Mon dernier billet publié sur le site en français de globalvoices.org est une dénonciation de l’injuste condamnation à mort du blogueur Mohamed Cheikh Ould Mohamed Ould M’kheitir pour avoir écrit un billet dénonçant la stigmatisation dont sa caste celle des forgerons fait l’objet en Mauritanie.
Malheureusement, cette condamnation est une preuve ultérieure que la Mauritanie ne finira pas d’étonner le monde en matière des pires violations des droits humains. Ce que ce pays vient de confirmer par la condamnation entre 3 et 15 ans de 13 militants anti-esclavagistes à des peines de prison ferme et au paiement d’une amende de 94 000 Euros.
Ce dernier billet fait suite à un autre que j’avais publié en mai 2016 sur ce blog sous le titre Mauritanie: Cet article a valu la condamnation à mort au blogger Ould Mkheitir. Pour plus d’informations sur le cas des 13 défenseurs qui viennent d’être condamnés voir mon article intitulé La Mauritanie emprisonne, les États-unis récompensent les militants anti-esclavage publié le 11 juillet 2016.
Comme toujours la révision de ce billet a été assuré par Lova responsable des contenus originaux concernant les pays francophones publiés sur Global Voices qui répond au compte Twitter : twitter.com/lrakoto et au blog personnel : http://rakotomalala.blogspot.com/
Un blogueur condamné à mort en Mauritanie pour avoir dénoncé la discrimination contre la caste des forgerons
Pour avoir écrit un billet sur Internet critiquant l’utilisation de l’Islam pour justifier le phénomène moyenâgeux du système des castes, le blogueur Mohamed Cheikh Ould Mohamed Ould M’kheitir a été condamné à mort par la Cour Criminelle de Nouadhibou en Mauritanie.
Fils du préfet de cette ville, capitale économique de la région au sud du pays, Mohamed Cheikh Ould Mohamed Ould M’kheitir est de formation comptable et âgé de 29 ans, de la caste des forgerons. Il avait fait appel de cette condamnation. Dans un billet publié par le site chezvlane.com, il avait écrit le 25 décembre 2014:
Ceux qui osent inventer de faux hadiths et les attribuent au prophète (paix et salut d’Allah sur lui), aucune morale ni religion ne peut l’empêcher d’interpréter à leur guise un article écrit par un simple jeune, novice de surcroît. Ils ne ménageront aucun effort afin de mobiliser la passion du musulman commun au service de leurs intérêts. C’est ainsi qu’ils ont prétendu que les forgerons ont Blasphémé à l’encontre du prophète (paix et salut d’Allah sur lui) à travers un article écrit par un des leurs, tout comme ils avaient prétendu que celui qui avait fait tomber les dents du prophète lors de la bataille du mont Ouhoud était un forgeron.
C’est dans ce cadre que je voudrais confirmer ici ce qui suit :
1. Je n’ai pas, consciemment ou inconsciemment, blasphémé à l’encontre du prophète (Paix et Salut d’Allah sur lui) et je ne le ferai jamais. Je ne crois d’ailleurs pas qu’il y ait dans ce monde plus respectueux envers lui (paix et salut d’Allah sur lui) que moi.
2. Tous les faits et récits que j’ai cité dans mon précédent article revêtent un caractère historique et véridique. Ces récits ont naturellement leurs interprétations littérales et superficielles et leurs sens visés et profonds.
Le 21 avril 2016, la Cour d’appel de Nouadhibou a confirmé la peine capitale, cependant, avec une requalification des faits. En effet, il n’est plus considéré comme apostat, mais uniquement comme mécréant.
Avec cette requalification des accusations contre lui, l’espoir est encore permis parmi les militants des droits humains en Mauritanie que la Cour suprême, saisie par sa défense, casse la condamnation à la peine capitale et prononce une sentence plus clémente.
Le site sénégalais Setal rappelle les faits:
Ce jeudi, la cour d’appel n’a pas suivi l’accusation qui demandait la confirmation de la peine. Les avocats s’en félicitent même si évidemment pour eux cela ne suffit pas. Cela fait maintenant deux ans et trois mois que Mohamed Cheikh ould Mkheitir a été arrêté pour un simple article posté sur internet. Cet article a été jugé blasphématoire envers le prophète et l’islam, il a choqué la partie la plus conservatrice de l’opinion mauritanienne qui a salué à l’époque sa condamnation à mort.
Il n’en reste pas moins que le blogueur pourrait subir une peine sévère principalement pour des raisons de plotique intérieure. En effet, dans un billet paru sur le site d’ Amnesty International, le 26 avril 2016, la journaliste et militante des droits humains, Sabine Cessou écrit, citant un collègue sous couvert d’anonymat:
toute l’affaire relève « de la politique intérieure, avec un tribunal qui veut donner des gages aux salafistes – une tendance en plein essor dans notre pays, comme dans tout le monde arabo-musulman ».
Dans un communiqué sur le sujet, la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) cite Me Fatimata Mbaye, présidente de l’Association mauritanienne des droits humains (AMDH), ancienne vice-présidente de la FIDH et avocate des militants anti-esclavagistes:
Cette condamnation, la première pour « apostasie » en Mauritanie depuis l’indépendance, constitue un recul de la tolérance et démontre à quel point les questions de caste, de religion, d’esclavage et donc de démocratie sont tabous en Mauritanie. Nous observons un durcissement du pouvoir et de la société contre toutes les voix contestataires sur ces sujets.
Après la publication du billet, les extrémistes religieux avaient incité l’opinion publique à demander la pendaison du blogueur. Le site sénégalais Leral décrit l’atmosphère qui s’était créée dans le pays contre l’accusé:
Des milliers de mauritaniens dont certains ont lu, d’autres pas du tout, l’article incriminé avaient battu le pavé, à Nouakchott, Nouadhibou et ailleurs pour exiger sa pendaison pure et simple, il y a un an de cela…. [Le] président de la République, devant la foule de manifestants amassée devant le portail de son palais avait déclaré : » Je vous remercie de tout cœur pour votre présence massive en ce lieu pour condamner le crime commis par un individu contre l’Islam, la religion de notre peuple, de notre pays, la République Islamique de Mauritanie, comme j’ai eu à le préciser par le passé et le réaffirme aujourd’hui, n’est pas laïque et ne le sera jamais…. je vous assure en conséquence que le Gouvernement et moi-même ne ménagerons aucun effort pour protéger et défendre cette religion et ses symboles sacrés… ». Cette déclaration du président, celle des différents partis politiques conjugués avec les manifestations et fatwas ont eu raison de lui.
Son soutien au blogueur avait attiré les ires des extrémistes sur Mme Aminetou Mint Moctar, lauréate du prix 2006 des droits de l’homme de la République française et en 2010, de la médaille de Chevalier de la Légion d’honneur française. Une fatwa avait été émise contre cette personnalité, qui, comme le révélait le site Africa News, a été la première femme mauritanienne à être nominée pour le Prix Nobel pour la paix à cause de ses engagements pour la cause des droits humains.
M. Yehdhih Ould Dahi, chef du courant islamiste radical « Ahbab Errassoul » (les amis du Prophète) avait proclamé selon le site w41k.com:
«Cette méchante qui défend Mkheitir et disant qu’il s’agit d’un prisonnier d’opinion, et qui a demandé sa libération pour qu’il soit rendu à sa femme, cette femme qui décrit les amis du Prophète comme des Boko Haram et des Takfiris seulement parce qu’ils demandent le respect de l’honneur du Prophète, qu’elle soit damnée par Allah, les anges et tous les gens. Aujourd’hui, je vous annonce avec la bénédiction d’Allah, son apostasie pour avoir minimisé l’outrage à l’honneur du Prophète. C’est une infidèle, dont il est légitime de s’emparer de son sang et de ses biens. Celui qui la tuera ou lui crèvera les yeux sera récompensé par Allah».
L’atmosphère qui entoure cette affaire semble se rasséréner, mais ce qui est certain, c’est que la condamnation à mort du blogueur Mohamed Cheikh Ould Mohamed Ould M’kheitir est toujours en vigeur et que le blogueur croupit toujours en prison.