Rwanda : la commémoration du génocide honore les « Justes » hutus

Le Rwanda s’apprête à commémorer le vendredi 7 avril, pour la 23 ème année consécutive, le génocide perpétré contre les Tutsis en 1994. A la veille de ces commémorations, de jeunes étudiants et anciens étudiants rescapés du génocide ont sillonné les mille collines de leur petit pays, en apportant de l’assistance à d’autres survivants plus démunis mais aussi en posant des gestes de reconnaissance envers les Hutus qui leur ont sauvé la vie.

Elle s’appelle Roza Mukarurinda. Cette paysanne hutue du village de Kinazi, dans le sud du Rwanda, n’a ni armes, ni argent au plus fort du génocide contre les Tutsis en 1994. Les fusils peuvent faire reculer les tueurs et l’argent peut les persuader de reporter de quelques jours une attaque meurtrière. Roza, quant à elle, n’a que son cœur de mère. Elle recueille ainsi un bébé tutsi de sexe féminin dont les parents viennent d’être massacrés. Pour que la petite puisse survivre, Roza doit sevrer prématurément son propre enfant pour allaiter celle à laquelle elle donne le nom d’Irizabimbuto, littéralement l’œuf qui sera fécond.

Vingt-trois ans après, Irizabimbuto est une belle jeune femme de 23 ans qui termine ses études dans une université kényane. Retenue par ses études, elle n’était pas présente dans son pays durant la période du 11 mars au 1er avril derniers pour se joindre à d’autres jeunes rescapés dans leur pogramme spécifique d’assistance aux survivants démunis et de reconnaissance du grand cœur de leurs sauveurs. Elle s’est donc fait représenter lors de la remise à sa « mère providentielle » d’une « génisse de reconnaissance ».

«Aux Hutus comme aux tutsis, Dieu nous a tous donné du sang rouge », a expliqué Roza, en accueillant la génisse dans son étable. Il s’agit de la troisième vache que cette femme aujourd’hui âgée de 74 ans reçoit de la part des rares rescapés de la famille d’Irizabimbuto. Elle a par ailleurs été élevée au rang de « gardienne du pacte » national par la Commission nationale pour l’unité et la réconciliation.

« Donner notre force juvénile »

Au cours du mois de mars et durant toute la période du 7 avril au 4 juillet, les étudiants survivants et leurs aînés (anciens étudients rescapés du génocide) ont un programme chargé. En plus de l’octroi de vaches aux « justes » et de l’assistance aux survivants démunis, il est prévu de recenser les familles éteintes durant le génocide, de distribuer des chaises roulantes et du matériel orthopédique aux handicapés de l’ancienne rébellion du Front patriotique rwandais (FPR, aujourd’hui au pouvoir) qui a arrêté le génocide, de construire ou réfectionner des maisons d’habitation, de réhabiliter des mémoriaux du génocide et d’aménager des jardins potagers. « En retour, nous n’avons à donner que notre force juvénile et notre volonté […] la mémoire de ceux qui nous ont laissés derrière eux, la joie pour les rescapés, ce qui interpelle notre reconnaissance envers ceux qui nous ont sauvés », explique Olivier Mazimpaka, président Groupe des anciens étudiants rescapés du génocide (Gaerg). Pour Jean –Pierre Dusingizemungu, président d’Ibuka (souviens-toi, en langue rwandaise), le collectif des associations de rescapés du génocide, les activités de ces jeunes « sont porteuses d’un message de vie ».

La campagne de reconnaissance menée par ces jeunes rescapés a été initiée en préparation de la 21ème commémoration en 2015. A cette occasion, quelques jeunes étudiants étaient descendus dans un village reculé du district de Ngoma, dans l’est du Rwanda, pour honorer l’héroïsme de la vieille Alvera Kankindi, à laquelle ils avaient donné une génisse. Dans la culture rwandaise, il n’y a pas de présent plus précieux qu’une vache car cette dernière a toujours été considérée comme le signe d’une certaine prospérité. Simple paysanne comme Roza de Kinazi, Alvera a ouvert sa petite maison à des Tutsis en fuite au cœur des massacres, les a nourris avec son peu de moyens. Ses protégés auront la vie sauve. Arrivés trop tard sur les lieux, les poursuivants tueront, en représailles, le mari de Kankindi. Selon Ibuka, il n’y a pas meilleur moyen de lutter contre l’idéologie du génocide que de reconnaître le courage de ceux qui se sont dressés contre le mal alors qu’ils n’étaient pas visés.

Un pasteur, selon la tradition, récite un poème dédié aux génisses données comme un gage d’amitié

« Luttons contre l’idéologie du génocide »

 Cette année-ci, les autorités rwandaises ont placé la commémoration sous le thème « Commémorons le génocide contre les Tutsis- Luttons contre l’idéologie du génocide et bâtissons sur la base de notre progrès ».

Comme chaque année, le gouvernement organise, du 7 au 13 avril, une semaine de deuil national en mémoire des victimes du génocide. Le temps fort de la semaine sera le discours du chef de l’Etat, Paul Kagame, le 7 avril à la mi-journée. A cours de ces sept jours, les drapeaux resteront en berne sur toute l’étendue du territoire national et toute forme de réjouissance sera interdite. Mais pour les associations des rescapés du génocide, les activités de commémoration se poursuivent jusqu’en juillet, couvrant ainsi les 100 qu’ont duré les massacres.

Selon le gouvernement rwandais, le génocide d’avril à juillet 1994 a emporté un peu plus d’un million de personnes. « Revoir à la baisse le nombre de victimes, c’est le propre des révisionnistes et négationnistes », affirme le secrétaire exécutif de la Commission nationale de lutte contre le génocide (CNLG) Jean – Damascène Bizimana.

L’ONU, pour sa part, parle d’environ 800. 000 tués.

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Roza en échange avec Mme Alvera Mukabaramba, secrétaire d’Etat aux Affaires sociales

Cet article a été écrit par Emmanuel Sehene Ruvugiro depuis Kigali pour justiceinfo.net. Ce site est celui de la Fondation Hirondelle. Il couvre et analyse l’actualité des processus de justice dans les sociétés en transition, tels que le travail des Commissions Vérité, des tribunaux qui enquêtent sur des violations graves des droits de l’homme, les processus de paix et de réconciliation.

 

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