D’après des anticipations du quotidien Le Monde français, le rapport de la Commission d’enquête de l’ONU sur les violences perpétrées contre le peuple de Guinée relèverait bien des crimes contre l’humanité. Voici l’analyse publiée ce lundi par la version online du journal:
Guinée tragique
LE MONDE | 21.12.09 | 13h33
Le 28 septembre 1958, les Guinéens avaient répondu « non » au référendum sur la Constitution de la Ve République et sur le projet de Communauté proposé par la France à ses colonies africaines. Quatre jours plus tard, Sékou Touré entrait dans l’Histoire en proclamant l’indépendance de la Guinée. Le 28 septembre 2009, dans le « stade du 28-septembre », à Conakry, la Guinée a été au bout de l’effroyable chaos où elle s’enfonce depuis un demi-siècle.
Il y a quelques jours déjà, l’organisation non gouvernementale Human Rights Watch avait publié un rapport sur le massacre commis dans ce stade, fin septembre, par des militaires proches du président guinéen, Dadis Camara, autoproclamé en décembre 2008. Désormais, c’est une commission de l’ONU, mandatée par son secrétaire général, Ban Ki-moon, qui a remis au Conseil de sécurité un rapport accablant.
Ce réquisitoire ne se contente pas de confirmer la tragédie du 28 septembre : la foule rassemblée à l’appel de l’opposition a été encerclée dans le stade par les « bérets rouges » de l’armée, 156 civils au moins ont été tués sur place sauvagement, à l’arme automatique, au poignard ou tabassés à mort, des dizaines de femmes ont été violées, atrocement mutilées ou enlevées comme « esclaves sexuelles ». Pendant plusieurs jours, la traque sanglante a continué contre les opposants au pouvoir.
Le rapport de l’ONU va plus loin. Devant le caractère « systématique » de ce massacre, il conclut à la « responsabilité pénale directe du président Moussa Dadis Camara » et de plusieurs militaires de son entourage immédiat, nommément désignés. A leur encontre, il réclame la saisine de la Cour pénale internationale pour « crimes contre l’humanité ».
La France a joué un rôle déterminant dans cette enquête : c’est Bernard Kouchner, le ministre des affaires étrangères, qui a saisi directement le secrétaire général de l’ONU et mobilisé la communauté internationale. Elle doit poursuivre ce travail de justice. Deux des responsables désignés du massacre, le président Camara (blessé le 3 décembre d’une balle dans la tête tirée par son aide de camp) et le ministre chargé de la lutte contre la criminalité (blessé le même jour par une grenade) sont actuellement hospitalisés au Maroc. Tout doit être fait pour convaincre les autorités de Rabat de les mettre à la disposition de la justice internationale. En espérant ainsi dissuader tout nouveau candidat à l’exercice sanguinaire du pouvoir. Et permettre à la Guinée de tourner cette page sinistre de son histoire.
Article paru dans Le Monde, édition du 22.12.09