Mkheitir lors de sa parution à la cour d’appel en 2016 par IHEU.org – CC BY-SA 4.0
A l’occasion de la Journée internationale des droits de l’homme célébrée chaque année le 10 décembre, jour anniversaire de l’adoption par l’Assemblée générale des Nations Unies de la Déclaration universelle des droits de l’homme en 1948, ma pensée va tout particulièrement à Mohamed Ould Mkheitir. Ce jeune ingénieur git en prison depuis 2013 pour avoir écrit un texte visant à démontrer sur la base d’écrits sacrés que la discrimination à l’égard de la caste des forgerons, dont sa famille est issue et qui est victime de discriminations systémiques dans la société mauritanienne, n’a pas de fondement religieux religieux.
Ce texte dont je suis l’auteur a été publié sur le réseau globalvoices.org le 18 novembre 2018
Trente-deux (32) organisations de défense des droits humains ont lancé une campagne mondiale pour exiger la libération et la protection de Mohamed Ould Mkheitir. Cet ingénieur, âgé de 33 ans est toujours détenu au secret alors qu’une cour d’appel a ordonné il y a un an de commuer sa peine de mort en une détention de deux ans d’emprisonnement. Ayant déjà fait 3 ans de détention préventive, il aurait du être libéré depuis un an.
Il n’a que des contacts très limités avec sa famille alors que ses avocats n’ont pas accès à lui car les autorités n’ont pas appliqué la décision de le libérer rendue par une cour d’appel le 9 novembre 2017.
Le communiqué publié par Amnesty International résume la situation injuste et précaire dans laquelle se trouve le détenu Mohamed Ould Mkheitir:
Le 9 novembre 2017, une cour d’appel a ramené sa peine à deux ans d’emprisonnement, qu’il avait déjà purgés, et lui a infligé une amende. En mars 2018, le ministre de la Justice, Mokhtar Malal Dia, a déclaré dans une interview que le blogueur était “toujours détenu quelque-part en Mauritanie”.
En mai les autorités mauritaniennes ont informé le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD) que cet homme était “en détention administrative pour sa propre sécurité”.
Pendant près d’un an, les avocats de Mohamed Mkhaïtir n’ont cessé de demander à lui rendre visite mais le ministre de la Justice ne leur a pas répondu. Mohamed Mkhaïtir serait en mauvaise santé et aurait besoin de soins médicaux urgents.
À la suite de cette dénonciation, plusieurs sites d’information en ligne ont repris le communiqué et des internautes ont exprimé leurs sentiments.
La Cour d’Appel avait révoqué la sentence pour vice de procédure le 31 janvier 2017 et le nouveau procès at eu lieu les 8 et 9 novembre 2017, condamnant le blogueur à deux ans de prison et environ 150 euros d’amende. Le site journaliste Mauritanien Mohammed Gherrabi rappelle le contexte judiciaire du cas du blogueur:
En mai 2018, 21 ONG nationales et internationales demandaient déjà de mettre fin à la détention arbitraire et de garantir la sécurité du blogueur Mohamed Mkhaïtir. Elles sommaient également les autorités mauritaniennes d’abroger la récente loi sur les infractions liées à l’apostasie, qui rend la peine de mort obligatoire en cas de “propos blasphématoires” et d’actes sacrilèges”. L’adoption d’un tel texte constitue un véritable retour en arrière, éloignant la perspective d’une abolition pour ce pays qui, pourtant, n’a procédé à aucune exécution depuis 1987 et même ratifié de nombreux traités internationaux concernant les droits humains.
Martin Mateso cite sur le blog Geopolis que Kate Barth, directrice juridique de l’ONG Freedom Now, est très engagée dans cette campagne:
La directrice juridique de Freedom Now, Kate Barth, engagée dans cette campagne, fait remarquer que le cas du blogueur Mohamed Mkhaïtir est emblématique «de la répression à laquelle le régime mauritanien soumet les libertés d’expression et d’information, en particulier celles des journalistes qui dénoncent le recours illégal au travail servile».
Les Nations Unies ont critiqué à plusieurs occasions la détention et la condamnation à mort de Mohamed Mkhaïtir.
En effet, en avril 2017 et mai 2018, un Groupe de travail sur la détention arbitraire et six experts de l’ONU pour les questions des droits de l’homme ont demandé sa libération immédiate ainsi que son droit à demander réparation.
Sur le site d’actualités Afrique.le360.ma, le journaliste mauritanien Cheikh Sidya, rappelle:
L’affaire Mohamed Ould Mkhaitir ce blogueur reconnu “d’apostasie” condamné à la peine capitale avant que cette peine ne soit ramenée à un emprisonnement correctionnel de deux ans pour “mécréance” continue à susciter le débat en Mauritanie.
En effet, malgré que l’intéressé ait purgé sa peine en détention préventive entre décembre 2013 et fin 2017, il est toujours en prison.
La Cour suprême mauritanienne avait pourtant ordonné sa libération en novembre 2017. La mesure n’a jamais fait l’objet d’exécution à ce jour.
Interpellé à l’occasion des assises de la 29ème session de la Commission des droits des peuples [humains] et des peuples(CADHP), tenues à Nouakchott en avril – mai 2018, un officiel mauritanien révélait que le jeune blogueur a été placé en détention administrative.
S’exprimant sur lallumeurdereverbere.over-blog.com, Jorge Brites stigmatise la passivité de l’Union européenne et des États-Unis, avant d’analyser les réalités sociologiques de la société mauritanienne qui sont à la base de cette violation des droits de Ould M’Kheitir:
De manière générale, l’immense majorité de la classe politique et médiatique mauritanienne, quand elle n’a pas clairement appelé à exécuter la peine capitale, a en tout cas évité de s’exprimer sur cette affaire – encore moins de soutenir Ould M’Kheitir. Quelques voix se sont toutefois faites entendre, parmi lesquelles la militante Aminetou Mint Moctar, présidente de l’Association des Femmes Chefs de Famille (AFCF), mais une fatwa a rapidement suivi pour appeler à assassiner ces mécréants. Le nombre d’intellectuels, de diplômés, voire même de militants pro-démocratie ayant appelé à tuer le jeune blogueur, a de quoi déconcerter. Il vient contredire l’idée que le terme de “vindicte populaire” serait réservé à des gens sans éducation et que la manipulation sur des bases religieuses ne concernerait que des masses miséreuses et illettrées. Il est même effrayant de constater la promptitude de tant de gens – parmi lesquels des soi-disant érudits – à exiger que le sang soit versé… ce qui constitue tout de même, a priori, l’option la plus extrême et la plus violente qui existe. Et pour les musulmans convaincus, on peut légitimement se demander si le Prophète lui-même, dans pareille situation, aurait fait exécuter un jeune qui interroge la religion parce qu’il estime qu’elle légitime un système inégalitaire. On peut facilement imaginer, compte tenu de l’importance de la notion de pardon dans l’islam, qu’il aurait tenté de le convaincre par des arguments théologiques, et que dans tous les cas il aurait pardonné ses “égarements” plutôt que de, simplement, le faire tuer.
Depuis le début du calvaire que vit Mohamed Ould Mkhaitir globalvoices.org a publié les billets suivants:
1. Un blogueur condamné à mort revient devant la Cour suprême de Mauritanie, écrit par Afef Abdoughi, traduit en malagasy, espagnol, anglais, grec et swahili
2. Un blogueur condamné à mort en Mauritanie pour avoir dénoncé la discrimination contre la caste des forgerons écrit par Abdoulaye Bah et traduit en malagasy, portugais, anglais, espagnol et le tétoun