Depuis bientôt un an, les Tchadiens sont privés d’Internet. Pourtant l’accès à l’Internet est bien reconnu comme un droit humainpar le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies depuis le 1er juillet 2016. Les raisons évoquées pour cette restriction à l’accès à l’Internet restent mystérieuses. Des fournisseurs d’accès expliquentque la perturbation générale du service Internet est due à des problèmes techniques. Mais des organisations tels qu’ Internet sans Frontières affirmentque les autorités ont ordonné aux compagnies de téléphonie mobile d’interrompre l’accès à l’Internet. L’objectif semble être une volonté d’utiliser cette censure comme un outil pour museler la libre expressiondes citoyens et la libre circulation de l’information au Tchad.
De surcroît, le nombre de citoyens ayant accès à l’Internet est le plus faible d’Afrique. En effet, si le reste de l’Afrique compte 37.4 % de connectés par rapport à la la population africaine totale, au Tchad le taux de pénétration d’Internet n’est que de 5%.
Dans un billet au titre éloquent, « Le monde est un village dont les Tchadiens sont exclus », Pablo Michelot, éditeur en chef du site L’Encre Noir traitant de l’actualité dans le milieu de la communauté noire écrit:
Depuis près d’un an maintenant, les réseaux sociaux sont verrouillés dans la République du Tchad suite à une recommandation du pays d’Afrique centrale de reconduire le Président Idriss Déby au-delà de 2030. Selon le dirigeant du pays en 2016 « le Tchad ne peut pas se concentrer sur un système qu’un changement de pouvoir mettrait en difficulté. »
Tandis que dans les autres pays du continent, le nombre d’utilisateurs des réseaux sociaux augmente, au Tchad de janvier 2018 à janvier 2019, il a chutéde 150 000 utilisateurs, soit une baisse de 54%.
En réalité, ce sont surtout les militants des droits humains qui sont exposés à la répression. L’organisation non-gouvernementale Frontline Defenders rappelle:
There is a systematic ban on protests conducted by those whom the government sees as critical of any of its policies. Civil society actors and trade unionists holding unauthorized protests have repeatedly been the subject of police brutality.
…There is frequent interference with the work of journalists, especially those reporting or commenting on human rights issues. Freedom of expression is curtailed and on several occasions in the past five years, .. amidst tense political moments
Les manifestations organisées par ceux que le gouvernement considère comme critiques vis-à-vis de ses politiques sont systématiquement interdites. Les acteurs de la société civile et les syndicalistes qui organisent des manifestations non autorisées ont à plusieurs reprises fait l’objet de brutalités policières.
[…] Les journalistes, notamment ceux qui couvrent ou commentent des questions relatives aux droits humains, sont fréquemment victimes d’interférences. La liberté d’expression est restreinte, à plusieurs reprises au cours des cinq dernières années, dans des moments politiques tendus
Le 19 janvier 2019, Internet sans frontières a lancé une campagne mondiale avec le tweetup #Maalla_Gatetou (NDLR: pourquoi vous avez coupé, en arabe tchadien) pour exprimer le ras-le-bol citoyen envers la censure des réseaux sociaux. Ce tweetup s’est accompagné de marches organisées à Paris et à N’Djaména. Abdelkerim Yacoub Koundougoumi, Responsable de l’Afrique Centrale pour Internet Sans Frontières expliquel’objectif de la campagne:
La cyberbrutalité et le verrouillage de l’espace numérique par les autorités tchadiennes démontrent clairement la montée des pratiques autoritaires sur l’Internet. Si rien n’est fait, les bienfaits d’Internet pour le progrès démocratique dans le monde, notamment en Afrique, seront réduits à néant
Les internautes ont aussi utilisé Twitter pour exprimer leur mécontentement. Voici quelques tweets sur la campagne #Malla-Guatétou:
Les observateurs africains opinent aussi sur le sort du Tchad. Basé en Algérie, Yacine Babouche a écrit sur son blog tsa-algerie.com:
Le sujet est important et va au delà du Tchad. De Nombreux Etats africains ont désormais systématiquement recours à cette forme de censure. L’histoire d’Internet a montré que l’Afrique est un laboratoire des pires pratiques lorsqu’il s’agit de violer les libertés chèrement acquises.
Ne pas laisser passer au Tchad, c’est ne pas laisser passer ailleurs.
Il faut aussi rappeler que les prix de la connexion à l’Internet sont parmi les plus élevés, pouvant atteindre vingt fois ceux des pays environnants.
L’ONG Internet sans frontières a initié l’#Acte2 de la campagne Internationale contre la censure des réseaux sociaux au Tchad qui était prévu pour le 19 février 2019, mais a été reprogrammé du 19 au 28 mars soit une semaine d’actions pour marquer l’année de privation de l’accès à Internet dans ce pays. À cet effet l’ONG a publié sur Facebook cet appel de Bintou Da, créatrice de valeurs au féminin:
J’ai écrit ce billet pour le réseau globalvoices.org, qui l’a publié le 2 mars 2018, après une révision de Lova Rakotomalala, responsable des contenus originaux concernant les pays francophones publiés sur Global Voices.