Depuis plusieurs années des hécatombes de poissons sont périodiquement signalées sur les côtes de la Mauritanie. Quelle que soit l’origine de ce désastre, que certains attribuent à une algue toxique, le secteur crucial de la pêche est vivement affecté dans ce pays d’Afrique du Nord-Ouest.
Le 20 juin, des agents du parc national du Banc d’Arguin (PNBA), une réserve naturelle reconnue au patrimoine mondial de l’UNESCO, ont constaté des échouages en grande quantité de poissons sur une plage. La mission a constaté:
Que l’échouage de poissons était massif sur une longueur de 5 Km sur la plage entre les deux caps Tafarit et Tagarit ;
- Qu’environ 53 espèces de poissons ont été recensés dans les échouages;
- Que les espèces les plus occurrentes dans les échouages sont le lasser africain, l’éthmalose, les sardinelles, les poissons chats et les carangidés ;
- Que les investigations sont en cours pour déterminer la cause des échouages des poissons en si grandes quantités, le Public en sera davantage éclairé de l’évolution de la situation.
En 2020, les spécialistes de l’Institut mauritanien de recherches océanographiques et des pêches (IMROP) de Nouadhibou, deuxième grande ville au nord et capitale économique du pays, avaient déjà établi que cette hécatombe concernait surtout une espèce de poissons, le mulet noir:
On a constaté que l’échouage concerne une seule espèce à 99%. Il s’agit du mulet noir. Et cela nous a amenés à voir les caractéristiques, les spécificités et les tolérances de cette espèce. Toute espèce a des conditions optimales pour se développer et parmi ces conditions optimales, il y a la température, il y a la salinité, il y a l’oxygène dans l’eau.
Le même phénomène s’était déjà produit en 2005, 2017 et 2020. A chaque fois l’IMROP avait dépêché ses experts dont le docteur Abdoul Dia, chef du laboratoire d’études du milieu marin et côtier , qui avait livré en septembre 2020 à Radio France internationale les résultats des premières analyses:
On est dans la saison hydrologique chaude, la température atteint parfois jusqu’à 33, 34 degrés, des températures vraiment très élevées.
Toutefois l’hécatombe ne concerne pas que des poissons de petite taille. En effet, le site, mauritanien chezvlane.com signalait en avril 2021 la publication par le parc naturel de Diawling de la photo d’un poisson géant, de la race “des baleines bleues”, découvert dans la zone de Legweïchich, au sud de Nouakchott:
Ce poisson géant, d’une longueur de 22 mètres et dont on ignore les causes de sa mort, a ramené aux esprits des phénomènes similaires avec la mort des très grandes quantités de poissons en septembre de l’année dernière quand on avait retrouvé près de 200 tonnes de l’espèce dispersées entre Nouakchott et le port de Tanit.
Plusieurs explications possibles sur les origines de l’hécatombe
Sur les causes probables de cette hécatombe de poissons, l’ONG mauritanienne PAMIE qui travaille sur la conservation de la biodiversité marine se prononce en ces termes sur sa page Facebook:
Le 26 décembre 2020, une prolifération massive d’une espèce de microalgue s’est manifestée par une forte coloration de l’eau de mer au niveau de la zone Cabanon à Nouadhibou.Cette espèce connue sous le nom de Noctiluca scintillans, ne sécrète pas de biotoxines marine mais peut tout de même entraîner une libération de fortes quantités d’ammoniaque et une diminution de la concentration en dioxygène dissous qui risqueraient d’entraîner des épisodes de mortalité de poissons. Il est important de signaler qu’il s’agit d’un phénomène naturel qui peut être facilement corrélé avec les conditions hydro-climatiques.
Certains internautes avancent d’autres hypothèses, comme JednaDeida:
Au Sénégal, pays voisin au sud, ce phénomène a été également observé et les utilisateurs des réseaux sociaux sont préoccupés. A Kayar, lieu situé à environ 58 kilomètres au nord de Dakar, où la pêche artisanale est la principale activité, l’utilisateur de Twitter Mlamenu signale:
Ameth Haydara Sequeira, technicien et photographe remarque aussi sur Twitter:
Une activité essentielle pour l’économie mauritanienne désormais en péril?
La pêche est une activité dont la Mauritanie tire des ressources importantes pour son économie. Ce secteur représente 58 % des exportations du pays, 10 % du produit intérieur brut et 29 % du budget national, ce qui correspond aussi à près de la moitié de ses ressources en devises étrangères:
Selon la Société mauritanienne de commercialisation du poisson (gouvernementale), les exportations de produits halieutiques se sont élevées à plus de 248 000 tonnes en 2019, pour des recettes atteignant 638 millions de dollars….
En juin 2020, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a classé la Mauritanie au deuxième rang des pays africains producteurs de poisson après le Maroc, et au 20e rang à l’échelle mondiale.
Malheureusement, la crise provoquée par la pandémie du COVID-19 a gravement atteint le secteur de la pêche: selon une étude réalisée par la FAO entre juillet et août 2020, durant le premier semestre de l’année 2020 le secteur de la pêche a connu une régression d’environ 20% par rapport à l’année 2019.
Cette diminution est directement liée aux restrictions imposées par la lutte contre le COVID-19. En effet, avant la pandémie, les pêcheurs quittaient le port à trois heures du matin et retournaient le soir entre seize et vingt heures. Avec l’instauration du couvre-feu qui s’étend de seize heures jusqu’à six heures, les pêcheurs sont obligés de partir plus tard, vers sept heures et de revenir à quai plus tôt vers quinze heures, réduisant ainsi le temps de pêche.
A tout cela s’ajoute le problème de la surpêche de bateaux venus de pays développés qui mine la capacité de renouvellement des ressources marines. Au mois de mars 2021, l’ONG Greenpeace signalait la présence dans les eaux mauritaniennes du navire FV Margiris, battant pavillon lituanien, le deuxième plus gros navire de pêche au monde, d’une capacité de stockage de 6,000 tonnes, et de capture et de congélation de 250 tonnes par jour.
Selon Dr Aliou Ba, conseiller politique de Greenpeace Afrique:
Alors que les pêcheurs locaux et les femmes transformatrices de poisson luttent pour faire face à une crise sans précédent due à la pénurie de ressources halieutiques, des navires de pêche destructeurs venus du monde entier pillent les eaux ouest-africaines. Cette situation a entraîné l’insécurité alimentaire et la perte des moyens de subsistance des communautés locales. En outre, le niveau de chômage ne cesse d’augmenter à la suite de la crise du COVID-19 et des troubles sociaux dans la région ouest-africaine.
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J’ai écrit cet article pour le réseau globalvoices.org qui l’a publié le 19 juillet 2021.