le P.D.G. — Parti démocratique de la Guinee — et sa machine infernale.

A l’aéroport, les sorties sont filtrées au peigne fin, les frontières maritimes et terrestres sont bouclées pour empécher toute velléité de fuite.

La Guinée est devenue une vaste prison sous la botte d’un clan d’une rare puissance, constitué seulement par Sékou Touré, ses frères, ses parents, amis et alliés. Partout, c’est « le clan » qui brille à l’avant-scène.

Le « Meeting d’information »

Après les réunions des comités de base de la capitale, provoquées par des communiqués inlassablement repris à la radio et par Horoya, toute la population de Conakry est convoquée à un grand meeting organisé sous l’égide du B.P.N. (Bureau politique national), le 17 mars 1969. Il sera présidé par le B.P.N, entendez par là, par le « Responsable Suprême de la Révolution ».

Dans la salle archi-comble, houleuse, trépidante, ce puissant orateur et metteur en scène émérite, dépeint en traits sombres les « dessous machiavéliques » de la « mutinerie » des parachutistes du camp El Hadj Oumar de Labé. Il flétrit, avec le verbe incisif qu’on lui connait, l’abominable forfait dont se sont rendus coupables les « paras de Labé », manipulés et téléguidés de Conakry par « des agents serviles de l’impérialisme ».

Dans une éloquente et impressionnante oraison funèbre, Mamadou Boiro est cité à l’honneur et présenté à la grande foule comme un symbole de dévouement exemplaire à la Patrie.

A l’opinion nationale et internationale sont révélés devant la salle muette de stupeur, les noms des vrais auteurs du complot ourdi contre le gouvernement « démocratiquement élu ».

Un violent réquisitoire met au pilori, le colonel Kaman Diaby récemment promu secrétaire d’Etat à la Milice et parmi les preuves à charge retenues contre celui-ci, on exhibe :

  • un bic publicitaire à l’effigie du général de Gaulle
  • un costume militaire (échantillon livré par les fournisseurs européens pour une commande éventuelle)

Ces objets auraient été découverts au domicile du Colonel…
Si la foule frémissante semble convaincue, par contre les cadres à tous les niveaux ne le paraissent pas. Peu importe ! C’est l’écrasante majorité du peuple qui compte !

Les noms de MM. Fodéba Keita et Diawadou Barry, tous deux anciens ministres, sont prononcés. La « conspiration » a été baptisée: « complot militaire Kaman-Fodéba » 1.
Entrecoupé par de vibrants chants révolutionnaires repris en choeur par des femmes crédules, enthousiastes, le réquisitoire passionné appelle la population à « la fermeté dans la lutte des classes ».

Le meeting prend fin dans une houle d’applaudissements et, d’ores et déjà, chacun est convaincu que les heures qui vont suivre seront riches en événements et que la vie de bon nombre de cadres est déjà en danger.

Quelque temps après, les jardins de la Présidence de la République deviennent le cadre des manifestations permanentes de soutien, de fidélité inconditionnelle au Parti et notamment à son « guide éclairé ».

Très tôt, les femmes et enfants des cadres déjà arrêtés se sont désolidarisés de la foule hystérique, s’exposant ostensiblement au courroux de celle-ci, ce qui ne les empêche pas de proférer des propos offensants à l’adresse des manifestants en délire.
Le char du « complot » a été mis en branle ! Déjà, les services de sécurité, sur les dents, se livrent à l’implacable chasse à l’homme…

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konakryexpress

Je revendique le titre de premier clandestin à entrer en Italie, le jour où la mort de Che Guevara a été annoncée. Mais comme ce serait long de tout décrire, je vous invite à lire cette interview accordée à un blogger et militant pour les droits humains qui retrace mon parcours dans la vie: https://fr.globalvoices.org/2013/05/20/146487/

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